Absence de prescription de la demande en paiement de rémunérations supplémentaires - Évaluation de leur montant

CA Paris, 1er juillet 2022

Recevabilité de l’action en paiement de la rémunération supplémentaire (oui) - Prescription (non) - Créance de nature salariale - Prescription triennale - Point de départ du délai - Connaissance des éléments ouvrant droit à rémunération

Invention de salarié - Invention de mission - Rémunération supplémentaire - Intérêt économique de l’invention

Texte

L’action en paiement des rémunérations supplémentaires est recevable. La prescription court notamment lorsque le salarié avait connaissance des éléments lui permettant, non pas de déterminer le montant de sa créance, mais de l'évaluer, ce qui est apprécié au regard d'une analyse in concreto du contexte dans lequel il se trouvait.

En l’espèce, les emplois de responsable de bureau d’études puis responsable recherche et développement, occupés par le salarié, rendaient possible l’accès aux informations lui permettant d’exercer son action. Par ailleurs, celui-ci connaissait notamment l’article 26 de la convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie, qui subordonne la rémunération supplémentaire du salarié aux inventions qui présentent pour l'entreprise un intérêt exceptionnel. Or, ces dispositions, qui ont pour effet de restreindre les droits que le salarié tient de la loi, sont contraires à la règle d'ordre public posée par l'article L. 611-7 du CPI et doivent donc être considérées comme non écrites. Le contrat de travail du salarié ne prévoyait pas les modalités de fixation de la rémunération supplémentaire, aucun dispositif spécifique interne concernant cette rémunération n'avait été mis en place par son employeur et il n'avait pas perçu de primes liées aux inventions dont il était l'auteur. Il n'avait donc pas connaissance des faits lui permettant d'exercer son action en l'absence de disposition individuelle ou de procédure interne à l'entreprise lui étant accessibles.

Les demandes en paiement des rémunérations supplémentaires relatives aux inventions non brevetées sont rejetées, le salarié ne rapportant pas la preuve de leur caractère brevetable. Notamment, la circonstance que son employeur lui ait confié le développement d’un projet et ait déposé une enveloppe Soleau ne suffit pas à démontrer la brevetabilité des inventions.

Concernant les inventions brevetées, la juridiction saisie doit, en l'absence de convention collective applicable, d’accord d'entreprise ou de dispositions du contrat de travail, prendre en considération non seulement l'intérêt économique de l'invention, mais également la contribution de l'inventeur et les difficultés de mise au point de l'invention.

Le salarié ne peut utilement arguer de l'existence d'un bureau d'études au sein de la société, qui ne travaillait que sur les commandes de clients, pour montrer que chaque invention réalisée par ce bureau aurait un intérêt économique incontestable. En effet, la satisfaction du client comme la marge réalisée par l'entreprise ne sont pas assurées, l’employeur affirmant sans être démenti que cette marge est faible car comprise entre 4 et 5 %. Certains brevets invoqués ont été maintenus en vigueur, ce qui montre leur intérêt économique pour l’employeur. Toutefois, plusieurs d’entre eux n’ont généré aucune vente. D’autres brevets ont été déchus ou ont fait l’objet d’une demande d’extension internationale qui a été abandonnée. Par conséquent, le montant total de 11 500 euros versé au salarié au titre de la rémunération supplémentaire pour huit inventions brevetées est confirmé.

Cour d’appel de Paris, pôle 5, 2e ch., 1er juillet 2022, 21/01976 (B20220059)
Sandri S c. Société des Anciens Établissements Lucien Geismar SAS
(Confirmation TJ Paris, 3e ch., 3e sect., 18 déc. 2020, 18/08302)