Jurisprudence
Brevets

Demande de CCP pour un médicament - Identification de la 1re AMM d’un produit

PIBD 1244-III-1
CA Paris, 17 janvier 2025

Demande de CCP - Médicament - Pluralité d'AMM - Identification de la 1reAMM - Compétence de l’INPI (oui) - Produit - Principe actif - Droit de l'UE - Domaines thérapeutiques différents

Texte

C’est à juste titre que l’INPI a rejeté la demande de certificat complémentaire de protection (CCP) portant sur le produit « Ciclésonide ou un sel pharmaceutiquement acceptable de celui-ci ». Il a retenu que cette demande ne répondait pas aux exigences de l’article 3, d), du règlement (CE) 469/2009 concernant le CCP pour les médicaments, selon lequel le certificat est délivré si l’autorisation de mise sur le marché (AMM) en cours de validité est la première AMM du produit, en tant que médicament.

En l’espèce, la demande de CCP a été faite sur la base d’un brevet européen intitulé « Ciclésonide pour le traitement de maladies respiratoires chez les chevaux ». Elle vise une AMM communautaire pour la spécialité pharmaceutique à usage vétérinaire « Aservo EquiHaler ». Antérieurement, plusieurs AMM avaient été délivrées par l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) pour la spécialité à usage humain « Alvesco » (40, 80 et 160 microgrammes/dose).

L’INPI n’a pas excédé ses pouvoirs en recherchant la première AMM pour le principe actif invoqué.

L’AMM communautaire invoquée par la requérante a été délivrée par l'Agence européenne des médicaments (EMA), suite à une procédure administrative initiée en vertu de la directive 2001/82/CE instituant un code communautaire relatif aux médicaments vétérinaires. La requérante expose que la décision de délivrance de cette AMM vétérinaire indiquait qu'il s'agissait d'une première AMM pour un médicament à usage vétérinaire et que cette qualification s'imposait à l'INPI.

Toutefois, le Comité des médicaments vétérinaires ne se prononce qu'au regard de la règlementation sur les médicaments à usage vétérinaire et n'a pas vocation à connaître des médicaments à usage humain. Par conséquent, en l'espèce, seul l'INPI devait rechercher la première AMM pour le principe actif invoqué.

À cet égard, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), dans son arrêt Pharmacia Italia[1], a considéré que « le critère déterminant pour la délivrance du certificat n'est pas la destination du médicament, […] que l'objet de la protection conférée par le certificat concerne toute utilisation du produit, en tant que médicament, sans qu'il y ait lieu de distinguer l'utilisation du produit en tant que médicament à usage humain de celle à usage vétérinaire ». Eu égard à la teneur de la question de droit posée à la CJUE dans cette affaire, l'INPI a pu, sans encourir de critique, se référer à cette décision à laquelle la Cour de justice a d'ailleurs elle-même renvoyé ultérieurement, notamment dans son arrêt Santen[2].

Dans ce dernier, la CJUE a rappelé que la notion de « produit » au sens de l'article 1er, b), du règlement (CE) n° 469/2009 doit être définie strictement. Se référant à l'arrêt Pharmacia Italia précité, elle a notamment indiqué que « la notion de "produit", au sens du règlement (CE) n° 469/2009, n'est pas dépendante de la manière dont ce produit est utilisé et que la destination du médicament ne constitue pas un critère déterminant pour la délivrance d'un CCP ». La Cour de justice a ajouté que « cette conception stricte de la notion de "produit" s'est matérialisée à l'article 1er, b), du règlement (CE) n° 469/2009 lequel définit ladite notion par référence à un principe actif ou à une composition de principes actifs et non pas à l'application thérapeutique d'un principe actif protégé par le brevet de base ou d'une combinaison de principes actifs protégée par ledit brevet » et que « l'article 1er, b), du règlement (CE) n° 469/2009 doit être interprété en ce sens que le fait qu'un principe actif, ou une combinaison de principes actifs, soit utilisé aux fins d'une nouvelle application thérapeutique ne lui confère pas la qualité de produit distinct dès lors que le même principe actif, ou la même combinaison de principes actifs, a été utilisé aux fins d'une autre application thérapeutique déjà connue ».

En outre, se référant à son arrêt Abraxis[3], la CJUE a également rappelé que « l'analyse des termes de l'article 3, d), [du règlement (CE) n° 469/2009] suppose que la première AMM du produit en tant que médicament, au sens de cette disposition, désigne la première AMM d'un médicament incorporant le principe actif ou la combinaison de principes actifs en cause et ce quelle qu'ait été l'application thérapeutique de ce principe actif, ou de cette combinaison de principes actifs, pour laquelle cette AMM a été obtenue ».

En rejetant la demande de CCP, l’INPI n’a pas méconnu l’objectif du règlement n° 469/2009. Si celui-ci vise à encourager la recherche dans le secteur pharmaceutique de nouveaux médicaments, la CJUE a rappelé dans l’arrêt Abraxis précité que le législateur de l'Union a entendu, en instituant le régime du CCP, favoriser la protection non pas de toute recherche pharmaceutique donnant lieu à la délivrance d'un brevet et à la commercialisation d'un médicament, mais de celle qui conduit à la première mise sur le marché d'un principe actif ou d'une combinaison de principes actifs en tant que médicament, et qu'il convient de tenir compte de tous les intérêts en jeu, y compris ceux de la santé publique, dans un secteur aussi complexe et sensible que le secteur pharmaceutique.

En l'espèce, la demande de CCP contestée fait référence à l'AMM communautaire pour le médicament « Aservo EquiHaler » ayant comme principe actif le « Ciclésonide ». Cependant, cette AMM n'est pas la première pour le produit tel que ci-dessus défini puisque plusieurs AMM antérieures pour des traitements de l'asthme persistant chez l'homme, ayant comme principe actif la « Ciclésonide », avaient été délivrées pour les spécialités « Alvesco ».

Ces AMM antérieures constituent donc bien les premières AMM pour le principe actif en cause.

En conséquence l'INPI, qui n'est pas lié par la décision de l’EMA qui a qualifié de nouvelle substance active le Ciclésonide, a donc décidé à juste titre que les conditions fixées à l'article 3, d), du règlement (CE) n° 469/2009, qui sont d'interprétation stricte, n’étaient pas réunies.

Cour d’appel de Paris, pôle 5, 2e ch., 17 janvier 2025, 23/13461 (B20250002)
Boehringer Ingelheim Vetmedica GmbH c. INPI
(Rejet recours c. décision INPI, 14 avr. 2023)

[1] CJCE, 5e ch., 19 oct. 2004, Pharmacia Italia, C‑31/03. Dans cette affaire, la question posée à la Cour de justice était la suivante : « Le fait qu’un produit a obtenu dans un État membre une [AMM] en tant que médicament à usage vétérinaire avant la date fixée à l’article 19, § 1, du règlement n° 1768/92 fait-il obstacle à ce qu’un certificat complémentaire de protection soit délivré dans un autre État membre de la Communauté sur la base d’un médicament à usage humain autorisé dans cet État membre, ou seule la date à laquelle le produit a été autorisé dans la Communauté en tant que médicament à usage humain est-elle prise en compte ? ».

[2] CJUE, gr. ch., 9 juill. 2020, Santen, C-673/18 (B20200023 ; PIBD 2020, 1143, III-1 avec une note de V. Landais et I. Lemont Spire ; D IP/IT, sept. 2020, p. 460, N. Maximin ; Propr. industr., oct. 2020, études 21, P. Debré, G. Bourout, S. Corbineau-Picci ; LEPI, 9, oct. 2020, n° 113n4, F. Herpe ; Propr. intellect., 77, oct. 2020, M. Dhenne).

[3] CJUE, 4e ch., 21 mars 2019, Abraxis Bioscience, C-443/17 (B20190016 ; PIBD 2019, 1114, III-176 ; Propr. industr., nov. 2019, p. 27, L. Dreyfuss-Bechmann ; Propr. industr., 7-8, juill. 2020, chron. 6, H. Gaumont-Prat).