Jurisprudence
Marques

Contrefaçon par le dépôt de marques comprenant un nom patronymique et par l’usage de ce nom - Exploitation de l’histoire familiale du domaine viticole suite à la cession du fonds de commerce

PIBD 1172-III-2
Cass. com., 13 octobre 2021

Contrefaçon de marque - Interdiction d’usage - 1) Dépôts de marques - Droit de l’UE - Usage dans la vie des affaires - Usage pour des produits ou services - Risque de confusion - Fonction d'indication d'origine - 2) Exception d’homonymie - Atteinte aux droits du titulaire - Usage du nom patronymique - 3) Imitation - Adjonction d’un prénom - Risque de confusion

Concurrence déloyale à l’égard du cessionnaire du fonds de commerce - 1) Faits distincts des actes de contrefaçon - Dépôts de marques multiples - 2) Exploitation commerciale d’une histoire familiale - Mention du changement de propriétaire - Risque de confusion

Concurrence déloyale à l’égard du cédant du fonds de commerce - Exploitation commerciale d’une histoire familiale - Risque de confusion

Texte

La coopérative vinicole demanderesse a acheté le fonds de commerce d’une société mise en liquidation judiciaire exerçant une activité de négociant en vins, lequel comprenait notamment la marque Lucien Albrecht pour désigner des produits en classes 32 et 33. Postérieurement des sociétés ont été constituées par l’ancien dirigeant de la société cédée et/ou ses filles. Ces derniers ont déposé, en leur nom propre ou pour le compte des sociétés, plusieurs demandes d’enregistrement de marques comprenant notamment le nom patronymique litigieux dans les mêmes classes, qui ont été rejetées par l’INPI.

Concernant les dépôts de marques, la cour d’appel a rejeté l’action en contrefaçon intentée par la société coopérative, en retenant qu’en l'absence d'enregistrement, il ne pouvait être retenu d’actes de contrefaçon. La demande d'enregistrement d'un signe en tant que marque ne caractérise pas un usage pour des produits ou services, au sens de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne[1], en l'absence de tout début de commercialisation de produits ou services sous le signe. De même, aucun risque de confusion et, par conséquent, aucune atteinte à la fonction essentielle d'indication d'origine de la marque, ne sont susceptibles de se produire. Dès lors, une telle demande d’enregistrement ne constitue pas un acte de contrefaçon[2].

En revanche, la cour d’appel a prononcé une mesure d’interdiction d’usage du terme « Albrecht » uniquement à l’encontre des sociétés poursuivies qui commercialisent les produits contrefaisants, à l’exclusion des personnes physiques. Le titulaire d'une marque ne peut, en application de l'article L. 713-6 du CPI dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n°2019-1169 du 13 novembre 2019, obtenir que l'utilisation par un tiers de son nom soit interdite ou limitée que si ce dernier a commis un acte de contrefaçon de la marque ou qu'il existe des raisons sérieuses de penser qu'il s'apprête à en commettre un.

La cour d’appel a retenu qu'il ne pouvait être fait interdiction générale d'employer le terme « Albrecht » et que c'était uniquement l'usage du terme « Albrecht » seul qui pouvait être considéré comme contrefaisant. En statuant ainsi, alors qu’elle avait retenu que le remplacement du prénom Lucien par les prénoms Marie et Cécile s'avérait secondaire par rapport à l'élément déterminant qu'est le nom de famille et que le signe Marie et Cécile Albrecht contrefaisait la marque Lucien Albrecht, ce dont il se déduisait que tout usage d'un signe constitué d'un ou plusieurs prénoms et du seul patronyme Albrecht était contrefaisant, elle a violé l’article L. 713-3 b) du CPI.

Il résulte de 1240 du Code civil que la caractérisation d’une faute de concurrence déloyale n’exige pas la constatation d’un élément intentionnel. Pour rejeter l’action en concurrence déloyale, la cour d’appel a retenu, notamment, que la société coopérative ne pouvait reprocher aux parties poursuivies d'employer l'histoire de leur propre famille à des fins commerciales, dès lors que celle-ci ne peut être considérée comme un élément distinctif tenant à la présentation des produits du titulaire de la marque Lucien Albrecht. Elle a ajouté que le fait qu’elles n'évoquent pas, dans leur communication commerciale, la cession du fonds de commerce de leur ancien domaine viticole n'était pas de nature à établir qu'elles chercheraient à accaparer la clientèle de ce fonds. En se déterminant ainsi, sans rechercher si l'exploitation à des fins commerciales de l'histoire de leur famille sans mentionner la cession du fonds de commerce n'était pas de nature à entraîner, fût-ce non intentionnellement, un risque de confusion entre les produits commercialisés sous la marque Lucien Albrecht et ceux qu’elles commercialisent, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

Lorsqu'un fonds de commerce est le fruit d'une histoire familiale, l'acquéreur de ce fonds est en droit de se prévaloir de cette histoire, sous réserve de ne pas créer un risque de confusion entre son activité et celle des membres de la famille restés actifs dans le même domaine. Pour accueillir la demande reconventionnelle en concurrence déloyale, la cour d’appel a retenu que, si la société coopérative avait acquis le fonds de commerce de la société mise en liquidation judiciaire et une marque contenant le nom patronymique des personnes physiques poursuivies, ceci ne lui conférait pas pour autant des droits sur les éléments intellectuels et visuels liés à la famille et son histoire qui n'y sont pas attachés. Elle a dit qu’en s'appropriant l'histoire familiale dans le but d'obtenir un avantage commercial, elle avait cherché à profiter indûment des efforts intellectuels et techniques des sociétés de la famille. En se déterminant ainsi, sans constater que les modalités de l'exploitation à des fins commerciales de l'histoire de la société cédée, qui incluait nécessairement des éléments intellectuels liés à l'histoire de la famille dans la viticulture alsacienne, avaient entraîné un risque de confusion entre les produits qu'elle commercialisait sous les marques acquises avec le fonds de commerce et ceux que commercialisaient les parties poursuivies, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

Cour de cassation, ch. com., 13 octobre 2021, 19-20.504 (M20210238 ; Gaz Pal, 38, 2 nov. 2021, p. 36 ; D. IP/IT, nov. 2021, p. 537 ; Dalloz actualité, 28 oct. 2021, O. Wang)
Wolfberger - Cave coopérative vinicole d'Eguisheim SCA c. Cécile A, Jean A, Marie A et. al.
(Cassation partielle CA Colmar, 3 juillet 2019, 17/00436, M20190183)

[1] Voir notamment CJUE, 3 mars 2016, Daimler, C-179/15 (M20160160 ; PIBD 2016, 1049, III-367 ; Propr. industr., avr. 2016, p. 43, note d’A. Folliard-Monguiral ; JCP G, 11, 14 mars 2016, p. 518, note de F. Picod ; Comm. com. électr., 2016, comm. 32, C. Caron).

[2] L’arrêt présentement publié marque clairement un revirement de la jurisprudence de la Cour de cassation. Celle-ci a rendu le même jour un autre arrêt avec une motivation identique (Cass. com., 13 oct. 2021, Compagnie Méditerranéenne des Cafés SA c. Cafés Richard SA et al., 19-20.959 ; B20210070 ; PIBD 2021, 1170, III-2 avec un commentaire de S. Lepoutre).