Jurisprudence
Brevets

Annulation partielle, pour défaut d’activité inventive, d’un brevet européen portant sur un algorithme de transfert de communication pour des téléphones mobiles

PIBD 1216-III-1
TJ Paris, 20 juillet 2023

Annulation partielle du brevet européen (oui) - Procédé - Revendications 9, 10, 13 et 14 - 1°) Description suffisante (oui) - Exécution par la personne du métier  - 2°) Nouveauté (oui) - Fonction différente - 3°) Activité inventive (non) - État de la technique - Évidence - Approche problème-solution - Substitution de moyens équivalents - Fonction connue - Revendications dépendantes

Texte

Le brevet européen invoqué au soutien de l’action en contrefaçon, intitulé « procédé pour régler un transfert », porte sur l'application d'un algorithme de transfert de communication lorsque le composant d'interface utilisateur d'un terminal se trouve à l’état actif. Il est reproché aux sociétés poursuivies d’avoir commercialisé des smartphones mettant en œuvre les enseignements de ce brevet.

La description du brevet rappelle qu’afin de fournir un service continu à un utilisateur, un terminal mobile doit effectuer un processus de transfert de communication pour passer d’un canal à un autre, sur la base de critères fixés par un algorithme. Ce transfert se produit souvent parce que la qualité du signal du canal fournissant, à un moment donné, le service de transmission n'est pas assez bonne. Un but de l’invention est de fournir une méthode améliorée pour l’application d’un algorithme de transfert de communication. Plus particulièrement, l'invention est basée sur l'idée qu'un état particulier d'un composant d'interface utilisateur d'un terminal est utilisé comme condition préalable à l'application de l'algorithme. Ainsi, ce dernier n'est appliqué que si l'état actuel du composant d'interface utilisateur est actif. Les états « inactif » et « actif » reflètent l'état du composant d'interface utilisateur au vu de l'activité d'utilisation. Si l'état est inactif (lorsque la fonction d'économiseur d'écran est appliquée), le composant ou le terminal n'est pas utilisé activement.

Les sociétés défenderesses concluent à la nullité des revendications 9, 10, 13 et 14, seules opposées par la société demanderesse, pour insuffisance de description. Elles font valoir, notamment, que les expressions « état inactif » et « état actif », figurant dans la revendication principale 9, sont dépourvues de sens technique objectif et ne correspondent à aucune définition d’un évènement précis et quantifiable permettant de connaître l’état du composant d’interface utilisateur. Quant à la « fonction d’économiseur d’écran », rien ne serait dit sur la façon dont cet état d’affichage est mis en œuvre et analysé par les composants de l’appareil.

Cependant, la description du brevet en cause donne plusieurs exemples qui permettent à la personne du métier de déterminer ce que recouvre le passage de l'état actif à l'état inactif. Elle décrit en particulier l'usage d'un clapet rabattable pouvant être doté de moyens magnétiques ou mécaniques de commande de l'état actif ou inactif de l'appareil, ou encore celui d'un écran de verrouillage. La fonction d'économiseur d'écran est quant à elle évoquée dans la partie descriptive du fascicule qui enseigne que l'application de cette fonction est précisément utilisée comme révélatrice de l'état inactif de l'appareil, ce qui affecte l'applicabilité de l'algorithme de transfert. La personne du métier sait que cette fonction « économiseur d'écran » est une programmation spécifique destinée à la protection contre les dommages causés par le fait de laisser, sur un écran, une image fixe pendant une trop longue durée. Elle sait aussi que les économiseurs d'écran, à la date de priorité, peuvent être constitués d'images animées ou d'une interruption totale de tout affichage. Elle comprend que l'économiseur d'écran est relié aux moyens de contrôle et que sa mise en fonctionnement permet à ceux-ci de détecter le changement d'état, et en particulier le passage de l'appareil à l'état inactif, ce qui doit interrompre la mise en œuvre de l'algorithme de transfert. Il en résulte que le brevet européen est suffisamment décrit et que ce moyen de nullité des revendications opposées est écarté.

Il en est de même du moyen de nullité tiré du défaut de nouveauté de ces revendications. Le brevet américain antérieur cité enseigne bien la mise en œuvre d’un algorithme de transfert de communication lorsque le terminal est à l’état actif, au sens du brevet européen, et l’interruption de la mise en œuvre de cet algorithme lorsque l’appareil est à l’état inactif. Toutefois, la fonction de détection du passage à l’état inactif s’effectue par la fermeture de la partie rabattable du terminal mobile, expressément enseignée par ce document, et non par le déclenchement de l’économiseur d’écran, cette caractéristique ne pouvant être regardée comme implicitement divulguée.

Par ailleurs, le brevet européen antérieur, également invoqué par les sociétés défenderesses, n’enseigne quant à lui aucunement que la recherche automatique d’un nouveau signal permettant le rétablissement de la communication s’arrête après que l’interface utilisateur soit passée en mode « économiseur d’écran », mais enseigne l’inverse. En effet, ce n’est que si aucun nouveau signal compatible, après la perte du signal précédent, n’est trouvé, que le dispositif sans fil passe alors en « mode veille » pour une période de temps prédéterminée, au terme de laquelle le dispositif sans fil recherche à nouveau un nouveau canal compatible. Ce n’est donc pas le passage en mode veille (qui pourrait être considéré comme comparable au mode « économiseur d’écran ») qui interrompt la recherche jusqu’au passage à l’état actif, mais l’absence de signal compatible, qui fait passer le terminal mobile en mode veille pour une durée prédéterminée.

En conséquence, aucune des antériorités invoquées ne divulgue l’usage de la fonction « économiseur d’écran » pour détecter le passage de l’état actif à inactif du terminal mobile ou de l’état inactif à actif, afin de déclencher l’algorithme de transfert de communication ou, au contraire, interrompre la recherche de canaux compatibles par le terminal mobile. Il en résulte que la revendication 9 ainsi que les revendications dépendantes 10, 13 et 14 du brevet européen invoqué sont nouvelles.

En revanche, s’agissant du moyen tiré du défaut d’activité inventive des revendications 9, 10, 13 et 14, celui-ci doit être accueilli. En principe, pour apprécier l'activité inventive d’un brevet, il convient de déterminer, d'une part, l'état de la technique le plus proche, d'autre part, le problème technique objectif à résoudre et, enfin, d'examiner si l'invention revendiquée aurait été évidente pour l'homme du métier. Toutefois, pour les tribunaux français, l’approche problème/solution n’est pas impérative. Il est admis que l’invention consistant à remplacer un moyen par un autre moyen connu équivalent n’implique pas d’activité inventive. À cet égard, deux moyens sont considérés comme équivalents lorsque, dans la même application, ils exercent la même fonction et procurent le même résultat, tandis que le second moyen ne permet de résoudre aucun problème spécifique.

En l’espèce, force est de constater que l’économiseur d’écran est un élément connu par la personne du métier, comme il a été vu précédemment, et qu’il est par ailleurs visé dans un brevet chinois antérieur pour sa fonction secondaire, à savoir celle matérialisant le passage d’un appareil mobile à l’état inactif. Cette fonction exercée par l’économiseur d’écran est donc parfaitement connue de la personne du métier et il était dès lors évident pour elle de substituer au clapet rabattable enseigné par le brevet américain précité un économiseur d’écran, aux mêmes fins de signalisation et de déclenchement du passage de l’appareil à l’état inactif pour interrompre la mise en œuvre de l’algorithme de transfert de communication. La revendication 9 du brevet européen en cause est donc nulle pour défaut d’activité inventive.

Il en va de même des revendications dépendantes 10, 13 et 14. En effet, le brevet américain enseigne des moyens de contrôle de l’appareil reliés à un organe de détection de l’état Marche/Arrêt, actionné par un composant d’interface utilisateur. Ce document enseigne également un arbre de décisions logiques conduisant à l’adaptation de l’appareil aux canaux de communication possibles. Enfin, l’appareil décrit est également doté d’une mémoire, d’une unité de traitement des étapes d’adaptation aux canaux de communication possibles et de moyens de commande.

Tribunal judiciaire de Paris, 3e ch., 1re sect., 20 juillet 2023, 21/10327 (B20230047)
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