Jurisprudence
Marques

Le dépôt d'une marque ne constitue pas un acte de contrefaçon

PIBD 1170-III-2
Cass. com., 13 octobre 2021

Contrefaçon de marque - Dépôt de marque - Droit de l’UE - Usage dans la vie des affaires - Usage pour des produits ou services - Risque de confusion - Fonction d'indication d'origine

Texte

L’interprétation par la Cour de cassation des articles L. 713-2, L. 713-3 et L. 716-1 du CPI, dans leur version antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019, selon laquelle le dépôt à titre de marque d'un signe contrefaisant constitue à lui seul un acte de contrefaçon, indépendamment de son exploitation, doit être reconsidérée à la lumière de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne.

Il ressort notamment de l’arrêt Daimler de la Cour de justice[1] que le titulaire d'une marque ne peut interdire l'usage par un tiers d'un signe similaire à sa marque, que si cet usage a lieu dans la vie des affaires, sans son consentement, pour des produits ou services identiques ou similaires à ceux visés par la marque, et porte atteinte ou est susceptible de porter atteinte, en raison d’un risque de confusion, à la fonction essentielle de la marque qui est de garantir la provenance du produit ou du service.

Or, la demande d'enregistrement d'un signe en tant que marque, même lorsqu'elle est accueillie, ne caractérise pas un usage pour des produits ou services, au sens de cette jurisprudence, en l'absence de tout début de commercialisation de produits ou services sous le signe. De même, aucun risque de confusion et, par conséquent, aucune atteinte à la fonction essentielle d'indication d'origine de la marque, ne sont susceptibles de se produire. Dès lors, une telle demande d’enregistrement ne constitue pas un acte de contrefaçon[2].

Cour de cassation, ch. com., 13 octobre 2021, 19-20.959 (B20210070 ; Dalloz Actualité, 28 oct. 2021, O. Wang)
Compagnie Méditerranéenne des Cafés SA c. Cafés Richard SA, Technopool SARL, Facotec SARL et al.
(Rejet pourvoi c. CA Paris, pôle 5, 2e ch., 17 mai 2019, 17/05308 ; B20190034)

[1] CJUE, 3 mars 2016, Daimler, C-179/15 (M20160160 ; PIBD 2016, 1049, III-367 ; Propr. industr., avr. 2016, p. 43, note d’A. Folliard-Monguiral ; JCP G, 11, 14 mars 2016, p. 518, note de F. Picod ; Comm. Com. Electr., 2016, comm. 32, C. Caron).

[2] La jurisprudence relative à la question de savoir si le dépôt à titre de marque d'un signe contrefaisant est susceptible de constituer un acte de contrefaçon n’est pas homogène. Dans l’arrêt ci-dessus publié, ainsi que dans un autre arrêt rendu le même jour avec une motivation identique (Cass. com., 13 oct. 2021, Wolfberger - Cave Coopérative Vinicole d'Eguisheim SCA c. Cécile A et al., 19-20.504 ; M20210238), la Cour suprême a dit, en se référant à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, que la demande d’enregistrement d’un signe en tant que marque ne constituait pas un tel acte. Dans l’affaire ayant donné lieu au second arrêt, les marques litigieuses n’avaient pas été enregistrées. Elle se différenciait en cela de celle de l’arrêt présentement publié, dans laquelle la marque litigieuse avait été enregistrée, puis annulée avant d’avoir été exploitée. Antérieurement à ces deux arrêts, la Cour suprême avait décidé à plusieurs reprises, suivie dans la plupart des cas par la cour d’appel de Paris, qu’un dépôt de marque constituait à lui seul un acte de contrefaçon, indépendamment de l’exploitation de la marque. Toutefois, certains juges du premier et, plus rarement, du second degré avaient marqué une résistance par rapport à cette position. Un exposé détaillé de la jurisprudence relative à cette question a été réalisé à l’occasion de la parution dans PIBD d’une décision de justice qui avait estimé que le dépôt des marques en cause ne constituait pas la contrefaçon de la marque invoquée (TGI Paris, 3e ch., 1re sect., 7 juin 2018, L’Oréal c. Guinot, 16/00463, M20180351, PIBD 2018, 1106, III-773 avec une note de S. Lepoutre ; Propr. intell., 70, janv. 2019, p. 61, J. Canlorbe ; Propr. industr., févr. 2019, p. 35, P. Tréfigny ; Propr. industr., sept. 2020, chron. 7, J. Cayron ; cette décision a été infirmée sur ce point par l’arrêt de la CA Paris, pôle 5, 2e ch., 13 déc. 2019, 18/15804, M20190345, PIBD 2020, 1134, III-8 ; voir également dans le même sens que cet arrêt d’appel : CA Paris, pôle 5, 1re ch., 14 mai 2019, Eastern Tomorrow (Jinjiang) Import & Export Co Ltd c. Bentley Motors Ltd, 16/15976, M20190123, PIBD 2019, 1122, III-398, Propr. intell., 72, juill. 2019, p. 71, p. 77, notes de J. Canlorbe ; CA Paris, pôle 5, 1re ch., 4 déc. 2018, Delage Boutique SARL c. Christina B, 16/22651, M20180468). Les deux arrêts de la Cour de cassation du 13 octobre 2021, qui marquent clairement un revirement de sa jurisprudence, devraient définitivement clore ce débat.