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Suites d’une question préjudicielle - Contrefaçon de la marque Saint Germain et réparation du préjudice pour les faits antérieurs à la déchéance

PIBD 1185-III-3
CA Paris, 25 mars 2022, avec une note de Sylvie Lepoutre

Contrefaçon de la marque semi-figurative (oui) - Droit de l’UE - Faits antérieurs à la déchéance de la marque - Similitude visuelle, phonétique et intellectuelle - Partie verbale - Élément dominant - Risque de confusion ou d’association

Préjudice - Droit de l’UE - Réparation du préjudice réellement subi - Absence d’usage de la marque - Redevance forfaitaire

Texte
Marque n° 3 395 502 de Laurent B
Texte

Ainsi que l’a clairement rappelé la Cour de cassation dans cette affaire, à la suite de l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne à laquelle elle avait posé une question préjudicielle, la déchéance d'une marque ne produisant effet qu'à l'expiration d'une période ininterrompue de cinq ans sans usage sérieux, le titulaire de la marque peut se prévaloir de l'atteinte portée à ses droits qu'ont pu lui causer les actes de contrefaçon intervenus avant la déchéance et demander l’indemnisation de son préjudice. L'absence d'exploitation de la marque est indifférente. En effet, au cours de la période de cinq ans suivant l'enregistrement de la marque, dite « délai de grâce », le risque de confusion, incluant le risque d'association, s'apprécie par référence aux éléments résultant de l'enregistrement de la marque.

La contrefaçon de la marque semi-figurative Saint Germain, qui désigne notamment les alcools et spiritueux, par l’usage du signe semi-figuratif « St-Germain » pour commercialiser des liqueurs de sureau est caractérisée. En effet, ces expressions, qui seront utilisées par le consommateur pour désigner le produit qu'il souhaite acquérir, constituent l'élément dominant des signes en cause, les éléments graphiques ajoutés écriture manuscrite pour la marque antérieure, cartouche noir entouré d'un liseré doré pour le signe contesté ne leur faisant pas perdre ce caractère.

Selon les dispositions de l’article 13, § 1, al. 1, de la directive 2004/48/CE, les dommages-intérêts doivent être adaptés au préjudice que le titulaire de la marque a réellement subi. Selon la Cour de justice, si l'absence d'usage de la marque contrefaite ne s'oppose pas au principe d'une indemnisation, cette circonstance reste un élément important à prendre en compte pour déterminer l'existence et, le cas échéant, l'étendue du préjudice subi par le titulaire.

En l’espèce, les préparatifs en vue de l’exploitation de la marque Saint Germain (étude de marché, commande de visuels et d’emballages) sont antérieurs à l'usage du signe litigieux et il n'est pas démontré que leur cessation a été causée par les faits de contrefaçon. Le titulaire demande l'allocation d'une somme forfaitaire telle que prévue à l'article L. 716-14 al. 2 du CPI, devenu l’article L. 716-4-10 depuis l’ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019. Il ne peut néanmoins prétendre à une indemnisation correspondant au montant des redevances de licence ou de droits dus équivalente à celle octroyée au titulaire d’une marque exploitée, en raison de la faible valeur économique de sa marque et du peu d'investissements consentis, notamment publicitaires, pour la faire connaître sur le marché. En conséquence, la marque contrefaite n'ayant jamais été exploitée et la redevance d'exploitation de 5 %, basée sur le chiffre d'affaires du contrefacteur et de ses fournisseurs, n'apparaissant pas pertinente pour réparer le préjudice réellement subi – sachant en outre que la grande majorité des produits litigieux était destinée à l’exportation –, l'allocation d'une redevance forfaitaire annuelle sur la période concernée par les actes de contrefaçon sera plus adaptée.

Cour d’appel de Paris, pôle 5, 2e ch., 25 mars 2022, 21/07274 (M20220108)
Laurent B c. Cooper Spirits International, ST Dalfour SASU et Établissements Gabriel Boudier SAS
(Infirmation TGI Paris, 3e ch., 2e sect., 16 janv. 2015, 12/10354, M20150012, PIBD 2015, 1022, III-169 ; sur renvoi après cassation partielle CA Paris, pôle 5, 1re ch., 13 sept. 2016, 15/04749, M20160425, PIBD 2016, 1062, III-967, Propr. intell., 63, avr. 2017, p. 66, note de J. Canlorbe ; Cass. com., 4 nov. 2020, 16-28.281, M20200228, PIBD 2020, 1150, III-3, D, 40, 19 nov. 2020, p. 2238, Propr. industr., janv. 2021, comm. 6, P. Tréfigny, L'Essentiel, janv. 2021, p. 6, note de D. Lefranc, Légipresse, 397, nov. 2021, p. 570, note de M.-S. Bergazov)

Titre
NOTE :
Texte

L’arrêt de la cour d’appel de renvoi ci-dessus publié marque le probable aboutissement d’une affaire ayant débuté il y a une dizaine d’années, qui a été portée devant les plus hautes instances française et européenne. Cette affaire concerne le point de savoir si le titulaire d'une marque, qui ne l'a jamais exploitée et a été déchu de ses droits sur celle-ci à l'expiration du délai de cinq ans suivant son enregistrement, peut obtenir gain de cause sur le fondement de la contrefaçon et demander l'indemnisation de son préjudice, en invoquant une atteinte portée à la fonction essentielle de garantie d’origine de sa marque antérieurement à la date d’effet de la déchéance.

Le titulaire de la marque semi-figurative Saint Germain, désignant notamment des boissons alcooliques et des spiritueux, a agi, le 8 juin 2012, en contrefaçon à l'encontre de la société Cooper International Spirits qui distribue une liqueur de sureau sous la dénomination « St-Germain », ainsi qu'à l'encontre des fabricants de cette liqueur. Dans une instance parallèle l’opposant à une autre société, il a été partiellement déchu de ses droits sur celle-ci à compter du 13 mai 2011. Ainsi, la cour d’appel de Versailles[1] a estimé qu’il avait échoué à établir l’usage sérieux de sa marque depuis son enregistrement pour les produits précités. Le titulaire de la marque a alors maintenu sa demande en contrefaçon pour la période antérieure à la déchéance et non couverte par la prescription.

Confirmant la décision de première instance, la cour d'appel de Paris[2] a rejeté la demande en contrefaçon par imitation de la marque Saint Germain. Elle a considéré que « l'appréciation du risque de confusion dans l'esprit du public, qui doit s'opérer globalement en considération de l'impression d'ensemble produite par les marques, suppose que la marque invoquée ait fait l'objet d'une exploitation la mettant au contact des consommateurs ». Elle a ajouté que les éléments versés aux débats, s’ils établissaient la réalité de préparatifs en vue du lancement d’une crème de cognac dénommée « Saint Germain » et la participation de la société appartenant au titulaire de la marque à des salons professionnels, ne suffisaient cependant pas à démontrer que la marque avait été effectivement mise au contact du public.

Ayant relevé que le titulaire échouait ainsi à démontrer que sa marque avait été réellement exploitée, la cour d’appel a estimé que celui-ci ne pouvait arguer d'une atteinte à la fonction de garantie d'origine de cette marque, ni d'une atteinte portée au monopole d'exploitation conféré par la marque, ni encore d'une atteinte à la fonction d'investissement de celle-ci. Cette solution a reçu un accueil contrasté de la part de la doctrine[3]. À notre connaissance, c’est la première fois que le principe précité a été énoncé par la jurisprudence française.

En 2011, la Cour de cassation s’était prononcée sur la question de l’appréciation du risque de confusion alors que la marque invoquée n’avait pas été exploitée. Dans cette affaire, la marque avait été déclarée déchue en première instance pour les produits invoqués à l’appui de l’action en contrefaçon. La cour d’appel de Lyon[4] avait rejeté la demande en contrefaçon en retenant que les cotitulaires de la marque n’étaient pas en mesure d'établir un risque de confusion dans l'esprit du public qui ignorait la marque, faute de sa présence sur le marché. Le moyen invoqué à l’appui du pourvoi, qui reprochait aux juges d’appel de s’être fondés seulement sur l’absence de notoriété de la marque pour conclure à une absence de risque de confusion, et qui soutenait que ce dernier devait s’apprécier globalement en prenant en compte trois critères cumulatifs dont la connaissance de la marque sur le marché, a été écarté par la Cour de cassation[5].

Il semblerait par conséquent que cet arrêt relève plus du sujet de l’appréciation globale du risque de confusion au regard des facteurs pertinents, tels que dégagés par la jurisprudence. À cet égard, un autre arrêt de la Cour de cassation[6], rendu également en 2011, a énoncé, pour la première fois à notre connaissance, le principe selon lequel « le risque de confusion doit s’apprécier globalement par référence au contenu des enregistrements des marques, vis-à-vis du consommateur des produits tels que désignés par ces enregistrements et sans tenir compte des conditions d’exploitation des marques »[7]. Le moyen du pourvoi prétendait que le risque de confusion devait s’apprécier globalement en tenant compte du niveau d’attention du consommateur, des conditions d’exploitation des produits ou services désignés et, enfin, de la notoriété de la marque première. Cet arrêt mérite l’attention bien que la question de l’absence d’exploitation de la marque invoquée ne soit pas abordée dans cette affaire.

Dans la majorité des décisions relatives à une action en contrefaçon de marque à laquelle était opposée une demande reconventionnelle en déchéance, totalement ou partiellement accueillie, les juges du fond ont examiné classiquement la contrefaçon, pour la période antérieure à la déchéance, sans se pencher sur le point de savoir si le titulaire de la marque pouvait se prévaloir de son droit exclusif en l'absence d'exploitation de son signe.

Deux jugements – rendus postérieurement à l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 13 septembre 2016 dans l’affaire de la marque Saint Germain – semblent toutefois marquer une timide évolution des juges du fond.

Ainsi, dans une affaire où il a été jugé que la marque invoquée, dont la déchéance avait été prononcée pour certains services, était contrefaite, le tribunal de grande instance de Paris[8] a souligné que l'usage du signe litigieux, antérieurement à la date de prise d'effet de la déchéance des droits du demandeur sur sa marque, était bien effectué pour désigner des services identiques à ceux qui étaient visés à l'enregistrement de la marque. Faisant écho au principe dégagé par le second arrêt de la Cour de cassation précité rendu en 2011, il a ajouté que la contrefaçon s'appréciant par référence à l'enregistrement de la marque, les conditions d'exploitation du signe par le titulaire de la marque étaient indifférentes. Il a conclu que la reproduction de la marque verbale invoquée était constituée, en relevant qu’il importait peu que celle-ci ait été exploitée par son titulaire sous une forme particulière différente de celle sous laquelle le signe litigieux était exploité.

Dans une décision ayant rejeté la demande en contrefaçon d'une marque, le tribunal de grande instance de Paris[9], qui avait fait droit à la demande en déchéance partielle, a énoncé que les produits à comparer, afin d’apprécier la contrefaçon, étaient, d'une part, les produits tels que désignés dans l'enregistrement de la marque invoquée, et non les produits tels qu'exploités par son titulaire, et, d'autre part, les produits tels qu'enregistrés dans la marque postérieure ainsi que les produits argués de contrefaçon, tels qu'exploités.

Ce dernier jugement pourrait s'être inspiré de l'arrêt Länsförsäkringar[10] de la Cour de justice de l’Union européenne. Dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, la société demanderesse avait agi sur le fondement de la violation du droit exclusif conféré par sa marque figurative de l’Union européenne, en vertu de l’article 9, § 1, b), du règlement (CE) n° 207/2009, devant une juridiction suédoise. Le Svea hovrätt (cour d’appel de Svea) a considéré que le logo litigieux était similaire à la marque invoquée. Les juges d’appel ont toutefois estimé que l’examen de la similitude des produits et des services en cause devait être effectué sur la base, non de l’enregistrement de cette marque, mais de l’activité réellement exercée par son titulaire. Ils ont ainsi conclu, dans le cadre d’une appréciation globale, qu’il n’existait pas de risque de confusion entre les signes. Saisie d’un pourvoi, la Cour suprême suédoise a posé des questions préjudicielles.

La Cour de justice a relevé que l'article précité du règlement ne contient pas de précision quant à l'usage que le titulaire doit avoir fait de sa marque de l'Union européenne afin de pouvoir se prévaloir de son droit exclusif. Toutefois, elle a constaté qu’en établissant une règle de déchéance de la marque pour défaut d’usage quinquennal, le législateur de l’Union a entendu soumettre le maintien des droits liés à la marque à la condition qu’elle soit effectivement utilisée. Elle a jugé que les articles 15, § 1, et 51, § 1, a) du règlement confèrent au titulaire un délai de grâce pour entamer un usage sérieux de sa marque, au cours duquel il peut se prévaloir du droit exclusif conféré par celle-ci pour l'ensemble des produits et services visés, sans devoir démontrer un tel usage. La Cour a ajouté que, pour déterminer si les produits ou les services du prétendu contrefacteur présentent une identité ou une similitude avec ceux couverts par la marque de l’Union européenne, il convient d’apprécier, au cours de la période de cinq ans suivant l’enregistrement, l’étendue du droit exclusif en ayant égard aux produits et aux services, tels que visés par l’enregistrement de la marque, et non pas par rapport à l’usage que le titulaire a pu faire de cette marque pendant cette période.

Dans l’affaire de la marque Saint Germain, saisie d’un pourvoi contre le premier arrêt de la cour d’appel de Paris, la Cour de cassation[11] a décidé de poser une question préjudicielle à la Cour de justice, ce qui est rare en droit de la propriété industrielle. Elle a notamment souligné que, à la différence de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Länsförsäkringar ­qui visait une hypothèse dans laquelle la déchéance de la marque n’était pas encourue, le titulaire de la marque Saint Germain avait été déclaré déchu de ses droits en cours de procédure. Dans les motifs justifiant le renvoi préjudiciel, la Cour de cassation a notamment exposé les arguments du titulaire de la marque selon lequel le risque de confusion doit être apprécié de façon abstraite, en se référant à l’objet de l’enregistrement de la marque invoquée, le cas échéant non exploitée, et non par rapport à une situation concrète sur le marché. La question posée, inédite selon la Cour de cassation, concerne le point de savoir s'il peut avoir été porté atteinte à la fonction essentielle de la marque, à raison d'un risque de confusion dans l'esprit du public, au sens de l'article 5, § 1, b), de la directive 2008/95/CE, quand son titulaire n'a pas mis à profit le délai de grâce de cinq ans prévu par les articles 10, § 1, al. 1, et 12, § 1, al. 1, de la directive pour entamer un usage sérieux de sa marque, au point d'être déchu de ses droits à l'expiration de ce délai. Soit, en d’autres termes, si la fonction essentielle de la marque non exploitée a pu être compromise par l'utilisation par un tiers, au cours de cette période, d'un signe similaire pour des produits ou services identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque avait été enregistrée.

La Cour de justice[12] a répondu que les articles précités de la directive, lus conjointement avec le considérant 6, doivent être interprétés en ce sens qu'ils laissent aux États membres la faculté de permettre que le titulaire d'une marque déchu de ses droits à l'expiration du délai de cinq ans à compter de son enregistrement, pour défaut d'usage sérieux, conserve le droit de réclamer l'indemnisation du préjudice subi en raison de l'usage, par un tiers, antérieurement à la date d'effet de la déchéance, d'un signe similaire pour des produits ou des services identiques ou similaires prêtant à confusion avec sa marque. La Cour a fait référence à l'arrêt Länsförsäkringar précité dont elle a jugé la jurisprudence pleinement transposable par analogie aux fins de l’interprétation des dispositions de la directive 2008/95/CE, dès lors que les articles 9, § 1, 15, § 1, et 51, § 1, du règlement n° 207/2009 correspondent en substance aux articles 5 § 1, 10, § 1, al. 1, et 12, § 1, al. 1, de la directive.

Comme relevé par l’avocat général dans ses conclusions, le législateur français a fait le choix de faire produire les effets de la déchéance d’une marque à compter de l’expiration d’un délai de cinq ans suivant son enregistrement[13]. La Cour de justice en a conclu que la législation française maintenait la possibilité pour le titulaire de la marque concernée de se prévaloir, après l’expiration du délai de grâce, des atteintes portées, au cours de ce délai, au droit exclusif conféré par la marque, même s’il a été déchu de ses droits.

Appliquant la solution retenue par la Cour de justice, la Cour de cassation[14] a censuré l'arrêt de la cour d’appel de Paris précité qui avait rejeté la demande en contrefaçon de la marque Saint Germain, pour violation des articles L. 713-3, b), et L. 714-5 du Code de la propriété intellectuelle, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019, tels qu’interprétés à la lumière des articles 5, § 1, b), 10 et 12 de la directive 2008/95/CE. Le présent arrêt de renvoi a déclaré la contrefaçon caractérisée en se conformant aux directives de la Cour de justice et de la Cour de cassation et a statué sur le montant des dommages-intérêts[15] à allouer à ce titre au titulaire pour la période antérieure à la déchéance de la marque contrefaite.

Selon l’article 17 de la directive (UE) 2015/2436 du 16 décembre 2015 relatif au non-usage comme moyen de défense dans une procédure en contrefaçon, « le titulaire d'une marque ne peut interdire l'usage d'un signe que dans la mesure où il n'est pas susceptible d'être déchu de ses droits conformément à l'article 19 [relatif à la déchéance pour défaut d'usage sérieux] au moment où l'action en contrefaçon est intentée ». Il ne s’agit donc plus d’une faculté offerte aux États membres de prévoir les effets de la déchéance sur une procédure en contrefaçon, comme c’était le cas avec l’article 11 § 3 de la directive 2008/95/CE. Cet article disposait en effet que « […] en cas de demande reconventionnelle en déchéance, un État membre peut prévoir qu’une marque ne peut être valablement invoquée dans une procédure en contrefaçon s’il est établi, à la suite d’une exception, que le titulaire de la marque pourrait être déchu de ses droits en vertu de l’article 12, § 1 [relatif à la déchéance pour défaut d’usage] ». L’article 17 poursuit : « À la demande du défendeur, le titulaire de la marque fournit la preuve que, durant la période de cinq ans ayant précédé la date d'introduction de l'action, la marque a fait l'objet d'un usage sérieux, […] pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée et que le titulaire invoque à l'appui de son action, ou qu'il existe de justes motifs pour son non-usage, sous réserve que la procédure d'enregistrement de la marque ait été, à la date d'introduction de l'action, terminée depuis au moins cinq ans ».

L’article L. 716-4-3, qui a été introduit dans le Code de la propriété intellectuelle par l’ordonnance n° 2019-1169 transposant la directive (UE) 2015/2436, dispose qu’une action en contrefaçon est déclarée irrecevable, sur requête du défendeur, lorsque le titulaire de la marque ne rapporte pas la preuve que celle-ci a fait l'objet, pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée et qui sont invoqués à l'appui de la demande, d'un usage sérieux au cours des cinq années précédant la date à laquelle la demande en contrefaçon a été formée, ou qu'il existait de justes motifs pour son non-usage. Il apporte une nouvelle limite au droit de propriété conféré par l’enregistrement de la marque, lorsque son titulaire ne l’a pas exploitée durant une période de non-usage de cinq ans, le défendeur pouvant désormais demander, comme simple moyen de défense, que soit justifié l’usage de la marque qui lui est opposée sans pour autant agir en déchéance de cette marque. Ces nouvelles dispositions n’ont pas encore fait, à notre connaissance, l’objet d’une application jurisprudentielle.

Sylvie Lepoutre
Rédactrice au PIBD

[1] CA Versailles, 12e ch., 11 févr. 2014, Laurent B c. Osez vous International Spirits LLC, 13/03973 (M20140056).

[2] CA Paris, pôle 5, 1re ch., 13 sept. 2016, 15/04749 (M20160425 ; PIBD 2016, 1062, III-967 ; Propr. intell., 63, avr. 2017, p. 66, note de J. Canlorbe) ; TGI Paris, 3e ch., 2e sect., 16 janv. 2015, 12/10354 (M20150012 ; PIBD 2015, 1022, III-169 ).

[3] Charles de Haas, qui ne conçoit pas la raison d'être de la marque en dehors de son usage, a vu sa position confortée (Propr. industr., janv. 2010, étude 1 « le non-sens d’une marque sans usage ou le vice fondamental du droit des marques français et européen » ; Propr. industr., nov. 2011, étude 17 « l’amorce de la révolution de notre droit des marques. À propos de l’arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 8 février 2011 »). Jérôme Passa a déclaré que l’arrêt était fort discutable (RTD Com, 2, avr.-juin 2020, p. 341). Julien Canlorbe a dit que cet arrêt avait adopté « une approche novatrice de l’appréciation de la contrefaçon » (Propr. intell., 70, janv. 2019, p. 57).

[4] CA Lyon, 1re ch. civ. A, 5 févr. 2009, 07/03291 (M20090785).

[5] Cass. com., 8 févr. 2011, Jacques A c. Albert A. et al., 09-13.610 (M20110070 ; PIBD 2011, 941, III-394 ) : « ayant constaté que MM. A qui ne contestaient pas que la marque "Kezako au moins c’est ? pas du hasard" n’avait pas été exploitée, n’ont pas été en mesure d’établir un risque de confusion dans l’esprit du public, la cour d’appel qui ne s’est pas bornée à relever le manque de notoriété de la marque Kezako, a légalement justifié sa décision ». Cet arrêt a été qualifié de « révolutionnaire » par Charles de Haas qui a estimé que la solution retenue « marque une nette rupture avec une tradition contraire consacrée depuis près de cinquante ans » (Propr. industr., nov. 2011, étude 17 citée en note 3). Selon Marc Sabatier, « une généralisation et une extension de la place attribuée aux conditions d’exploitation d’une marque dans l’appréciation du risque de confusion pourrait aboutir à réduire la protection normalement conférée à un enregistrement de marque » (Propr. intell., avr. 2011, n° 39, p. 222).

[6] Cass. com., 29 nov. 2011, H. Maheo SARL et al. c. Comptoir de l’Optic, 10-31.061 (M20110670 ; PIBD 2012, 954, III-72).

[7] Ce principe a été rappelé récemment par la Cour de cassation dans des affaires concernant une atteinte à un droit antérieur sur le fondement de l’article L. 711-4 du CPI dans sa version antérieure à l’ordonnance n° 2019-1169 : Cass. com., 14 avr. 2021, Thibault D et al. c. Capi SAS et al., 18-21.695 (M20210099 ; PIBD 2021, 1162, III-2) ; Cass. com., 5 avr. 2018, Capstone Properties SAS et al. c. Capstone SAS et al., 16-19.655 (M20180152 ; PIBD 2018, 1095, III-372 ; Propr. intell., 69, oct. 2018, p. 54, note de C. Le Goffic).

[8] TGI Paris, 3e ch., 1re sect., 30 mars 2017, Galaade Éditions SAS et al. c. SCAM, 15/18655 (M20170196).

[9] TGI Paris, 3e ch., 2e sect., 2 juin 2017, LT Piver et al. c. Bulgari France SAS et al., 16/01939 (M20170430).

[10] CJUE, 2e ch., 21 déc. 2016, Länsförsäkringar AB, C-654/15 (M20160659 ; PIBD 2017, 1067, III-175 ; JCP G, 10, 6 mars 2017, p. 432, note de J. Passa ; Europe, févr. 2017, p. 42, note de L. Idot ; Comm. com. électr., mars 2017, p. 25, note de C. Caron ; Légipresse, 354, nov. 2017, p. 572, note de Y. Basire).

[11] Cass. com., 26 sept. 2018, 16-28.281 (M20180336 ; PIBD 2018, 1103, III-657 ; L'Essentiel, 11, déc. 2018, p. 4, note de F. Herpe ; Propr. intell., 70, janv. 2019, p. 57, note de J. Canlorbe).

[12] CJUE, 5e ch., 26 mars 2020, AR, C-622/18 (M20200083 ; PIBD 2020, 1136, III-3 ; Propr. industr., mai 2020, comm. 30, A. Folliard-Monguiral ; RTD Com, 2, avr.-juin 2020, p. 341, note de J. Passa citée en note 3 ; L’Essentiel, juin 2020, note de F. Herpe).

[13] L'article L. 714-5 du CPI, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019, dispose que la déchéance d'une marque produit ses effets à l'expiration d'une période ininterrompue de cinq ans sans usage sérieux. Dans sa version modifiée, il dispose désormais que le point de départ de la période ininterrompue de cinq ans est fixé « au plus tôt à la date de l’enregistrement de la marque ». L’article L. 716-3 du CPI, tel que modifié, qui vise la nouvelle procédure de demande en déchéance d’une marque introduite devant l’INPI dispose que « la déchéance prend effet à la date de la demande ou, sur requête d’une partie, à la date à laquelle est survenu un motif de déchéance ».

[14] Cass. com., 4 nov. 2020, Laurent B c. Cooper International Spirits et al., 16-28.281 (M20200228 ; PIBD 2020, 1150, III-3 ; D, 40, 19 nov. 2020, p. 2238 ; Propr. industr., janv. 2021, comm. 6, P. Tréfigny ; L'Essentiel, janv. 2021, p. 6, note de D. Lefranc ; Légipresse, 397, nov. 2021, p. 570, note de M.-S. Bergazov).

[15] Dans le commentaire de l’arrêt Cooper, Arnaud Folliard-Monguiral détaille les éléments qui pourraient être pris en compte aux fins d’évaluation de l’indemnisation du préjudice résultant de la contrefaçon d’une marque non exploitée : (Propr. industr., mai 2020, comm. 30, citée en note 12). Le jugement du 30 mars 2017 précité (15/18655 ; M20170196 ; cité dans note 8) avait rejeté les demandes d'indemnisation du chef de la contrefaçon, en estimant que la reproduction de la marque pour exploiter des services, certes visés à l'enregistrement mais non exploités par le titulaire de la marque, n'était susceptible d'engendrer aucun préjudice financier pour celui-ci ni une banalisation de la marque susceptible de diminuer sa valeur patrimoniale.

 

N.B. : Toutes les décisions de justice citées peuvent être consultées, à l’aide notamment de leur référence (ex : M20210145), sur la base de jurisprudence de l'INPI accessible sur ce site via l'onglet « BASE DE JURISPRUDENCE ».

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