Validité de la marque (non) - Enregistrement - Défaut de clarté - Qualification de la marque - Portée de la protection - Droit de l'UE
Déchéance des marques semi-figurative et verbale (oui) - Défaut d’usage sérieux - Exploitation de la marque sous une forme modifiée - Altération du caractère distinctif - Exploitation sporadique - Usage à titre de nom de domaine
Contrefaçon des marques (non) - Faits antérieurs à la déchéance - Usage dans la vie des affaires - Dénomination d’une association - Similarité des services - Preuve
Concurrence déloyale (non) - Reprise de la dénomination sociale - Secteur d’activité identique - Risque de confusion (non)
La première marque invoquée handiréseau doit être annulée pour défaut de clarté. Dans son arrêt Oy Hartwall[1], la CJUE a dit pour droit : « L'article 2 de la directive 2008/95 doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, à l'enregistrement d'un signe en tant que marque du fait de l'existence d'une contradiction dans la demande d'enregistrement, ce qu'il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier »[2]. En l’espèce, dans le dépôt puis dans l'enregistrement, la marque handiréseau est qualifiée de « marque tridimensionnelle » et le signe est décrit comme disposant « d'un logo (rouge et prune) trois ronds réunis entre eux avec un trait et un rond de couleur différente finalisant un carré ». La catégorie « marque tridimensionnelle » apparaît incohérente avec le signe tel qu'il est représenté au dépôt, qui est un signe semi-figuratif. Or, la qualification du signe en tant que « marque tridimensionnelle » contribue à préciser l'objet et l'étendue de la protection sollicitée au titre du droit des marques, dans la mesure où elle permet de spécifier si la troisième dimension fait partie de l'objet de la demande d'enregistrement. La contradiction qui existe entre, d’une part, le signe handiréseau dont la protection est sollicitée sous la forme d'une marque semi-figurative et, d’autre part, la qualification qui est donnée à la marque par son déposant rend donc impossible la détermination exacte de l'objet et de l'étendue de la protection.
L’une des demanderesses doit être déchue de ses droits sur l’autre marque handiréseau invoquée, pour la totalité des services désignés. Il s’agit d’une marque semi-figurative constituée du signe tel que représenté dans la première marque, auquel ont été ajoutés les termes « femmes en E.A ». Elle a été déposée pour divers services en classes 35, 38 et 41, notamment l’organisation et la conduite de colloques, conférences ou congrès. L’une des brochures versées aux débats pour démontrer l’usage sérieux de cette marque est un programme pour une manifestation qui a eu lieu à une date qui n’est pas indiquée précisément. À supposer que cette brochure ait été diffusée pendant la période pertinente à prendre en considération, elle comporte la seule mention « Femme en EA », le terme « handiréseau » n'apparaissant que dans l'adresse internet qui y est mentionnée. Cet usage sous une forme modifiée qui altère le caractère distinctif du signe déposé à titre de marque, du fait de la suppression de ce terme et des éléments figuratifs, ne peut pas être retenu.
L’autre brochure, qui est une plaquette présentant une manifestation organisée avec l'accord du titulaire de la marque, reproduit à deux reprises le signe « Handiréseau Femme en EA », tel que déposé, aux côtés du terme « Trophées » et du sigle d’un partenaire. Eu égard aux services d'organisation de colloques qui sont des services relevant d'un marché concurrentiel, l'usage ponctuel, voire symbolique, de la marque pour annoncer une manifestation ne constitue pas un usage sérieux susceptible de faire échapper son titulaire à la déchéance.
Quant à la marque verbale HANDiRESEAUX, il convient également de prononcer la déchéance des droits de son titulaire pour la totalité des services désignés en classes 35, 36, 39 et 41. Les pièces précitées, seules pouvant être prises en considération comme étant comprises dans la période de référence, ne sont pas suffisantes pour démontrer un usage sérieux de la marque pour chacun de ces services, dont l'organisation de conférences ou colloques. En outre, il n'est pas établi que l'usage du signe « handiréseau » dans l'adresse internet https://www.handireseau.fr est un usage à titre de marque pour distinguer les services désignés.
Les demandes présentées au titre de la contrefaçon de ces deux marques, pour les faits d'usage du signe « Handiréseaux 38 » avant la date de déchéance, sont rejetées. Même si la défenderesse est une association reconnue d'intérêt général à caractère social, elle fait bien un usage de ce signe dans la vie des affaires en ce qu'il s'agit de sa dénomination. Elle l'utilise en effet pour l'obtention d'un avantage direct ou indirect de nature économique, à savoir la perception de dons ou subventions pour soutenir son activité, ce qui ne constitue pas un usage dans le domaine privé. Cependant, les demanderesses ne parviennent pas à démontrer l’existence d’un risque de confusion, pour le public pertinent, entre les services visés par les marques invoquées et les prestations offertes par l'association dans le cadre de son activité, et donc à caractériser la similarité entre les services en cause.
Cour d'appel de Paris, pôle 5, 2e ch., 9 juin 2023, 21/09755 (M20230078)
Handireseau SARL et Mme [P] [M] c. Association HandiRéseaux38
(Confirmation partielle TJ Paris, 3e ch., 1re sect., 19/10373 ; M20210330)
[1] CJUE, 4e ch., 27 mars 2019, Oy Hartwall Ab, C-578/17 (M20190083 ; PIBD 2019, 1115, III-215 ; Propr. intellect., 71, avr. 2019, p. 52, Y. Basire ; Propr. industr., juin 2019, p. 32, A. Folliard-Monguiral ; L'Essentiel, juin 2019, p. 6, S. Chatry ; RTD Com., 2, avr.-juin 2019, p. 369, J. Passa ; RJDA, nov. 2019, p. 878 ; Propr. industr., nov. 2019, p. 23, Y. Basire ; Légipresse, 376, nov. 2019, p. 645, M. Sengel ; Dalloz, 8, 5 mars 2020, p. 452, J.-P. Clavier ; Propr. industr., avr. 2020, J. Canlorbe).
[2] L’article 2 de la directive 2008/95/CE, relatif aux signes susceptibles de constituer une marque, dispose que « peuvent constituer des marques tous les signes susceptibles d’une représentation graphique, notamment les mots, y compris les noms de personnes, les dessins, les lettres, les chiffres, la forme du produit ou de son conditionnement, à condition que de tels signes soient propres à distinguer les produits ou les services d’une entreprise de ceux d’autres entreprises ». Dans son arrêt Sieckmann, à propos de l’enregistrement d’un signe olfactif, la CJUE avait dit pour droit : « L'article 2 de la directive 89/104/CEE [...] doit être interprété en ce sens que peut constituer une marque un signe qui n'est pas en lui-même susceptible d'être perçu visuellement, à condition qu'il puisse faire l'objet d'une représentation graphique, en particulier au moyen de figures, de lignes ou de caractères, qui soit claire, précise, complète par elle-même, facilement accessible, intelligible, durable et objective » (CJUE, 12 déc. 2002, C-273/00 ; PIBD 2003, 759, III-125 ; Propr. intell., avr. 2003, p. 205, E. Joly ; Droit et patrimoine, n° 117, juill.-août 2003, p. 98, D. Velardocchio ; JCP E, n° 30, 24 juill. 2003, p. 1239, G. Parleani ; Gaz. Pal., 194, 13-17 juill. 2003, p. 34, S. Frey ; JCP G, 40, 1er oct. 2003, p. 1726, M. Luby). Elle avait précisé que l'exigence de la représentation graphique avait pour fonction, notamment, de définir la marque elle-même afin de déterminer l'objet exact de la protection qui lui est conférée. Dans son arrêt Shield Mark, qui concernait des marques sonores, elle avait rappelé le principe précité (CJUE, 6e ch., 27 nov. 2003, C-283/01). Afin de tenir compte des nouveaux signes susceptibles de constituer une marque, tels les signes sonores ou multimédias, il a été décidé de supprimer l’exigence d’une « représentation graphique ». Les dispositions de l'article 2 de la directive 2008/95/CE ont ainsi été modifiées par la directive (UE) 2015/2436 dont l’article 3 dispose : « Peuvent constituer des marques tous les signes, notamment les mots, [...] les couleurs, [...] ou les sons, à condition que ces signes soient propres à : a) distinguer les produits ou les services d'une entreprise de ceux d'autres entreprises; et b) être représentés dans le registre d'une manière qui permette aux autorités compétentes et au public de déterminer précisément et clairement l'objet bénéficiant de la protection conférée à leur titulaire ». L’article L. 711-1 du CPI a dès lors été modifié par l’ordonnance de transposition n° 2019-1169 du 13 novembre 2019. Il est désormais rédigé de la manière suivante : « La marque de produits ou de services est un signe servant à distinguer les produits ou services d'une personne physique ou morale de ceux d'autres personnes physiques ou morales. Ce signe doit pouvoir être représenté dans le registre national des marques de manière à permettre à toute personne de déterminer précisément et clairement l'objet de la protection conférée à son titulaire ».