Jurisprudence
Dessins et modèles

Absence de protection à titre de modèle communautaire d’un connecteur constituant une pièce d’un produit complexe - Défaut de visibilité pour l’utilisateur final

PIBD 1219-III-6
CA Paris, 22 novembre 2023

Validité du constat d’achat sur Internet (oui) - Tiers acheteur - Identification de l’objet acheté - Force probante (oui)

Protection des modèles au titre du droit d'auteur (non) - Combinaison - Originalité - Recherche esthétique - Empreinte de la personnalité de l’auteur

Validité des modèles communautaires (non) - 1°) Nouveauté (oui) - Auto-divulgation (non) - 2°) Pièce d’un produit complexe - Directives d’examen de l’EUIPO - Visibilité pour l’utilisateur final - Utilisation normale du produit

Recevabilité de la demande en concurrence déloyale et parasitaire (oui) - Demande additionnelle - Demande indemnitaire - Demande nouvelle en appel - Lien suffisant avec la demande initiale - Accessoire, conséquence ou complément nécessaire

Concurrence déloyale (oui) - Recevabilité (oui) - Imitation de la gamme de produits - Agencement, dimensions, couleurs et référence - Risque de confusion - Parasitisme (oui) - Volonté de profiter des investissements d’autrui

Préjudice subi par le distributeur et le licencié exclusif - Chiffre d'affaires - Manque à gagner - Bénéfices réalisés par le contrefacteur - Investissements réalisés

Texte
Modèle n° 002349092-0004 de la société Wago GmbH & Co. KG
Modèle n° 002349092-0006 de la société Wago GmbH & Co. KG

 

Texte

Les modèles de connecteurs invoqués ne sont pas protégeables par le droit d’auteur. Si l'esthétique n'est pas absente de ces modèles, le choix de boîtiers transparents et de leviers aux bords arrondis et de couleur vive ne peut cependant suffire à traduire l'empreinte de la personnalité d'un auteur. De plus, la circonstance qu'un créateur aurait réalisé un luminaire avec des pièces industrielles, dont des connecteurs électriques - à supposer qu'il s'agisse des connecteurs revendiqués - ne peut suffire à caractériser l'originalité alléguée.

Il n’est pas établi que les modèles communautaires de connecteurs invoqués ont été divulgués dans des conditions les privant de nouveauté. L'auto-divulgation ne saurait résulter de l'attestation du chiffre d'affaires réalisé sur la période de cinq ans non prescrite précédant l'assignation en contrefaçon, produite par les sociétés demanderesses pour justifier de leur préjudice économique sur cette période. Il ressort des témoignages qu’elles fournissent que les connecteurs en cause ont été présentés pour la première fois au public lors d’un salon en Allemagne, en avril 2014, les produits ayant auparavant été tenus secrets, puis commercialisés pour la première fois à l'automne 2014 en Allemagne et en avril 2015 en France, soit postérieurement aux dépôts, effectués en 2013.

Un dessin ou modèle appliqué à un produit ou incorporé dans un produit qui constitue une pièce d'un produit complexe n’est considéré comme nouveau et présentant un caractère individuel, au sens de l’article 4 § 2, a) du règlement (CE) 6/2002, que dans la mesure où la pièce, une fois incorporée dans le produit complexe, reste visible lors d'une utilisation normale de ce produit. Un produit complexe, tel que défini à l’article 3, c) du même règlement, est un produit se composant de pièces multiples qui peuvent être remplacées de manière à permettre le démontage et le remontage du produit.

C'est à juste raison que le tribunal a retenu que les connecteurs invoqués constituent des pièces destinées à être incorporées à des produits complexes au sens des articles 3 et 4 § 2 du règlement précité, à savoir des circuits électriques. En effet, s'ils sont commercialisés séparément et ont une vie économique distincte du circuit électrique, ils ne peuvent être utilisés séparément et de manière indépendante, étant alors dépourvus de tout effet et de toute fonction.

En outre, les directives relatives à l'examen des dessins ou modèles communautaires enregistrés de l'EUIPO (version du 1er oct. 2017) citent le connecteur électrique comme exemple de pièce normalement incorporée dans un boîtier, pour des raisons liées notamment à la sécurité. Selon ces directives : « le fait qu'une telle pièce d'un produit complexe puisse théoriquement être visible lorsqu'elle est insérée dans un boîtier ou un coffret transparent constitue un critère purement hypothétique et aléatoire qu'il convient d'ignorer ». C'est donc vainement que les sociétés demanderesses arguent que les connecteurs restent visibles lors d'une utilisation normale du produit complexe.

En effet, l'utilisation normale du produit s'entend, aux termes de l'article 4 § 3 du règlement, d'une utilisation courante, hors entretien ou réparation, par un utilisateur final, qui n'est en l'occurrence pas nécessairement un professionnel, dès lors que les connecteurs en cause sont commercialisés dans la grande distribution. Ainsi, ne peuvent être considérées comme « normales » les utilisations faites par des professionnels telles que celles illustrées par les photographies produites, s'agissant notamment d'installations électriques mises en place en vue d'un concert ou de celles existant dans une salle de fitness, une pépinière ou encore un parking. Dans le cadre d'une utilisation normale, les connecteurs incorporés dans un circuit électrique, au sein d'une armoire ou d'un boîtier électrique fermés et inaccessibles pour des raisons de sécurité, ne sont pas visibles pour l'utilisateur final. Les trois modèles communautaires invoqués sont donc déclaré nuls.

En offrant à la vente, sur le territoire français, sous la marque semi-figurative Vision-EL dont elle est titulaire, des connecteurs à deux, trois et cinq entrées, composés d'une structure transparente et de leviers de couleur rose, la société défenderesse a commis des actes de concurrence déloyale.

Alors qu'il existe une grande liberté de forme dans le design des connecteurs électriques, le fait, pour la société défenderesse, de commercialiser des connecteurs présentant les mêmes caractéristiques essentielles que les connecteurs invoqués, le même agencement des éléments et quasiment les mêmes dimensions, dans une couleur très vive (rose) tout aussi inhabituelle pour ce type de produits que celle adoptée par les sociétés demanderesses (orange), caractérise la création fautive d'un risque de confusion. Celui-ci est renforcé par le fait que les produits litigieux comportent, inscrite sur les leviers de couleur, une référence « C2221 » qui reproduit astucieusement le numéro « 221 » apposé pareillement sur les leviers colorés des connecteurs invoqués et que la gamme proposée par la société défenderesse reprend les solutions d’entrées multiples adoptées par les sociétés demanderesses.

Les faits de parasitisme sont également établis. Les éléments fournis établissent la réalité d'une valeur économique individualisée, du succès des connecteurs de la gamme 221 et des efforts d'investissements que la société défenderesse a délibérément détournés à son avantage en s'inscrivant dans le sillage des sociétés demanderesses.

Cour d'appel de Paris, pôle 5, 1re ch., 22 novembre 2023, 21/05608 (D20230044)
Wago GmbH & Co. KG et Wago Verwaltungsgesellschaft mit Beschränkter Haftung et Wago Contact SAS c. Polynix SAS
(Infirmation TGI Paris, 3e ch., 3e sect., 19 mars 2019, 17/04304)