Titularité des droits d’auteur sur le dessin (oui) - Personne morale - Présomption de titularité - Exploitation sous son nom - Exploitation non équivoque
Protection du dessin au titre du droit d’auteur (oui) - Originalité - Genre - Combinaison - Empreinte de la personnalité de l’auteur
Contrefaçon (oui) - Droit d’auteur en vigueur au moment des faits - Reproduction des caractéristiques protégeables - Appréciation selon les ressemblances - Reproduction servile
Préjudice commercial - Gain manqué - Masse contrefaisante - Produits semi-finis - Bénéfices tirés des actes incriminés - Préjudice moral - Banalisation - Atteinte à la valeur patrimoniale du dessin - Non-cumul des différents postes de préjudice
La société demanderesse est fondée à revendiquer à son profit l’application de la présomption de titularité des droits d’auteur sur le dessin de dentelle invoqué, divulgué et commercialisé pour la première fois par une filiale appartenant au même groupe de sociétés, sous une ancienne référence, puis exploité par elle sous une nouvelle référence, suite à un transfert de propriété à son profit1. Elle justifie que la dentelle commercialisée sous les deux références est la même et prouve qu’elle exploite le dessin en cause seule depuis que la société l’ayant initialement divulgué en a cessé toute commercialisation pour son compte. Elle a ainsi poursuivi une commercialisation dépourvue d'équivoque de la dentelle, même si elle utilisait la marque, correspondant au nom de la société ayant divulgué le dessin, et mentionnait la référence sous laquelle cette dernière le commercialisait. Ainsi, en l'absence de revendication de la titularité par un tiers, la société demanderesse est présumée être titulaire, sur ce dessin, du droit de propriété incorporelle d'auteur allégué.
Le dessin en cause est original. Les caractéristiques revendiquées de ce motif d’inspiration florale sont suffisamment identifiées et la sophistication de la dentelle, constituée d'une abondance de détails disposés selon une combinaison bien spécifique et selon des variations de tissage, donne à cette composition prise dans son ensemble un caractère unique, qui, n'étant dicté par aucun impératif particulier, révèle un nécessaire arbitraire et, au-delà, une véritable empreinte créatrice justifiant la protection par le droit d'auteur. Par ailleurs, l'originalité de la composition ayant été retenue dans son ensemble, il importe peu que les éléments qui la composent, pris individuellement, puissent se retrouver pour partie dans un fonds commun de la dentelle.
La société demanderesse satisfait à son obligation de justifier d'un droit d’auteur toujours en vigueur au moment des faits poursuivis en contrefaçon, par la production d’une attestation du président du groupe auquel elle appartient, indiquant la date de divulgation et de première commercialisation du dessin de dentelle par une autre filiale du groupe. Les articles de presse énonçant que cette société avait « puisé » dans ses archives, qui remontent à l’année 1870, pour proposer le dessin à un client pour une de ses collections ne permettent pas de combattre son allégation quant à la date de divulgation du dessin, soit douze années seulement avant les faits litigieux. L'expression « puiser » dans les archives ne signifie pas nécessairement que le dessin se soit retrouvé tel quel dans les archives, ni qu'il aurait été publié avant la date de première divulgation alléguée.
L'examen de la contrefaçon s'apprécie par la reprise des caractéristiques identifiées comme constitutives de l'originalité de l'œuvre et au vu des ressemblances. En l’espèce, le dessin de dentelle invoqué est reproduit servilement dans la partie haute constituée de dentelle d’une robe commercialisée sur le site internet des sociétés défenderesses. La contrefaçon est constituée.
Cour d'appel de Paris, pôle 5, 2e ch., 20 novembre 2020, 2019/06739 (D20200030)
H&M Hennes & Mauritz SARL et H&M Hennes & Mauritz GBC A.B. c. Dentelle Sophie Hallette SAS
(Confirmation partielle TGI Paris, 3e ch., 4e sect., 14 févr. 2019, 2017/11451)
1 Dans une affaire opposant la société Dentelle Sophie Hallette à la société René Derhy Import Export, dans laquelle la première revendiquait la titularité de droits d’auteur sur un autre dessin de dentelle, également divulgué pour la première fois par la société Richers Marescot comme dans la présente instance, la première chambre du pôle 5 de la cour d’appel de Paris a opté pour une solution différente de celle retenue par la deuxième chambre dans la décision ci-dessus (CA Paris, pôle 5, 1re ch., 29 janv. 2019, Dentelle Sophie Hallette SAS c. René Derhy Import Export SA, 2017/05619, D20190004, PIBD 2019, 1112, III-144). Elle a déclaré la société Sophie Hallette irrecevable à agir au titre de la contrefaçon du dessin de dentelle car elle ne pouvait se prévaloir de la présomption de titularité des droits d'auteur, considérant que la persistance de l'usage du nom de la société Richers Marescot et de la référence initiale, moins de deux années avant les faits de contrefaçon allégués et alors que cette société poursuivait son activité dans le même domaine, révélait une équivoque quant à la détermination de la personne morale exploitant le dessin de dentelle revendiqué.