Rejet de la protection de la marque internationale figurative - Motif de surface - Caractère distinctif (non) - Aspect du produit - Norme ou habitudes du secteur - Caractère décoratif - Public pertinent - Consommateur d'attention moyenne - Fonction d'indication d'origine (non)
Est rejetée la demande de protection en France de la marque internationale constituée d’un motif répétitif à base d'éléments tridimensionnels disposés en quinconce, de forme triangulaire à bords arrondis et de surface convexe, évoquant des grains de maïs ou des gouttes d'eau ressortant en relief, qui vise des produits de bagagerie et de maroquinerie.
Selon la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), il est constant qu'en matière de marque tridimensionnelle, qui permet de protéger la forme d'un produit ou son conditionnement ou encore la forme caractérisant un service, dès lors que le consommateur n'a pas pour habitude de présumer l'origine des produits en se fondant sur leur forme ou celle de leur emballage, « seule une marque qui, de manière significative, diverge de la norme ou des habitudes du secteur […] est susceptible de remplir sa fonction essentielle d'origine [et] n'est pas dépourvue de caractère distinctif »[1]. Cette jurisprudence, développée au sujet des marques tridimensionnelles constituées par l'apparence du produit lui-même, vaut également lorsque la marque demandée est une marque figurative constituée par la représentation bidimensionnelle dudit produit ou encore lorsque la marque demandée est un signe constitué d'un motif appliqué à la surface d'un produit[2].
En l’espèce, la marque ne présente pas de divergences significatives par rapport aux normes habituelles du secteur des produits en cause .
Le motif de la marque constitue une variante des formes apparaissant communément sur les produits de maroquinerie pour des raisons purement décoratives et ne diffère pas, de manière significative, d'autres motifs présents dans le secteur considéré.
Dès lors, le signe composé de ce motif est dénué de caractère distinctif et n'apparaît donc pas de nature à permettre d'identifier l'origine commerciale des produits proposés.
Cour d’appel de Paris, pôle 5, 1re ch., 26 mars 2025, 23/13309 (M20250072)*
Tissa Fontaneda SL c. INPI
(Rejet recours c. décision INPI, 18 mai 2023)
NOTE :
Le 26 mars dernier, la cour d’appel de Paris a approuvé une décision de l’INPI ayant refusé d’accorder la protection en France à une marque internationale portant sur le signe figuratif ainsi décrit : « La marque consiste en un motif répétitif consistant en l'agencement sur une surface d'une pluralité d'éléments tridimensionnels disposés en quinconce. Ces éléments ont une base triangulaire à bords arrondis et leur surface extérieure est convexe. Le motif apparaîtra sur toute la surface des produits ou sur diverses parties des surfaces des produits ».
La marque est destinée à désigner des articles de bagagerie et de maroquinerie. La société demanderesse fait valoir qu’elle commercialise des articles de maroquinerie de luxe, en particulier des sacs, fabriqués à la main en Espagne dans un cuir « nappa » particulièrement souple présentant un effet « bulle ». Celui-ci est obtenu grâce à une technique très particulière de vaporisation et de contraction, unique sur le marché, constituant la signature de tous ses produits, devenu synonyme de son nom et garantissant l'origine de ses produits.
I - Sur les critères d’appréciation du caractère distinctif des marques de motif
La cour d’appel rappelle que la fonction essentielle de la marque étant de garantir l’origine ou la provenance du produit ou du service marqué, seul peut être adopté à titre de marque le signe qui en lui-même est apte à distinguer les produits et services d’une entité par rapport à ceux d’une autre entité.
La CJUE a déjà eu l’occasion de préciser que les critères d’appréciation du caractère distinctif des marques tridimensionnelles ne sont pas différents de ceux applicables aux autres catégories de marques[3].
Cette appréciation s'effectue par rapport, d'une part, aux produits ou aux services pour lesquels l'enregistrement de la marque est demandé, et d'autre part, par rapport à la perception qu'en a le public pertinent, sur le fondement des articles L. 711-1 et L. 711-2 2° du CPI.
Il est toutefois constant que, dans le cadre de l'application de ces critères, la perception du consommateur moyen n'est pas nécessairement la même dans le cas d'une marque tridimensionnelle, constituée par l'apparence du produit lui-même, que dans le cas d'une marque verbale ou figurative, qui consiste en un signe indépendant de l'aspect des produits qu'elle désigne. En effet, les consommateurs moyens n'ont pas pour habitude de présumer l'origine des produits en se fondant sur leur forme ou celle de leur emballage, en l'absence de tout élément graphique ou textuel, et il pourrait donc s'avérer plus difficile d'établir le caractère distinctif d'une telle marque tridimensionnelle que celui d'une marque verbale ou figurative[4]. Dans ces conditions, seule une marque qui, de manière significative, diverge de la norme ou des habitudes du secteur et qui, de ce fait, est susceptible de remplir sa fonction essentielle d'indication d'origine, n'est pas dépourvue de caractère distinctif[5].
Cette jurisprudence relative aux marques tridimensionnelles est applicable dans les cas suivants :
- lorsque le signe figuratif représente la forme du produit[6] ;
- lorsque seule une partie du produit désigné est représentée par la marque[7] ;
- et/ou lorsque le signe est constitué d’un motif appliqué à la surface d’une marchandise ou de son emballage[8].
Les critères d’appréciation du caractère distinctif des marques tridimensionnelles s’appliquent donc, selon la CJUE, également lorsque le signe est constitué d’un motif appliqué à la surface d’une marchandise ou de son emballage[9] .
Tel est bien le cas en l’espèce, la marque dont la protection était recherchée étant destinée à être utilisée comme motif de surface de produits de bagagerie et de maroquinerie. La question qui se posait était donc de savoir si, au regard du public pertinent, ce motif présente des divergences significatives par rapport à la norme et aux habitudes du secteur concerné.
Selon la cour, le directeur général de l’INPI a retenu à juste titre que les produits de bagagerie et de maroquinerie sont des produits de consommation courante, de sorte que le public pertinent est constitué de consommateurs d’attention moyenne, normalement informés et raisonnablement attentifs et avisés.
La circonstance que le consommateur ne change pas tous les jours de portefeuille ou de sac et que ces produits l'accompagnent sur la durée ne conduit pas à modifier cette analyse.
II - Sur l’absence de divergence suffisante par rapport à la norme et aux habitudes du secteur
Comme la description accompagnant le dépôt l’indique, la marque consiste en un motif de surface lequel se compose d’une répétition d’éléments clairs sur un fond plus sombre. Disposés en quinconce, ces éléments possèdent une forme triangulaire aux contours très arrondis, rappelant la forme d’un grain de maïs ou d’une goutte d’eau. La surface extérieure convexe des éléments triangulaires produit une impression de relief.
La cour partage l’appréciation du directeur général de l’INPI selon laquelle ce motif ne présente pas de divergences significatives par rapport aux normes habituelles du secteur de la bagagerie et de la maroquinerie.
À cet égard, la cour relève qu’il ressort des exemples de produits commercialisés dans le secteur de la bagagerie et de la maroquinerie fournis par l’INPI en annexe de la décision contestée (sacs CHLOE, MIU-MIU, BOTTEGA VENETA, ZARA, OH MY BAG) mais aussi par la société titulaire de la marque elle-même (sacs VUITTON « Speedy » ou « Neverfull » de DIOR, sacs matelassés « Cassette ») que de nombreuses marques proposent des sacs confectionnés dans des matières dont le motif consiste en une répétition d’éléments de forme géométrique qui se combinent entre eux. Cette dernière produit notamment un modèle constitué d’un motif très proche du motif revendiqué, évoquant pareillement des grains de maïs ou des gouttes d’eau (« Point » de BOTTEGA VENETA).
Si le motif dont la protection est demandée est composé d’éléments « indépendants les uns des autres et simplement juxtaposés », cette particularité, que l’on retrouve au demeurant dans des modèles concurrents, ne sera pas perçue par le consommateur d’attention moyenne qui n’appréhendera le motif litigieux que dans sa vocation purement décorative.
C’est en outre, selon la cour, à juste raison que le directeur général de l’INPI observe que le fait que les entreprises du secteur utilisent couramment des motifs répétitifs sur leurs produits ne permet pas d’en déduire que le consommateur est, de ce fait, habitué à distinguer ces produits en se fondant sur le seul motif dont ils sont revêtus. En l’absence de tout élément graphique (dessin, logo…) ou textuel, la large diversité des produits disponibles sur ce marché restreint au contraire la probabilité d'une identification des produits par le seul motif composant la marque[10] .
Il en découle que le motif revendiqué constitue simplement une variante des formes apparaissant communément sur les produits en cause pour des raisons purement décoratives et ne diffère pas, de manière significative, d’autres motifs présents dans le secteur considéré.
Dans ces conditions, la cour considère que le signe constitué exclusivement de ce motif n’apparaît pas de nature à permettre au consommateur moyen d’identifier l’origine commerciale des produits et ne peut dès lors être adopté comme marque pour désigner ces produits.
Le recours en annulation est en conséquence rejeté.
Il est intéressant de relever que la protection de cette marque internationale a été accordée par certains offices (Benelux, Brésil, États-Unis, Irlande, Italie, Mexique) tandis que d’autres l’ont refusée (Allemagne, Autriche, Royaume-Uni, Suisse) à l'instar de l'INPI. Une procédure de refus est en cours devant l’office japonais.
Julie Bensadou
Chargée de mission au Service contentieux de l’INPI
[1] CJCE, 6e ch., 29 avr. 2004, Henkel KGaA, C-456/01, points 38 et 39.
[2] CJUE, 10e ch., 13 sept. 2018, Birkenstock Sales GmbH, C-26/17 P (M20180447 ; PIBD 2018, 1105, III-726 ; LEPI, 10, nov. 2018, p. 5, A.-E. Kahn), points 33 et 34.
[3] V. supra note 1 ; v. aussi CJCE, 8e ch., 25 oct. 2007, Develey Holding GmbH & Co. Beteiligungs KG, C-238/06 P, point 80.
[4] V. supra note 1.
[5] V. supra note 1 ; v. aussi CA Paris, pôle 5, 2e ch., 19 juin 2009, Unilever NV c. Rolland SAS, 07/17988 (M20090307 ; PIBD 2009, 902, III-1315 ; Gaz Pal, 169-170, 18-19 juin 2010, p. 40, J. Azéma).
[6] V. supra note 1.
[7] CJUE, 8e ch., 15 mai 2014, Louis Vuitton Malletier, C‑97/12 P, point 55 ; CA Paris, pôle 5, 1re ch., 18 déc. 2018, Hermès International c. INPI, 18/03823 (M20180494 ; PIBD 2019, 1112, III-144).
[8] V. supra note 2.
[9] V. supra note 2.
[10] TUE, 10e ch., 30 mars 2022, Daimler AG c. EUIPO, T-280/21, point 21 : « il n’est pas nécessaire de prouver qu’une forme identique ou quasi identique existe déjà sur le marché, mais (…) il y a lieu d’examiner si le secteur concerné se caractérise par une importante diversité de formes dont la marque demandée est simplement considérée comme une variante. En effet, la présence sur le marché d’un nombre important de formes que le consommateur peut rencontrer rend peu probable que ce dernier considère un type particulier de forme comme relevant d’un fabricant spécifique plutôt que de la diversité caractérisant ledit marché ». Un parallèle peut être effectué avec le secteur des produits alimentaires qui connaît également une large diversité des formes disponibles. Sur le caractère distinctif d’une marque tridimensionnelle constituée par la forme d’un fromage, voir notamment : Cass. com., 27 sept. 2023, Bel SA c. INPI, 22-13.827 (M20230177 ; PIBD 2023, 1213-III-2 ; Les MÀJ Irpi, 52, nov. 2023, p. 5-6, G. de Feydeau ; L’Essentiel Droit de la propr. intell., 11, 1er déc. 2023, p. 5, A.-E. Kahn).
Les opinions exprimées dans les notes publiées n’engagent que leurs auteurs et ne représentent pas la position de l’INPI.
* À rapprocher de : TJ Paris, 3e ch., 3e sect., 19 mars 2025, Burlington Fashion GmbH c. Stance Inc. et al., 19/11680 (M20250090 ; publié au présent PIBD avec une note de C. Martin)