Jurisprudence
Marques

Contrefaçon des sacs « Kelly » et « Birkin » protégés par le droit d’auteur et de la marque tridimensionnelle représentant leur fermoir

PIBD 1246-III-3
TJ Paris, 7 février 2025

Titularité des droits d’auteur (oui) - Présomption de titularité de la personne morale - Exploitation sous son nom

Protection au titre du droit d'auteur (oui) - Originalité - Combinaison de caractéristiques - Caractère esthétique - Genre - Empreinte de la personnalité de l'auteur - Caractère fonctionnel (non)

Contrefaçon des droits d'auteur (oui) - Représentation - Reproduction - Matière et motifs différents - Physionomie d'ensemble - NFT

Contrefaçon de la marque tridimensionnelle (oui) - Identité ou similarité des produits - Imitation - Usage dans la vie des affaires - Similitude visuelle et conceptuelle - Risque de confusion ou d'association

Préjudice - Bénéfices tirés des actes incriminés - Marge bénéficiaire du défendeur - Notoriété du produit - Investissements réalisés - Manque à gagner - Taux de report - Clientèle différente - Banalisation - Préjudice moral

Responsabilité du dirigeant (non) - Faute détachable de ses fonctions (non)

Texte
Sac Birkin de la société Hermès Sellier ; Source : https://www.hermes.com/fr/fr/content/297696-birkin/
Texte
Sac Kelly de la société Hermès Sellier ; Source : https://www.hermes.com/fr/fr/content/296972-kelly/
Texte
Marque n° 806 207 de la société Hermès International
Texte
Sac Paisley Jane de la société Blao & Co ; Source : https://fr.vestiairecollective.com/sacs-femme/sacs-a-main/ndg/sac-a-main-ndg-en-coton-vert-44898870.shtml
Texte

Deux sociétés, l’une revendiquant des droits d’auteur sur les sacs dénommés « Kelly » et « Birkin » et l’autre une marque tridimensionnelle représentant le fermoir de ces sacs, ont agi en contrefaçon à l’encontre d’une société qui a présenté et commercialisé des sacs sur son site internet et ses réseaux sociaux, ainsi qu’un NFT (Non Fongible Token) représentant un des sacs sur une plateforme de vente.

Les deux sacs invoqués présentent des caractéristiques différentes, tenant notamment à leur forme globale (trapézoïdale pour le « Kelly » / rectangulaire pour le « Birkin »), à leur rabat (à découpe / à découpe à trois créneaux), à leur système de fermeture comprenant des plaquettes métalliques se glissant dans un touret et à leur anse (unique / deux anses).

La combinaison de ces caractéristiques de formes particulières et de détails des rabats et systèmes de fermeture, appréciée à la date de création des œuvres revendiquées, témoigne de choix esthétiques tels que des formes sobres et des ornements stylisés particuliers, conférant à chacun de ces sacs une apparence singulière portant l’empreinte de la personnalité de leur auteur. Il n’est pas établi que ces caractéristiques appartiendraient au fond commun de la maroquinerie et elles n’apparaissent pas davantage dictées par leur fonction technique. Les deux sacs combinant des caractéristiques différentes, l’originalité du sac « Birkin », postérieur au sac « Kelly », ne peut être exclue. Les sacs opposés constituent donc des œuvres originales protégées par le droit d’auteur.

Ces caractéristiques originales sont intégralement reproduites par les sacs incriminés, qui sont proposés en deux formats (sac à main et sac de voyage) et en plusieurs couleurs, le plus souvent vives, mais également en noir, blanc et marron.

Les différences tenant au choix du tissu et des motifs sont indifférentes. En outre, la physionomie d’ensemble des sacs en litige rend leur forme rectangulaire et leur système de fermeture prédominants sur l’aspect de leurs imprimés ou leurs couleurs.

Il résulte des documents versés aux débats (facture d’achat, constats, attestation du comptable) que les sacs incriminés sont présentés et proposés à la vente sur le site internet et les réseaux sociaux de la société défenderesse. Par ailleurs, le NFT correspondant à l’image du sac litigieux en coloris noir figure sur le site internet opensea, aucune offre n’étant proposée pour ce NFT et son prix n’étant pas indiqué[1].

La contrefaçon des droits d’auteur par reproduction et par représentation des œuvres est donc caractérisée.

Les sacs litigieux constituent également une contrefaçon de la marque tridimensionnelle[2] qui représente la forme d’un cadenas fermé, de ses attaches et d’une boucle, et qui est déposée notamment pour les fermetures métalliques pour sacs, les articles de maroquinerie en cuir et les sacs.

Ils font l’objet d’un usage dans la vie des affaires et sont identiques s’agissant des sacs à main ou similaires s’agissant des sacs de voyages aux produits visés par la marque.

Les fermoirs en litige apparaissent similaires au regard des caractéristiques visuelles suivantes : deux sanglons de part et d’autre des plaquettes comportant une surpiqure sur leurs bords extérieurs, deux plaquettes superposées comportant pour celle du dessous deux têtes de clous perlés apparentes et pour celle du dessus quatre têtes de clous perlés situées sur les angles des plaquettes, une plaquette du dessus non rectangulaire mais comportant six côtés et s’emboîtant dans un touret ajouré de forme circulaire auquel est attaché un cadenas.

Ils ne différent que par les éléments verbaux incorporés à la marque tridimensionnelle (lettre « H » rejoignant les bords verticaux du cadenas) et aux sacs litigieux (lettres « NDG »).

Le cadenas qui figure sur ces sacs est d’une forme identique et épurée, fermant des sangles de six côtés prolongeant des sanglons piqués à des endroits identiques, éléments qui n’apparaissent pas fréquents dans les catégories des produits visées. Il sera ainsi un de ses éléments, particulièrement distinctif, permettant au public pertinent (consommateur d’articles de maroquinerie, de mode ou de joaillerie) de l’associer à l’image de la marque tridimensionnelle sur le plan conceptuel.

Par conséquent, il existe un risque de confusion par association avec la marque.

La responsabilité de la présidente de la société qui a commis les actes litigieux n’est pas retenue[3]. Cette seule qualité ne peut caractériser, à elle seule, une faute intentionnelle d’une particulière gravité alors que les activités contrefaisantes ont cessé rapidement après les mises en demeure des sociétés demanderesses et qu’il n’est pas établi qu’elle ait détourné l’objet social de la société de sa finalité.

Tribunal judiciaire de Paris, 3e ch., 2e sect., 7 février 2025, 22/09210 (D20250004) 
Hermès International et Hermès Sellier SAS c. Blao & Co SAS et Mme [N] [D]

[1]C’est la première fois, à notre connaissance, qu’une juridiction française se prononce sur une demande en contrefaçon de droits de propriété intellectuelle du fait de la présentation d'un NFT sur une plateforme de vente en ligne. Le 8 février 2023, la société Hermès avait obtenu devant une juridiction américaine (tribunal fédéral de Manhattan à New York) la condamnation, pour contrefaçon de ses marques, d’un artiste américain qui avait créé une série de NFT, dénommés « metabirkin », représentant des sacs à main en fourrure inspirés du sac « Birkin ».

[2] Sur la contrefaçon de marques figuratives et/ou tridimensionnelles représentant un fermoir, notamment de la société Hermès, voir également une sélection de décisions intéressantes : TGI Paris, 3e ch., 4e sect., 22 sept. 2016, Balenciaga SA c. Loli Chauss SARL, 15/12000 (D20160184) ; CA Paris, pôle 5, 1re ch., 27 janv. 2015, Julma SARL c. Bottega Veneta SA et al., 13/04001 (M20150077 ; PIBD 2015, 1026, III-301) ;  CA Paris, pôle 5, 2e ch., 17 janv. 2014, Louis Vuitton Malletier SA c. Concept Group International SARL et al., 12/23688 (M20140018 ; PIBD 2014, 1004, III-353) ; TGI Paris, 3e ch., 4e sect., 25 avr. 2013, Hermès International et al. c. Isabelle Laverny SARL et al., 12/06849 ; CA Paris, pôle 5, 2e ch., 20 mai 2011, H&M Hennes & Mauritz SARL c. Louis Vuitton Malletier SA, 10/10756 (D20110113 ; PIBD 2011, 944, III-498) ; CA Paris, pôle 5, 2e ch., 2 juill. 2010, JN Plus SARL c. Salvatore Ferragamo Italia SpA, 09/14025 (M20100363) ; TGI Paris, 3e ch., 3e sect., 17 mars 2010, Salvatore Ferragamo Italia c. Comptoir Lux SARL, 07/16440 (M20100172 ; PIBD 2010, 919, III-361) ; CA Paris, 4e ch., sect. B, 13 juin 2008, Louis Vuitton Malletier SA c. Heyraud SA, 07/16383 (M20080415 ; PIBD 2008, 882, III-564) ; TGI Paris, 3e ch., 2e sect., 9 nov. 2007, Louis Vuitton Malletier SA c. Texier SA et al., 06/04603 (M20070628).

[3]Sur la question de la responsabilité du dirigeant d'une société ayant commis des actes de contrefaçon, voir également une décision récente relative à l’atteinte aux droits d’auteur de la société Hermès Sellier sur des motifs de carrés de soie : TJ Lyon, 3e ch., 7 janv. 2025, Hermès Sellier SAS c. Société YM et al., 23/03036 (D20250001). Dans cette affaire, le tribunal a retenu que le dirigeant avait participé intentionnellement à la commission des actes contrefaisants, ceux-ci recélant une particulière gravité incompatible avec l’exercice normal de ses fonctions sociales. Il avait fait réaliser les produits contrefaisants à partir de photographies trouvées sur Internet et ne les avait pas retirés de la vente malgré les mises en demeure de la société Hermès.