Contrefaçon de la marque verbale de l’UE (oui) - Dépassement des limites du contrat de franchise - Reproduction - Identité des produits - Imitation - Syllabes d'attaque identiques - Élément distinctif - Adjonction d’un suffixe et d’un mot - Similitude visuelle et phonétique - Différence intellectuelle - Risque de confusion ou d'association
Validité de la marque semi-figurative (non) - Dépôt frauduleux (oui) - Connaissance de cause - Relations d'affaires - Usage commercial antérieur
Concurrence déloyale (oui) - Faits distincts des actes de contrefaçon - Usage commercial antérieur - Secteur d’activité identique - Risque de confusion
Un contrat de franchise a été conclu pour une durée de cinq ans entre la société titulaire de la marque verbale de l’Union européenne KARE, qui désigne des produits des classes 11, 20 et 21, et une société spécialisée dans le commerce de meubles, luminaires, accessoires de décoration et articles cadeaux, autorisant celle-ci à utiliser la marque dans le cadre de l’exploitation d’un magasin.
L’usage, par cette ancienne franchisée, des signes « KARE » et « KAREMENT MAISON », postérieurement à l’expiration du contrat de franchise, et en particulier à celle de la licence de marque qui lui avait été concédée, constitue une contrefaçon de la marque KARE au sens de l’article L. 717-1 du CPI.
En premier lieu, il est établi que la société défenderesse a dépassé la durée d’exploitation de la marque KARE stipulée dans le contrat de licence, en poursuivant l’exploitation de la dénomination « KARE » pour désigner des produits identiques.
En effet, son magasin présentait toujours sur sa façade, postérieurement à l’expiration de la licence, deux enseignes sous le signe « KARE » reproduisant la marque à l’identique. La défenderesse a, en outre, maintenu en façade de son magasin une affiche publicitaire comportant la reproduction à l’identique de la marque selon la même graphie que celle ayant été retenue par la demanderesse pour son signe, celle-ci figurant également au sein du nom de domaine kare-montelimar.fr mentionné au bas de l’affiche.
Ainsi, des actes de contrefaçon par reproduction sont caractérisés.
S’agissant du grief de contrefaçon par imitation, le signe « KAREMENT MAISON » a ensuite été apposé, d’une part, sur la façade du magasin de la défenderesse, dont les parois vitrées rendent visibles les produits exposés à l’intérieur, et d’autre part, sur ses pages Linkedin et Google pour communiquer sur son activité de « magasin d’ameublement et de décoration ».
La marque invoquée KARE est constituée d’un élément verbal unique présentant un fort caractère distinctif. En effet, celui-ci constitue une dénomination arbitraire insusceptible d’évoquer les produits qu’elle désigne dans l’esprit du public pertinent (un public normalement informé et raisonnablement attentif, consommateur de meubles, luminaires, accessoires et de produits de décoration pour la maison). En outre, son élément dominant est la lettre d’attaque « K », peu usuelle dans la langue française, quand bien même plusieurs marques d’ameublement et décoration y auraient recours dans leur nom commercial ou logo.
Le signe semi-figuratif litigieux « KAREMENT MAISON » reprend, quant à lui, l’intégralité du signe antérieur, en adjoignant le suffixe « MENT » qui est courant dans la langue française et le terme « MAISON » descriptif au regard des produits en cause.
Sur les plans visuels et phonétiques, les signes en litige apparaissent moyennement similaires.
Visuellement, le signe « KARE » est exploité par la demanderesse sous la forme semi-figurative de quatre lettres de couleur rouge. L’attention du consommateur sera retenue par l’élément « KAREMENT », du fait de sa position prépondérante au-dessus du terme « MAISON », avec la lettre « K » placée en attaque, et de sa couleur, qui renforcent sa distinctivité.
Phonétiquement, le signe de la défenderesse se prononce de manière identique en ses deux premières syllabes. L’attention du consommateur sera dès lors retenue par le terme d’attaque, et plus particulièrement par ses deux premières syllabes.
Sur le plan conceptuel, la marque KARE est dépourvue de signification dans la langue française, tandis que le signe « KAREMENT MAISON » évoque les produits en cause grâce à l'ajout du terme descriptif « maison ».
L’absence de similitude conceptuelle et la proximité moyenne des signes sur les plans visuels et phonétiques est toutefois compensée par la grande similitude des syllabes d’accroche, en particulier leur lettre d’attaque « K », et par l’identité des produits concernés, ou à tout le moins leur très grande similitude. Ainsi, le public pertinent sera amené à attribuer aux produits proposés par la défenderesse une origine commune avec ceux qui étaient précédemment commercialisés par elle sous la marque KARE dans le même magasin ou, tout au moins, à associer le signe litigieux à cette marque.
La défenderesse, en exploitant le signe « KAREMENT MAISON », a ainsi également commis des actes de contrefaçon par imitation de la marque KARE.
Elle a, en outre, procédé au dépôt de la marque KAREMENT MAISON trois mois après l’expiration du contrat de franchise. Il est fait droit à la demande en nullité de cette marque pour dépôt frauduleux.
Selon la Cour de justice de l’Union européenne[1], l’appréciation de la mauvaise foi du demandeur à l’enregistrement suppose de prendre en considération tous les facteurs pertinents propres au cas d'espèce et existant au moment du dépôt de la demande et, notamment, premièrement, le fait que le demandeur sait ou doit savoir qu'un tiers utilise un signe identique ou similaire pour un produit ou un service identique ou similaire prêtant à confusion avec le signe dont l'enregistrement est demandé, deuxièmement, l'intention du demandeur d'empêcher ce tiers de continuer à utiliser un tel signe ainsi que, troisièmement, le degré de protection juridique dont jouissent le signe du tiers et le signe dont l'enregistrement est demandé.
Le Tribunal de l’Union européenne[2] a précisé à ce titre que, dans le cadre de cette analyse globale, il peut également être tenu compte de l'origine du signe et de son usage depuis sa création, de la logique commerciale dans laquelle s'inscrit le dépôt, ainsi que de la chronologie des évènements ayant caractérisé sa survenance.
En l’espèce, la demanderesse a, durant la période qui liait les parties, fait usage, à de nombreuses reprises, du jeu de mots « KAREment » dans sa communication commerciale sur ses comptes Twitter et Pinterest. La défenderesse, en sa qualité d’ancienne franchisée, avait donc parfaitement connaissance, d’une part, du signe « KARE » déposé à titre de marque et utilisé comme enseigne et, d’autre part, de sa déclinaison en jeu de mots par le franchiseur. En déposant le signe « KAREMENT MAISON » à son nom à titre de marque pour désigner des produits identiques, elle a ainsi laissé croire au public concerné que son magasin demeurait affilié d’une manière ou d’une autre au réseau KARE.
La fraude apparaît donc établie, au regard de la date et des circonstances du dépôt et de ses termes.
Par ailleurs, la reprise comme signe distinctif du jeu de mots par l’ancienne franchisée, aux fins de désigner les produits qu’elle commercialise désormais sous la dénomination « KAREMENT MAISON », est un fait distinct de ceux sanctionnés sur le fondement de la contrefaçon de marque constitutif de concurrence déloyale. En effet, elle contribue à renforcer le risque de confusion dans l'esprit du public, en cherchant, nonobstant la résiliation du contrat de franchise qui unissait les parties, à maintenir un lien avec le magasin exploité auparavant sous l'enseigne KARE dans le cadre de ce contrat, d’autant plus que les sociétés en cause opèrent sur le même marché des produits.
Tribunal judiciaire de Paris, 3e ch., 1re sect., 24 octobre 2024, Kare Design GmbH c. Design for You SARL, 21/15648 (M20240247)
[1] CJUE, 1re ch., 11 juin 2009, Chocoladefabriken Lindt & Sprüngli AG, C-529/07 (M20090290 ; PIBD 2009, 900, III-1225 ; D., 35, 15 oct. 2009, p. 2396, T. Lancrenon ; Propr. industr., sept. 2009, p. 29, A. Folliard-Monguiral).
[2] TUE, 9e ch., 16 déc. 2020, Pareto Trading Co. c. EUIPO, T-438/18.