Responsabilité contractuelle du cabinet de conseils en propriété industrielle (non) - Annulation d’un brevet suite à une action en contrefaçon - Manquement à l’obligation de conseil - Obligation de moyen - Aléa judiciaire
La société demanderesse est déboutée de son action en responsabilité dirigée contre le cabinet de conseils en propriété industrielle auquel elle avait donné mission de rédiger et déposer une demande de brevet[1] concernant un cône de chantier.
Aux termes de l’article L. 422-1 du CPI, le conseiller en propriété industrielle a une mission de conseil, d'assistance ou de représentation d'un tiers aux fins de l'obtention, du maintien, de l'exploitation ou de la défense des droits de propriété industrielle, incluant les consultations juridiques et la rédaction d'actes sous seing privé. Son obligation de conseil - conformément aux règles applicables pour l'ensemble des professions juridiques - se distingue en obligation de moyen et obligation de résultat. La différence entre les deux régimes tient à l'existence ou non d’un aléa grevant le sujet sur lequel porte la consultation.
En l’espèce, certaines revendications du brevet en cause ont été annulées pour défaut d’activité inventive, dans le cadre d’un litige en contrefaçon intenté par la société demanderesse[2].
Il ne peut être reproché au cabinet poursuivi de ne pas avoir rédigé une consultation précise et circonstanciée sur la brevetabilité de l’invention. En effet, il n’existe aucun document, courrier ou devis permettant d’affirmer que la société demanderesse souhaitait obtenir une consultation juridique particulière excédant les diligences incombant à un conseiller en propriété industrielle qui rédige et dépose un brevet.
Au contraire, le cabinet l’a informée du type de recherches préalables qu’il avait effectuées, attirant en conséquence son attention sur le caractère forcément aléatoire du résultat obtenu et précisant que le sondage exploratoire avait pour objectif de fournir un aperçu de l'état de la technique et ne pouvait être assimilé à une recherche exhaustive. Par ailleurs, la délivrance d’un brevet par l’INPI ne garantit pas que celui-ci ne puisse pas être annulé par les tribunaux. Ainsi, quelle que soit l’étendue des recherches effectuées, le cabinet poursuivi ne pouvait infirmer ou confirmer avec certitude la validité du brevet déposé, celle-ci étant soumise à l'aléa judiciaire.
Pour les mêmes motifs, il ne peut lui être reproché de ne pas avoir dissuadé son client d’engager une action judiciaire en contrefaçon sur le fondement de ce brevet.
Cour d’appel d’Aix-en-Provence, ch. 3-1, 1er décembre 2022, 19/10829 (B20220086)
Balipro SARL c. Cabinet X
(Confirmation TGI Marseille, 1re ch. civ., 9 mai 2019, 16/07818, B20190110)
[1] Dans une affaire antérieure, le tribunal de grande instance de Paris avait déjà jugé qu’un conseil en propriété industrielle n’avait pas commis de faute en procédant au dépôt d'un brevet français ultérieurement annulé par la cour d'appel de Nancy, dans la mesure où l'antériorité opposée au titre de la nouveauté (un brevet allemand de 1880) n'avait pas été retenue comme pertinente par les examinateurs de l'INPI. Il a relevé qu’« Il est constant que pèse sur le conseil en propriété industrielle auquel on a confié une mission tendant à déposer un brevet français ou européen, une obligation de conseil. Pour autant, il ne s’agit pas d'une obligation de résultat mais uniquement d'une obligation de moyen, et l'annulation ultérieure par les juridictions françaises de revendications d'un brevet français ne suffit pas à entraîner la responsabilité du conseil en propriété industrielle qui a procédé au dépôt dudit brevet.». (TGI Paris, 3e ch., 3e sect., 27 sept. 2006, Charles B c. Pierre H (Cabinet A), 05/05807 ; B20060160 ; PIBD 2006, 842, III-800).
Les juges se sont également prononcés sur la responsabilité d’un cabinet de conseils en propriété industrielle lorsqu’une demande de brevet est rejetée. Voir notamment : CA Paris, pôle 5, 2e ch., 17 nov. 2017, Cyrillle C c. Cabinet B, 16/17880 (B20170172 ; Propr. intell., 67, avr. 2018, p. 104, note de C. Derambure) ; CA Paris, pôle 5, 2e ch., 27 oct. 2017, Gabriel G c. Cabinet C et al., 16/07422 (B20170166 ; Propr. intell., 67, avril 2018, p. 104, note de C. Derambure) ; CA Toulouse, 2e ch., 1re sect., 5 déc. 2012, Jean C c. Guy D, 07/03553 (B20120161 ; PIBD 2013, 977, III-937).
[2] TGI Paris, 3e ch., 1re sect., 6 juin 2013, Balipro SARL c. Vinmer SA, 11/05096 (B20130085 ; PIBD 2013, 992, III-1456).