Jurisprudence
Marques

Caractère descriptif de la marque constituée du nom géographique TIZZANO - Lien susceptible d’être établi dans l’avenir entre le signe et les vins d’AOP « vin de Corse Sartène » visés au dépôt

PIBD 1221-III-3
CA Aix-en-Provence, 21 décembre 2023

Validité de la marque verbale (non) - Nom géographique - Caractère distinctif - Caractère descriptif - Provenance géographique - Droit de l'UE - 1) Identification du signe en tant que nom géographique (non) - Public pertinent - 2) Lien actuel entre le signe et les produits (non) - 3) Signe susceptible d'être utilisé en tant qu'indication de provenance géographique des produits (oui) - Preuve - Pièces non produites devant l’INPI

Texte
Marque n° 4 122 236 de la SCA La Cave d’Aléria
Texte

La demande en nullité de la marque TIZZANO, désignant des « vins d’appellation d’origine protégée (AOP) "vins de Corse Sartène" », est accueillie.

Dans son arrêt Windsurfing Chiemsee[1], la Cour de justice des Communautés européennes a dit pour droit que l'article 3,§ 1, c) de la directive 89/104/CEE (transposé en droit français par l’ancien article L. 711-2 b) du CPI) ne se limite pas à interdire l'enregistrement des noms géographiques en tant que marque dans les seuls cas où ceux-ci désignent des lieux qui présentent actuellement, aux yeux des milieux intéressés, un lien avec la catégorie de produits concernée mais s'applique également aux noms géographiques susceptibles d'être utilisés dans l'avenir par les entreprises intéressées en tant qu'indication de provenance géographique de la catégorie de produits en cause. Elle a ajouté que dans les cas où le nom géographique ne présente pas actuellement aux yeux des milieux intéressés, un lien avec la catégorie de produits concernée, l'autorité compétente doit apprécier s'il est raisonnable d'envisager qu'un tel nom puisse, aux yeux des milieux intéressés, désigner la provenance géographique de cette catégorie de produits. Elle a également précisé que dans cette appréciation, il convient plus particulièrement de prendre en compte la connaissance plus ou moins grande que les milieux intéressés ont du nom géographique en cause ainsi que les caractéristiques du lieu désigné par celui-ci et de la catégorie de produits concernés.

En premier lieu, il n'est pas démontré que l’ensemble des consommateurs français d'attention moyenne constituant le public pertinent reconnaisse dans le terme « Tizzano » le nom d'un village Corse, situé de surcroît dans la zone géographique de l’AOP « Vins de Corse Sartène ».

En second lieu, les pièces produites par le demandeur en annulation ne permettent pas de faire un lien entre ce terme et une production viticole. Une pièce montre que Tizzano est décrit sur Internet comme un ancien village de pêcheurs désormais doté d'un port de plaisance et vanté pour ses plages et ses criques, sans aucune référence à un vignoble sur ce territoire. Les pièces montrant la réputation des vins de Sartène sont sans pertinence, dès lors qu'il n'est démontré l'existence d'aucun lien fait immédiatement par le public concerné entre Tizzano et Sartène.

En revanche et en troisième lieu, les pièces non soumises à l'INPI mais qui ont été produites devant la cour d’appel dans le cadre du recours en réformation permettent d’établir qu’au jour du dépôt de la marque, il était raisonnable de penser que la vallée de Tizzano était susceptible de devenir connue pour son vin. Elles montrent l'existence d'autres domaines viticoles dans la vallée de Tizzano et font état d’une exploitation viticole continue de plusieurs décennies dans cette région avant le dépôt de la marque contestée.

Ainsi, au regard de l’histoire du lieu, qui est très lié à la viticulture, aujourd’hui conservée de manière active par les exploitations viticoles exerçant sur le territoire de la commune de Tizzano, et de la recherche par le public concerné de terroirs nouveaux, avec des cépages spécifiques comme ceux mis en œuvre sur ce territoire, il est raisonnable d'envisager que dans l’avenir, un lien pourra être établi entre le signe « Tizzano » et les vins.

CA Aix-en-Provence, ch. 3-1, 21 décembre 2023, 22/03846 (M20230257)[2]
Syndicat de défense des vins du Sartenais à appellation contrôlée c. INPI et La cave d’Aleria SCA (anciennement Union des vignerons de l’Île de Beauté SCA)
(Annulation décision INPI, 16 févr. 2022, NL 21-0024 ; NL20210024)

[1] CJCE, c. plén., 4 mai 1999, Windsurfing Chiemsee Produktions- und Vertriebs GmbH (WSC) c. Boots- und Segelzubehör Walter Huber et Franz Attenberger, C-108/97 et C-109/97 ; M19990568 ; PIBD 1999, 683, III-381 ; RTD eur. 2000, p. 128, G. Bonet ; RTD com. 2000, p. 8, J.-C. Galloux.

[2] Le Syndicat de défense des vins du Sartenais à appellation contrôlée a également demandé la nullité de la marque verbale BERGERIES DE L’ORTOLO, appartenant au même titulaire et désignant les mêmes produits. Dans un arrêt rendu le même jour, la cour d’appel d’Aix-en-Provence (22/03847 ; M20230255) a rejeté le recours formé contre la décision de l’INPI, qui avait rejeté la demande. La cour a d’abord jugé qu'il ressortait des pièces produites que les vins de la vallée de l'Ortolo jouissent d'une réputation dans le domaine viticole. Cependant, la cour a rappelé, comme l’INPI, que la distinctivité s’apprécie au regard de l’ensemble du signe. Elle a estimé que le terme d'attaque « Bergeries » était distinctif pour désigner du vin (le vin n'étant pas produit dans des bergeries) et que l'adjonction du mot « l'Ortolo », correspondant au nom d'un fleuve côtier de Corse du Sud, ne permettait pas d’ôter à l'ensemble du signe son caractère distinctif. Sur le caractère déceptif et l'atteinte portée à l’AOP, la Cour a notamment jugé que le consommateur d'attention moyenne ne pouvait être trompé sur l'origine des produits, dès lors que l'enregistrement de la marque contestée est exclusivement limité aux seuls vins d’AOP « Vins de Corse Sartène ». Elle ajouté que la circonstance que l'intimée produit des vins issus de Haute Corse était inopérante, les conditions d'exploitation du produit ne pouvant être prises en considération.