Jurisprudence
Brevets

Première décision de justice statuant en matière d’opposition à un brevet français

PIBD 1228-III-1
CA Paris, 29 mai 2024

Opposition - Recevabilité de la requête en modification des revendications - Brevet modifié - Insuffisance de la description (non) - Nouveauté (oui) - Activité inventive (oui)

Texte

Le premier arrêt de la cour d’appel de Paris concernant un recours contre une décision statuant sur une opposition brevet a été rendu le 29 mai 2024.

Cet arrêt confirme la décision du directeur général de l’INPI du 31 mai 2022, statuant sur une demande d’opposition au brevet français n° FR 3 047 436 B1, qui a estimé que l’opposition était justifiée et qui a maintenu le brevet sous une forme modifiée.

Le recours a été formé par la société BMW Car IT GmbH le 30 avril 2022 contre cette décision en visant particulièrement l’article 2, le défendeur étant la S.C.A. Compagnie générale des Établissements Michelin, titulaire du brevet litigieux.

Plusieurs sujets intéressants sont abordés dans cet arrêt, comme la recevabilité d’une requête en modification des revendications le jour de la procédure orale, l’insuffisance de l’exposé, l’absence de nouveauté et l’analyse de l’activité inventive.

1. Présentation du brevet litigieux :

Le brevet litigieux concerne un pneumatique en matériau caoutchoutique comportant un flanc. Il est expliqué qu’il est connu d’utiliser un symbole matriciel codé sur le flanc d’un pneumatique, ledit symbole matriciel codé comportant des informations telles qu’un numéro de série individuel pour ledit pneumatique, le site internet du constructeur, etc.

Un symbole matriciel codé comporte des parties sombres et des parties claires, et est gravé ici directement sur le flanc du pneumatique. Le problème que l'invention se propose de résoudre est d’améliorer la lisibilité des symboles matriciels codés gravés sur les flancs de pneumatiques. Pour améliorer la lecture de ce symbole matriciel codé, le brevet litigieux propose ainsi d’augmenter le contraste entre les parties claires et les parties sombres qui forment le symbole matriciel.

Texte
Figure 1 du brevet n° FR 3 047 436 de la société Compagnie Générale des Établissements Michelin
Texte

2. Sur la recevabilité d’un nouveau jeu de revendications le jour de la procédure orale :

La cour d’appel approuve la décision de l’INPI sur la recevabilité de la requête en modification des revendications présentée le jour de la procédure orale, selon le raisonnement suivant :

  • Il résulte de l’article R. 613-44-7 du Code de la propriété intellectuelle (CPI) que le directeur de l’INPI statue au vu de l’ensemble des observations écrites et orales présentées par les parties ainsi que des dernières propositions de modification du brevet, et que sa décision peut s’appuyer sur des « faits invoqués ou des pièces produites » postérieurement aux délais impartis initialement, la seule réserve posée par cet article étant que les parties aient été à même d’en débattre contradictoirement.
     
  • Le terme « pièces » doit être interprété comme pouvant recouvrir un jeu de revendications modifié du brevet, au regard des articles R. 613-44-4 et R. 612-36 du CPI.
     
  • Le contradictoire a été respecté et les deux parties l’ont confirmé dans le procès-verbal.

3. Sur la validité du brevet tel que modifié :

- Sur l’insuffisance de l’exposé :

La société BMW relève que les caractéristiques 1.7 (« ces ouvertures étant réparties selon une densité au moins égale à une ouverture par millimètre carré ») et 1.8 (« ces ouvertures présentant des diamètres équivalents compris entre 0,01 mm et 1,2 mm ») de la revendication 1 de la nouvelle requête principale sont contradictoires car des ouvertures d’un diamètre équivalent supérieur à 1,13 mm ne peuvent pas être disposées avec une densité au moins égale à une ouverture par millimètre carré, leurs surfaces étant supérieures à un millimètre carré. De plus, l'effet technique poursuivi, c'est-à-dire l'amélioration du contraste, est revendiqué pour toutes ouvertures quelle que soit leur forme, alors qu’il n’a été démontré que pour les ouvertures circulaires ou sensiblement circulaires. Par conséquent, cet effet technique poursuivi n’est pas obtenu sur toute la portée de la revendication.

Texte
Figure 7 du brevet n° FR 3 047 436 de la société Compagnie Générale des Établissements Michelin
Texte

La cour d’appel constate que la caractéristique 1.8 de la revendication 1 sera comprise par la personne du métier comme enseignant des ouvertures pouvant présenter des tailles différentes de diamètres équivalents dans toute l’étendue revendiquée, dans la mesure où se combinent des ouvertures possédant des diamètres de tailles diverses dans les limites proposées par la caractéristique 1.8, associées de façon à correspondre à la densité prévue par la caractéristique 1.7, laquelle s’entend d’une moyenne calculée sur l’ensemble de la surface du symbole matriciel codé.

La cour rappelle également que l’absence de démonstration de l’existence d’un effet technique sur toute la portée de la revendication ne suffit pas à justifier d’une insuffisance de description, laquelle nécessite de démontrer une impossibilité pour la personne du métier de reproduire l'invention et de la mettre en œuvre, à la lecture de la description, des revendications et des dessins, et avec ses connaissances professionnelles normales théoriques et pratiques, au moyen d'un effort raisonnable de réflexion et/ou en procédant à des essais de routine, ce que la société BMW ne fait pas ni même n’allègue.

Il n’est pas contesté, en outre, que la description du brevet litigieux fournit des exemples de réalisation, notamment des formes d’ouvertures, et que, pour ces exemples, l’effet technique est obtenu, ainsi qu’il résulte notamment du paragraphe [60] qui précise que « l’effet des cavités est de "piéger" une grande quantité des rayons lumineux incidents qui rencontrent la texture, mais également d’offrir une plus grande pérennité de la texture ».

Le moyen tiré de l’insuffisance de description est donc rejeté.

- Sur l’absence de nouveauté :

Le brevet litigieux est issu de la demande de brevet français déposée sous le n° FR 17 50972, qui est une demande divisionnaire de la demande de brevet français déposée le 30 avril 2014 sous le n° FR 14 53987. Par conséquent, le brevet litigieux bénéficie de la date de dépôt de la demande initiale n° FR 14 53987, à savoir le 30 avril 2014.

Afin de prouver l’absence de nouveauté de la revendication 1, telle que modifiée, de la nouvelle requête principale, la société BMW oppose les documents D4 et D5 qui ont été publiés postérieurement à la date de dépôt de la demande initiale du brevet litigieux et qui, selon la société Michelin, sont donc opposables uniquement au titre de la nouveauté en application de l’article L. 611-11 alinéa 3 du CPI.

La cour d’appel rappelle que, pour être comprise dans l’état de la technique et être privée de nouveauté, l'invention doit s'y trouver tout entière dans une seule antériorité au caractère certain, avec les éléments qui la constituent dans la même forme, le même agencement, le même fonctionnement en vue du même résultat technique[1].

Le document D4, qui est une demande PCT portant sur un pneumatique en matériau caoutchoutique, décrit divers modes de réalisation des cellules sombres. Le premier mode de réalisation, qualifié de « premier type de cellule » est représenté sur les figures 3 à 5 du document D4. D’autres modes de réalisation sont représentés sur les figures 6 à 9.

La cour précise que, comme l’a pertinemment relevé le directeur de l’INPI, le document D4 ne cite qu’incidemment la possibilité de production « [d’]un tel profil de surface » « par gravure laser », et que ce très court passage de la page 20 de la description du document D4 divulgue la possibilité d’utiliser le laser comme outil de finition de la surface du produit déjà moulée ou comme outil de réalisation d’un moule pour réaliser ledit profil sans révéler que la totalité des éléments en creux par rapport à la surface du flanc sont directement fabriqués sur le pneumatique par gravure laser, tel que le divulgue la caractéristique 1.5 de la revendication 1. En outre, les modes de réalisation distincts d’une antériorité ne peuvent être combinés dans le cadre de l’analyse de la nouveauté. En l’espèce, la gravure laser n’est décrite que dans les modes de réalisation représentés sur les figures 6 à 9 du document D4.

Une analyse similaire est faite par la cour d’appel concernant le document D5 qui est un brevet portant sur « un codage numérique d’articles en caoutchouc ». En conséquence, elle estime que l’objet de la revendication 1 est nouveau par rapport aux documents D4 et D5.

- Sur l’absence d’activité inventive :

Deux problématiques sont soulevées par les parties lors du débat sur l’absence d’activité inventive de la revendication 1 du brevet, telle que modifiée.

  • Le premier débat concerne les connaissances générales de la personne du métier et la question de savoir si les documents brevets peuvent être utilisés pour les illustrer.
     
  • Le deuxième débat concerne l’approche problème-solution et plus particulièrement la synergie entre les caractéristiques distinctives et les problèmes techniques partiels.

Sur les connaissances générales de la personne du métier :

S’agissant du premier débat sur les connaissances générales de la personne du métier, la cour d’appel rappelle que celles à prendre en considération pour l’examen de l’activité inventive sont en principe constituées par le contenu des guides et manuels de base existant sur le sujet, mais n’englobent pas les brevets et les articles scientifiques, sauf, à titre exceptionnel, lorsqu'un domaine technique est tout à fait nouveau au point que les connaissances techniques ne sont pas encore disponibles dans les manuels. Il convient alors, dans ces cas d’exception, de s’assurer que l’information trouvée dans un brevet est dépourvue d’ambiguïté et utilisable de manière directe et simple sans hésitation ni travail supplémentaire.

Il n’est pas contesté que le domaine technique du brevet, à savoir celui du marquage des pneumatiques, n’est pas un domaine technique complètement nouveau au point que les connaissances techniques ne sont pas disponibles dans les manuels.

Par conséquent, les documents brevets D22, D4 et D5 cités par la société BMW, en ce qu’ils démontreraient les connaissances générales habituelles de la personne du métier, ne sont pas retenus par la cour.

Sur la synergie entre les caractéristiques et les problèmes techniques partiels :

La cour d’appel constate que le document D2, qui est une demande de brevet français, divulgue un pneumatique en matériau caoutchoutique comprenant toutes les caractéristiques de la revendication 1 du brevet litigieux, à l’exception des caractéristiques 1.2, 1.3, 1.3.1 et 1.9.

Considérant que l’effet technique des caractéristiques 1.2 et 1.9 est le stockage d’un volume important de données codées décodables et que l’effet technique des caractéristiques 1.3 et 1.3.1 est de maximiser la réflexion de la lumière sur les parties claires afin de garantir un contraste à l’intérieur d’un symbole matriciel codé, l’opposant, comme le directeur de l’INPI, suggèrent de scinder le problème technique objectif en deux problèmes techniques partiels. Le premier consiste à coder des données pour avoir un volume important de stockage de données codées sur la surface du pneu, et le second problème à maximiser la réflexion de la lumière sur les parties claires afin d’avoir un contraste suffisant pour faciliter la lecture.

Cependant, les quatre caractéristiques susvisées, qui concernent un QR code placé sur le flanc d’un pneu qui encode un volume plus important de données, comportant un contraste entre des parties claires et sombres pour en augmenter la lisibilité, présentent un effet de synergie en ce qu’en augmentant la lisibilité par un effet de contraste, on permet une maximisation de données à stocker ainsi rendues plus lisibles, de sorte qu’il n’y a pas lieu de scinder le problème technique objectif tel que présenté par le brevet litigieux, qui est de savoir comment améliorer la lisibilité des symboles matriciels codés présents sur les flancs d’un pneumatique en vue d’améliorer leur lecture.

La cour d’appel applique l’approche problème-solution, même si elle ne le dit pas explicitement, et en déduit qu’en partant du document D2, la personne du métier ne serait pas parvenue à l’invention du brevet litigieux et que la revendication 1 implique donc une activité inventive au regard du document D2 combiné avec les documents D8, D4, D5, D22 et D23.

La cour consacre également deux autres développements sur l’activité inventive en partant du document D7, qui est un communiqué de presse de la société Michelin relatif à un pneumatique de tracteur présenté sur un salon, puis des documents D9, constitués de plusieurs documents commerciaux d’une autre société, et conclut que l’objet de la revendication 1 implique de l’activité inventive au regard des documents D7 et D9, combinés avec les documents D2, D4, D5, D22 et D23.

par Vicky Rouss Douchy
Responsable de la cellule opposition, Département des brevets à l’INPI

Cour d'appel de Paris, pôle 5, 1re ch., 29 mai 2024, 22/12421 (B20240035)
BMW Car IT GmbH c. INPI et Compagnie Générale des Établissements Michelin SCA
(Confirmation décision INPI, 31 mai 2022, OPP 21-0002 ; OB20210002)

[1] Cass. com., 17 mai 2023, Fixolite Usines SA c. Coffrelite SARL et al., 19/25509 (B20230028 ; PIBD 2023, 1208, III-1 ; D IP/IT, janv. 2024, p. 37, A. Latreille).