Jurisprudence
Brevets

Responsabilité imputable à des sociétés en raison de l’importation, l’offre en vente, la mise dans le commerce et la détention de stérilisateurs à UV argués de contrefaçon

PIBD 1243-III-2
TJ Paris, 10 janvier 2025

Contrefaçon du brevet européen (non) - Opposabilité du brevet pour les faits antérieurs à la publication de la délivrance (non) - Publication de la traduction des revendications (non) - Importation - Offre en vente - Mise dans le commerce - Détention - Connaissance de cause (non) - Reproduction des caractéristiques - Preuve - Expertise privée

Dénigrement (non) - Communiqué de presse - Liberté d'expression - Diffamation

Texte
Figure 1 du brevet EP3404726 de la société Seoul Viosys Co.
Texte

Une société de droit coréen, titulaire d’un brevet européen désignant la France intitulé « Dispositif d’émission de lumière ultraviolette », a agi en contrefaçon à l’encontre de trois sociétés auxquelles elle fait grief d’avoir importé, offert à la vente, mis dans le commerce et détenu en France des stérilisateurs à ultraviolets, référencés « UvsterilizerB2C » et « 59S PY55 », incorporant des puces LED qui reproduiraient certaines revendications de son brevet.

Les parties s’opposent d’abord sur la possibilité même de tenir les sociétés poursuivies responsables des faits de contrefaçon allégués.

En vertu de l’article 67 de la Convention de Munich, lu conjointement avec les articles L. 613-1 et L. 614-9, 2e alinéa, du CPI, la demande de brevet européen, après sa publication, assure provisoirement au demandeur en France la même protection qu’un brevet délivré, mais seulement à compter de la date à laquelle une traduction en français des revendications (lorsque la publication de la demande n’a pas été faite en français) a été publiée par l’INPI ou notifiée au contrefacteur présumé. En l’espèce, aucune traduction française des revendications de la demande, déposée en anglais, n’ayant été publiée avant la délivrance du brevet, c’est seulement depuis cette date que les droits conférés par ce brevet sont opposables en France.

Concernant l’importation par l'une des sociétés poursuivies des stérilisateurs « UvsterilizerB2C », les six commandes passées à sa filiale étrangère, qui ressortent des bons de commandes saisis lors des saisies-contrefaçon, ont toutes été livrées en France avant la délivrance du brevet. Par ailleurs, aucune importation de ces stérilisateurs n’est établie postérieurement à cette date. Les demandes en contrefaçon à son encontre, à raison de l’importation des stérilisateurs « UvsterilizerB2C », sont donc rejetées.

Concernant les autres faits litigieux relatifs aux stérilisateurs « UvsterilizerB2C » reprochés à cette même société ainsi qu’à une seconde société poursuivie, il résulte du 3e alinéa de l’article L. 615-1 du CPI, que l’offre, la mise sur le marché (« mise dans le commerce » dans la rédaction en vigueur jusqu’au 30 mai 2023), l’utilisation ou la détention en vue de l’utilisation ou la mise sur le marché d’un produit contrefaisant, lorsque ces faits sont commis par une autre personne que le fabricant du produit contrefaisant, n’engagent la responsabilité de leur auteur que s’ils ont été commis en connaissance de cause.

La circonstance que l’auteur de ces faits soit un professionnel est inhérent à leur existence et ne saurait donc être un critère pour déterminer qu’il a agi en connaissance de cause, sauf à vider cette condition légale de sa substance.

En l’espèce, aucune des deux sociétés concernées n’a agi en connaissance de cause avant l’assignation. En effet, le brevet porte sur le détail de la constitution d’une puce LED, tandis que la contrefaçon alléguée repose sur l’intégration d’une puce ainsi constituée, parmi d’autres puces, dans un produit.

Les sociétés poursuivies ne sont pas spécialisées dans la fabrication de puces LED et n’ont pas participé à l’élaboration des produits, ni a fortiori des puces qu’ils contiennent. Ainsi, elles n’ont aucune raison, ni de connaître l’existence du brevet invoqué, ni de savoir comment est construite la puce contenue dans les produits qu’elles revendent. Par ailleurs, rien n’a permis de porter ces faits à leur connaissance avant l’assignation.

En outre, il n’est pas établi que ces sociétés auraient poursuivi la vente des produits litigieux postérieurement à l’assignation. Ainsi, aucun fait d’offre ou de mise dans le commerce des stérilisateurs « UvsterilizerB2C » n’a été commis en connaissance de cause et les demandes en contrefaçon à leur encontre, à raison de ces faits, sont donc rejetées.

Les seuls faits commis ou susceptibles d’avoir été commis en connaissance de cause sont la détention par deux des sociétés poursuivies d’un stock résiduel de produits après l’assignation. Elles ont conservé ce stock, le temps du procès, afin d’assurer leur défense probatoire (des analyses ayant été menées dans le but de compléter celles de la demanderesse), mais également dans le but éventuel de le vendre si le produit n’était pas jugé contrefaisant.

Il en résulte que la détention est notamment faite aux fins d’offre ou mise sur le marché et que la demanderesse peut, à tout le moins, en rechercher la cessation. C’est dans cette seule mesure qu’il convient d’examiner la contestation relative à la contrefaçon du brevet par les puces contenues dans les stérilisateurs « UvsterilizerB2C ».

La demanderesse invoque également la contrefaçon de son brevet par les stérilisateurs « 59S PY55 ».

Pour les mêmes raisons que celles développées précédemment, la demande en contrefaçon dirigée à l’encontre de l'une des sociétés poursuivies à raison de l’offre ou de la mise dans le commerce de ces stérilisateurs est rejetée. La preuve n’est pas rapportée de tels faits commis en connaissance de cause avant l’assignation et de ventes postérieures à l’assignation. Par conséquent, la responsabilité de cette société ne peut être engagée que pour la détention d’un stock postérieur.

En revanche, la société qui a importé en France des stérilisateurs « 59S PY55 » verra sa responsabilité engagée si ceux-ci sont contrefaisants, bien qu’elle n’ait pas agi en connaissance de cause.

Afin de rapporter la preuve de la contrefaçon du brevet par les stérilisateurs « UvsterilizerB2C », la demanderesse produit un rapport d’expertise réalisé à sa demande.

Selon la jurisprudence de la Cour de cassation[1], si le juge ne peut refuser d’examiner une pièce régulièrement versée aux débats et soumise à la discussion contradictoire, il ne peut pour autant se fonder exclusivement sur une expertise non judiciaire réalisée à la demande de l’une des parties. Il doit donc rechercher si le rapport d’expertise est corroboré par d’autres éléments de preuve[2].

Le rapport d’expertise précité détaille la méthode adoptée et contient des représentations visuelles nombreuses. Néanmoins, cet enseignement technique, indispensable à la preuve de la contrefaçon qui repose sur la présence et l’agencement précis des différents composants revendiqués, n’est pas corroboré par une autre preuve. La demanderesse ne communique pas d’autres éléments susceptibles de conforter la crédibilité des images et, surtout, de leur analyse (par ex. une consultation d’un spécialiste du domaine) qui auraient pu confirmer la fiabilité des techniques d’imageries utilisées, conforter l’interprétation des images et notamment leur légendage, contesté par les défenderesses.

En outre, l’analyse communiquée par l'une des sociétés poursuivies, réalisée par un laboratoire tiers, n’apporte aucune information sur la structure interne de la puce et ne corrobore donc pas les faits dont dépend la contrefaçon.

Il en va de même pour les stérilisateurs « 59S PY55 ». Il importe peu que la société néerlandaise importatrice pour l’Union européenne de ces produits ait admis leur caractère contrefaisant. En effet, rien n’indique que cette société, qui n’est que négociante, ait participé à la conception du produit et plus particulièrement de la puce qu’il contient, de sorte qu’elle ne dispose d’aucune information technique sur la structure de cette puce. Son opinion sur le caractère contrefaisant de celle-ci, non technique, n’apporte donc en soi aucun élément susceptible de conforter la connaissance de cette structure, dont dépend l’existence d’une contrefaçon.

Les demandes en contrefaçon doivent dès lors être rejetées.

La demande en dénigrement présentée par deux des sociétés poursuivies, suite à la publication sur le site internet de la demanderesse d’un communiqué de presse faisant état d’un procès intenté à l’étranger contre le fournisseur néerlandais précité des stérilisateurs, est rejetée. Ce communiqué évoquait une saisie-contrefaçon qui a été autorisée par le tribunal de grande instance de Paris contre le groupe auquel appartiennent les sociétés poursuivies au terme d’un « précédent procès en matière de brevets ». Or, il s’agit d’un cas éventuel de diffamation (allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé) et non du dénigrement d’un produit ou d’un service. En effet, la seule référence aux sociétés poursuivies ne fait que leur imputer un fait susceptible de porter atteinte à leur honneur ou à leur considération, en suggérant qu’elles avaient déjà commis une contrefaçon. Le fait que cette atteinte puisse détourner des clients, et ainsi causer une perte économique à ces sociétés, n’est qu’un élément caractérisant l’éventuel préjudice consécutif à cette atteinte. Retenir l’inverse reviendrait à donner aux commerçants une protection de leur honneur ou de leur considération plus importante qu’aux autres personnes en les faisant échapper systématiquement au cadre, plus strict, de la diffamation, ce que rien ne justifie.

Tribunal judiciaire de Paris, 3e ch., 2e sect., 10 janvier 2025, 21/13753 (B20250001)
Seoul Viosys Co. Ltd c. Fnac Direct SA, Fnac Darty Participations et Services SA, Bigben Connected SAS et al.

[1] Cass. mixte., 28 sept. 2012, Huk Coburg c. Trigano SA et al., 11-18.710 ; Cass. 2e civ., 13 sept. 2018, Établissements Haristoy SARL c. Eurovia Grands projets et industrie SAS et al., 17-20.099.

[2] Cass. 2e civ., 7 sept. 2017, Garage Saint-Christophe SAS c. Joëlle Y et al., 16-15.531.