Annulation d’une saisie-contrefaçon d’une durée d’environ dix-sept heures en raison de l’atteinte disproportionnée portée aux droits du saisi

CA Paris, 29 juin 2022

Validité de la saisie-contrefaçon (non) - Dépassement des pouvoirs de l’huissier au vu de l'ordonnance - Durée des opérations - Absence de résistance du saisi - Atteinte disproportionnée aux droits du saisi

Texte

Une saisie-contrefaçon est une mesure probatoire exorbitante du droit commun, qui permet des investigations exceptionnellement contraignantes pour la partie qui en est l’objet. Les pouvoirs dévolus à l’huissier de justice sont donc strictement délimités par l’ordonnance autorisant la mesure. Il incombe au juge d’effectuer un contrôle de proportionnalité entre les droits du requérant et ceux de la partie saisie.

En l’espèce, dans l’ordonnance, le juge des requêtes a autorisé l’huissier à procéder à ses opérations, en cas de besoin, après les heures d’ouverture des locaux et à les suspendre. Les opérations en cause se sont déroulées pendant près de dix-sept heures, jusqu’à une heure tardive.

Or, à aucun moment, il n’a été justifié de leur nécessaire poursuite et aucune résistance avérée au bon déroulement des opérations de la part de la société saisie n’a été démontrée. En outre, il était possible à l’huissier de suspendre les opérations pour les reprendre le lendemain, sans attendre une demande de la partie saisie et sans qu’un risque de dépérissement des preuves éventuelles soit raisonnablement encouru, et ce alors même qu’il avait constaté que la directrice juridique n’était plus en mesure de lui fournir les informations sollicitées, compte tenu de l’heure tardive et du départ de ses collaborateurs. En particulier, il n’était pas nécessaire de faire relire le procès-verbal de constat après 22h20, générant une contrainte disproportionnée pour les représentants de la société saisie encore présents, de nature en outre à entraver les droits de la défense. En effet, aucune disposition légale n’imposait de lui remettre, à peine de nullité, une copie du procès-verbal immédiatement à l’issue des opérations.

En procédant de la sorte, dans le cadre d’investigations exceptionnellement contraignantes pour la société saisie, l’huissier n’a pas strictement respecté ses pouvoirs tels que délimités par l’ordonnance autorisant la mesure, en portant une atteinte disproportionnée aux droits du saisi. L’ensemble des opérations de saisie-contrefaçon est annulé au regard de leur caractère indissociable.

Cour d'appel de Paris, pôle 5, 1re ch., 29 juin 2022, 21/06171 (B20220058)[1]
Manitou BF SA c. J.C. Bamford Excavators Ltd

(Confirmation TJ Paris, 3e ch., 3e sect., 26 févr. 2021, 17/06462 ; B20210016)

 

[1] La cour d’appel ci-dessus publiée se prononce au fond sur la validité de la saisie-contrefaçon. Celle-ci avait déjà été mise en cause sur le fondement du défaut d’impartialité des conseils en propriété industrielle ayant assisté l’huissier de justice lors de ses opérations, à l’occasion de la demande en rétractation de l’ordonnance ayant autorisé la saisie présentée devant le juge des requêtes (CA Paris, 6 nov. 2020, 19/15536, B20200051, PIBD 2020, 1150, III-1 ; rendu sur renvoi après cassation CA Paris, 27 mars 2018, 17/18710, B20180018, Propr. intell., 70, janv. 2019, p. 81, note de C. de Haas, Propr. intell., 71, avr. 2019, p. 80, note de B. Warusfel ; Cass. com., 27 mars 2019, 18/15005, B20190019, PIBD 2019, 1115, III-225, Gaz. Pal., 17, 7 mai 2019, p. 37, LEPI, mai 2019, p. 7, note de S. Carre, RJDA, juin 2019, p. 581, D, 24, 4 juill. 2019, p. 1368, note de A.-C. Le Bras, Comm. com. électr., juin 2019, p. 22, note de C. Caron, Propr. intellect., 72, juil. 2019, p. 104, note de J.-C. Galloux, D, 28, 1er août 2019, p. 1585, note de P. Kamina, D IP/IT, sept. 2019, p. 510, note de J. Daleau, Légipresse, 376, nov. 2019, p. 652, note de R. Soustelle). La discussion au fond sur la contrefaçon des brevets européens sera abordée lors d’une audience ultérieure.