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La rubrique « Brèves de jurisprudence » offre un aperçu d'autres décisions en mettant l'accent sur un ou plusieurs points de droit intéressants. |
Validité du brevet européen (non) - Nouveauté (oui) - Activité inventive (non)
Une société, qui a pour activité l'acquisition et l'exploitation d'inventions, est titulaire d’un brevet européen intitulé « Priorités des services dans un réseau multi-cellulaire ». Elle a agi à l’encontre d’un opérateur de télécommunications auquel elle reproche d'avoir contrefait, dans le cadre de l'exploitation en France de son réseau de télécommunication mobile supportant notamment la technologie 4G, le procédé et le réseau de communication sans fil mettant en œuvre ce procédé, tels que divulgués par les revendications 1 et 15. La société défenderesse a soulevé la nullité de ces revendications. L'invention a notamment pour objet de proposer une technique améliorée de sélection d'une cellule cible dans un système de communication sans fil prenant en charge plus d'une norme de communication (2G et 3G). Elle couvre un procédé permettant de déterminer une attribution de cellule pour un utilisateur dans un réseau sans fil qui comporte une pluralité de types de cellules, et propose une table de priorités qui permet à l’opérateur de réseau d’associer facilement différents types de connexions demandées à une technologie et un type de cellule priorisés. Les revendications en cause présentent un caractère de nouveauté, contrairement à ce qui a été jugé en première instance, dès lors qu’aucune des antériorités opposées notamment un brevet américain portant sur un procédé de sélection d’une cellule, qui est cité dans la description du brevet européen - ne divulgue un procédé comprenant une table de priorités telle que prévue par la revendication 1, ni un réseau de communication sans fil ayant la même forme et le même agencement que celui divulgué par la revendication 15. En revanche, en combinant le brevet américain, qui constitue l’état de la technique le plus proche, avec l’un des documents opposés au titre de la nouveauté et ensuite avec un autre, la personne du métier (un ingénieur spécialiste des technologies de communication mises en œuvre dans les réseaux mobiles) saura, sans faire preuve d'activité inventive, établir une table de priorités telle que définie par l’invention. Par conséquent, le brevet est partiellement annulé.
CA Paris, pôle 5, 2e ch., 21 févr. 2025, Intellectual Ventures I LLC c. Société Française du Radiotéléphone SFR SA et al., 23/02586 (B20250015)1
(Confirmation TJ Paris, 3e ch., 3e sect., 8 nov. 2022, 18/00407 ; jugement rectifié par TJ Paris, 3e ch., 3e sect., 6 déc. 2022, 22/13838)
1La cour d’appel a rendu, le même jour, un arrêt très similaire dans une affaire opposant le titulaire du même brevet à un autre opérateur de télécommunications (CA Paris, pôle 5, 2e ch., 21 févr. 2025, Intellectual Ventures I LLC c. Bouygues Telecom SA et al., 23/02592 ; B20250014).
Concurrence parasitaire - Imitation d’une gamme de produits
Les deux sociétés demanderesses viennent aux droits d’une maison de joaillerie qui commercialise, depuis 1968, une gamme de bijoux de luxe dénommée « Alhambra », ayant pour motif un trèfle quadrilobé en pierre dure semi-précieuse, avec un contour en métal précieux perlé ou lisse. Elles ont fait assigner en concurrence parasitaire deux sociétés spécialisées dans la distribution de produits de luxe, en leur reprochant d’avoir lancé une collection de bijoux dénommée « Color Blossom », caractérisée par un motif de trèfle quadrilobé en pierre dure semi-précieuse, avec un contour en métal précieux, inséré dans un cercle. Par l’arrêt attaqué, la cour d’appel a jugé que les défenderesses n'avaient pas eu la volonté de se placer dans le sillage des demanderesses. Le pourvoi est rejeté. La cour d’appel a en effet examiné séparément chacun des éléments invoqués par les demanderesses (captation des spécificités du motif de trèfle et de la structure particulière de la collection « Alhambra », déclinaison de la gamme de bijoux dans les mêmes couleurs…) et les a appréhendés dans leur globalité, sans méconnaître les ressemblances entre les deux collections en cause. Après avoir relevé que le modèle de trèfle de la collection « Alhambra » était un produit emblématique et notoire de la maison de joaillerie et qu’Il représentait ainsi une valeur économique individualisée, elle a constaté que le motif de la collection « Color Blossom » ne reprenait pas l’ensemble des caractéristiques de ce modèle. Elle a considéré que les défenderesses s’étaient plutôt inspirées de la fleur quadrilobée1 apparaissant sur leur propre toile monogrammée, devenue iconique, qui est utilisée depuis 1896 pour confectionner de la maroquinerie de luxe. La cour d’appel a retenu par ailleurs que c’est pour s'inscrire dans la tendance de la mode, à l’instar d’autres joaillers, que les défenderesses ont utilisé des pierres semi-précieuses de couleur, cerclées par un contour en métal précieux.
Cass. com, 5 mars 2025, Richemont International SA et al. c. Louis Vuitton Malletier SAS et al., 23-21.157 (M20250049)
(Rejet pourvoi c. CA Paris, pôle 5, 2e ch., 23 juin 2023, 21/19404 ; M20230087 ; PIBD 2023, 1212, III-4 ; Les MÀJ Irpi, 50, juill. 2023, p. 28, A. G. Madinda)
1 Le dessin de cette fleur a fait l’objet, en 1996, d’un dépôt de marque pour désigner les articles de bijouterie. La cour d’appel avait estimé que l'existence de cette marque, bien que conférant à l'une des sociétés défenderesses un droit de propriété sur le signe, ne rendait pas l'action en concurrence parasitaire dénuée de tout fondement à son encontre, l’usage de ce signe devant respecter les usages loyaux du commerce et ne pas se faire dans des conditions fautives. Toutefois, aucun acte parasitaire n'avait été caractérisé.
Responsabilité contractuelle du cabinet de conseil en PI (non) - Recherche d’antériorités - Obligation de moyens
La société demanderesse a confié à un cabinet de conseil en propriété industrielle (CPI) une mission de recherche d'antériorité visant à évaluer la disponibilité de ses nouveaux logos. Le cabinet a ensuite déposé trois marques pour son compte. Considérant que le cabinet avait engagé sa responsabilité en n'attirant pas son attention sur une marque déposée par une société tierce, qu’il n’avait pas retenue en tant qu’antériorité, la société demanderesse a sollicité de sa part le remboursement de l’indemnité transactionnelle qu’elle a dû verser au titulaire de cette marque. L'obligation de rechercher pesant sur le CPI est une obligation de moyens, qui n'emporte pas une obligation de « trouver » une antériorité, en raison de l’aléa affectant le résultat des diligences à accomplir. En l’espèce, la faute du cabinet ne saurait être retenue au motif de l'absence de diligences appropriées. Il a en effet eu recours à une base de données pertinente et de référence. De plus, la marque antérieure a été déposée moins d'un mois et demi avant les recherches confiées, ce qui apparaît comme un élément d'explication de son absence de référencement à la date des recherches. Le cabinet a également rempli son obligation d'information et de conseil, en attirant l'attention de la société demanderesse sur le fait qu’une société chinoise était titulaire de droits sur des logos proches et qu'un risque de confusion pouvait être retenu en justice. Par ailleurs, ayant écrit non pas qu'aucune marque « n'existe » mais qu'aucune marque n'est « apparue » aux termes des recherches effectuées, il n’a pas affirmé l'absence d'antériorité gênante. Enfin, la brièveté des recherches (six jours) n’est pas le fait du cabinet mais de la société demanderesse, qui était pressée, ayant déjà commencé à utiliser le logo en cause, de sorte que le cabinet a dû travailler dans des délais contraints. Aucun manquement ne saurait donc être retenu à son encontre.
TJ Paris, 4e ch., 2e sect., 6 févr. 2025, Fichet Security Solutions France SAS c. Cabinet X SAS, 21/08172 (M20250030)
Atteinte à l’IGP et aux labels rouges (oui) - Pratiques commerciales trompeuses (oui)
Constitue une atteinte à l’indication géographique protégée (IGP) « Huîtres Marennes Oléron », l’usage par une société de signes identiques ou similaires, pour faire la promotion ou offrir à la vente des huîtres, qui d’une part, ne sont pas produites par un ostréiculteur habilité à produire et à commercialiser des huîtres protégées par l’IGP, et d’autre part, ne répondent pas aux conditions fixées par son cahier des charges. Ces agissements, qui ont nécessairement induit dans l’esprit du public un risque de confusion quant à l’origine des produits, constituent une contrefaçon au sens de l’article L. 722-1 du CPI. Ils forment également une violation de l’interdiction d’utiliser frauduleusement une IGP, prévue à l’article L. 432-4 3° du Code de la consommation, ainsi que des pratiques commerciales trompeuses. En effet, la société défenderesse a commercialisé ses produits sous des indications inexactes et de nature à induire les consommateurs en erreur sur les caractéristiques essentielles des produits ou sur leur origine, les rendant susceptibles de modifier leur comportement économique, en passant commande auprès de la défenderesse au détriment des ostréiculteurs membres de l’association demanderesse. De même, en faisant usage de termes quasi identiques aux labels rouges « Fines de Claires Vertes » et « Pousse en Claire », ainsi que du logo « Label Rouge », pour promouvoir et commercialiser des huîtres insusceptibles de bénéficier de tels labels de qualité, la défenderesse a porté atteinte aux dispositions des articles L. 432-2 et L. 121-4 du Code de la consommation.
TJ Nanterre, pôle civ., 1re ch., 12 févr. 2025, Groupement Qualité Huîtres Marennes Oléron c. DEZ8 SAS, 23/05824
Atteinte à l’AOP (oui) - Nom de domaine - Usurpation et tromperie (oui)
Constitue une atteinte à l’appellation d’origine protégée (AOP) « Bordeaux » ainsi qu’une usurpation et une tromperie son utilisation, au sein d’un nom de domaine et à titre d’enseigne, par la société défenderesse qui édite le site marchand lesvinsdebordeaux.com. Elle peut utiliser l’AOP pour commercialiser du vin produit conformément au cahier des charges correspondant à cette appellation. Toutefois, l’usage de l’appellation « Bordeaux », à la fois comme nom de domaine et pour désigner à titre d’enseigne un site de vente en ligne et son contenu, à laquelle sont adjoints les mots « les vins de », ce qui est de nature à renforcer le lien avec l’appellation, caractérise non seulement une appropriation illicite de l’appellation mais aussi une utilisation commerciale directe et indirecte de celle-ci. En effet, cette utilisation manifeste une exploitation de sa réputation. En outre l’utilisation de l’appellation d’origine « Bordeaux », précédée des termes « les vins » à titre d’enseigne pour désigner un site commercialisant des vins bénéficiant de l’AOP mais également des vins n’en bénéficiant pas, constitue une usurpation de l’appellation d’origine ainsi qu’une tromperie au sens de l’article 103 du Règlement UE 1308/2013. En effet cette pratique est susceptible d’induire en erreur le consommateur quant à la véritable origine du produit. Elle constitue également une exploitation de la notoriété immense de l’AOP, de nature à affaiblir sa réputation, à plus forte raison lorsque sont commercialisés sur un tel site des vins ne répondant pas au cahier des charges de l’appellation.
TJ Paris, 3e ch., 1re sect., 20 févr. 2025, Institut national de l’origine et de la qualité (INAO) et al. c. LVDB SAS, 23/04999



