Jurisprudence
Dessins et modèles

Absence de protection de la tige d'un verre à vin par le droit d’auteur - Impression visuelle d’ensemble du modèle de verre déposé distincte de celle produite par les verres incriminés

PIBD 1203-III-6
CA Paris, 15 février 2023

Protection au titre du droit d'auteur (non) - Élément du modèle déposé - Originalité (non) - Empreinte de la personnalité de l'auteur - Effort de création - Choix arbitraires - Combinaison connue - Effet extérieur

Contrefaçon du modèle communautaire (non) - Gamme - Nécessité fonctionnelle - Élément du modèle - Différences - Utilisateur averti - Degré de liberté du créateur - Impression visuelle globale

Concurrence déloyale (non) - Copie servile (non) - Imitation du produit - Risque de confusion (non) - Nécessité fonctionnelle - Effet de gamme - Imitation de la présentation commerciale des produits - Luxe - Détournement de clientèle (non) - Prix inférieur - Parasitisme (non) - Investissements réalisés - Succès commercial

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Modèle communautaire n° 002109439-0001 de la société Lalique
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Modèle communautaire n° 002109439-0001 de la société Lalique
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Verre de la gamme "Glitz" de la société Habitat France - https://www.habitatthailand.com/en/p/red-wine-glass-1
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La tige des sept verres de la gamme invoquée par la société demanderesse ne peut pas bénéficier de la protection au titre du droit d’auteur, faute de traduire un travail créatif résultant de choix arbitraires révélant la personnalité de son auteur. La demanderesse se borne en effet à décrire techniquement les caractéristiques de cette tige, sans expliciter la démarche créative et le parti pris esthétique qui traduiraient les choix personnels d'un auteur.

Elle revendique ainsi la combinaison d’une figure haute polie transparente, de faible hauteur, d’une figure basse polie transparente, de hauteur double de la précédente, le diamètre de cette dernière étant supérieur au diamètre de la première, et d’une partie dépolie (mate), située entre ces deux figures et comportant un renflement dans sa partie supérieure, les jeux de lumière ainsi créés par contraste étant caractéristiques de ses modèles. Or, il ressort des pièces versées, montrant notamment des verres à pied des XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles, qu'antérieurement au dépôt par la société demanderesse d'un modèle de verre à vin - aucune date de création n'étant invoquée au titre du droit d'auteur -, étaient déjà connus des verres présentant des tiges avec un renflement en leur milieu, une partie inférieure transparente plus fine et plus haute que la partie supérieure, également transparente, et avec, par ailleurs, un contraste entre des parties opaques et d'autres plus transparentes, induit par la présence de gravures.

Il convient de relever que la demanderesse a choisi de passer sous silence la présence de stries verticales sur la tige du verre, cette caractéristique esthétique étant pourtant très remarquable et particulièrement mise en avant dans sa communication relative à la gamme concernée, comme traduisant le raffinement et le « style unique » de la collection, et ce, manifestement, afin de faire correspondre les caractéristiques revendiquées avec celles du produit argué de contrefaçon et ainsi favoriser le succès de ses prétentions.

En ce qui concerne le modèle de verre à vin déposé, qui reprend la tige revendiquée au titre du droit d’auteur, sa validité n’est pas contestée. Pour apprécier la contrefaçon, il faut rechercher si l'impression visuelle d'ensemble produite par les verres incriminés, tige, gobelet et socle inclus, est identique ou non à celle produite par ce modèle. L’arrêt précédent de la cour d’appel, qui avait retenu la contrefaçon du modèle, avait en effet été censuré pour n’avoir examiné l’impression visuelle d’ensemble qu’au regard des seules tiges des verres en litige.

Le modèle déposé comprend un socle circulaire, un gobelet dont l’épaule est plus large que le buvant, ainsi qu’une tige dont la description technique a été faite dans le cadre de la demande fondée sur le droit d’auteur, étant toutefois précisé que les stries ornant la tige sont parfaitement visibles sur la représentation graphique.

Si la tige de ce modèle et celle des verres incriminés, qui font partie d’une gamme comprenant un verre à vin blanc, un verre à vin rouge et une flûte à champagne, associent des zones polies transparentes encadrant une zone centrale opaque comportant un renflement, des différences apparaissent immédiatement. Contrairement au modèle déposé, ces verres ne comportent aucun bourrelet ni évasement à la jointure entre la tige et le socle, et la jointure entre la tige et le gobelet s'évase au lieu de marquer un rétrécissement. De plus, le renflement de leur tige est plus accentué et plus central.

Enfin et surtout, celle-ci, uniformément lisse, est dépourvue de toute strie verticale. En raison de cette seule différence, le modèle déposé et les verres incriminés produisent une impression visuelle globale distincte sur l'utilisateur averti - soit l'utilisateur final, amateur de vins et du contenant le mieux adapté à sa dégustation, ou le fabricant ou le vendeur de verrerie, qui, du fait de son intérêt pour les produits concernés, fait preuve d'un degré d'attention relativement élevé. Le modèle déposé, par le travail de stries sur la tige, affiche en effet une qualité et une sophistication très supérieures. Cette différence sera d'autant plus relevée que, dans le domaine concerné des verres à vin, la liberté du créateur trouve davantage à s'exprimer sur les tiges que sur les gobelets et les socles des verres, plus asservis aux codes du genre.

Par ailleurs, à ces différences s'ajoute le fait que le modèle déposé se distingue des verres à vin blanc et encore plus des flûtes à champagne de la société défenderesse par la forme du gobelet. La contrefaçon n'est dès lors pas caractérisée.

Cour d'appel de Paris, pôle 5, 1re ch., 15 février 2023, 21/14049 (D20230006)
Lalique SA c. Habitat France SASU
(Confirmation TGI Paris,
3e ch., 1re sect., 7 sept. 2017, 16/11378, D20170088, PIBD 2017, 1080, III-703 ; sur renvoi après cassation partielle de CA Paris, pôle 5, 2e ch., 1er mars 2019, 17/17885, D20190009, PIBD 2019, 1116, III-239, D, 28, 1er août 2019, p. 1585, P. Kamina, Contrats conc. consom., 2019, comm. 83, M. Malaurie-Vignal ; Cass. com., 23 juin 2021, 19-18.111, D20210039, PIBD 2021, 1166, III-6, Propr. industr., sept. 2021, comm. 51, N. Kapyrina, L’Essentiel Droit de la propr. intell., 9, oct. 2021, p. 7, S. Chatry, D IP/IT, janv. 2022, p. 36, A.-E. Kahn)