Autorisation d’appel d’une décision de sursis à statuer (non) - Motif grave et légitime - Procédure pendante en nullité d’un CCP - Pourvoi en cassation
L’ordonnance critiquée a prononcé un sursis à statuer sur les demandes d’un génériqueur en nullité d’un CCP et en indemnisation, dans l’attente d’un arrêt de la Cour de cassation saisie d’un moyen relatif à la validité de ce CCP. La demande d’autorisation d’appel immédiat de cette décision est rejetée, l’existence d’un motif grave et légitime au sens de l'article 380 du Code de procédure civile n’ayant pas été rapportée.
Il n'appartient pas au premier président, statuant dans le champ de ces dispositions, de porter une appréciation sur le bien-fondé du sursis à statuer. En effet, le motif grave et légitime s'apprécie au regard des conséquences préjudiciables que pourrait entraîner le sursis à statuer pour la partie qui s'y oppose.
La décision attaquée ne porte pas atteinte au droit du génériqueur à bénéficier d'un procès équitable. Si celle-ci n'a prononcé de sursis à statuer que sur les demandes qu’il a présentées, il s'avère que les demandes de ses adversaires fondées sur la validité du CCP ne peuvent pour l'heure prospérer au vu d’un arrêt de la cour d'appel de Paris[1] rendu dans une affaire parallèle, qui a annulé ledit CCP erga omnes. Ainsi la procédure est suspendue pour l'ensemble des parties et relativement à l'ensemble des demandes.
Une mesure de droit à l'information, sollicitée par le titulaire du CCP, a été prononcée[2] sous astreinte à l’encontre du génériqueur qui en a interjeté appel. Quelle que soit la légitimité du refus de ce dernier de l’exécuter, il n'a en tout état de cause pas exécuté ladite mesure avant que ne soit rendu l'arrêt infirmant cette ordonnance. Il n'a donc pas subi de préjudice de ce chef et cet élément ne peut constituer un motif grave et légitime.
Le génériqueur fait valoir que l’arrêt précité ayant annulé le CCP n'est susceptible d'aucun recours suspensif d'exécution, de sorte qu'il a force de chose jugée. Selon lui, le sursis à statuer ordonné reviendrait à anéantir la force de chose jugée. Or, c'est précisément parce que le pourvoi en cassation n'est pas suspensif que l'article 110 du Code de procédure civile permet au juge de prononcer un sursis à statuer lorsque l'issue de ce pourvoi est susceptible d'avoir une incidence sur l'issue d'un litige en cours. Le caractère non-suspensif du pourvoi en cassation ne saurait donc faire obstacle au sursis à statuer ordonné dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice.
Enfin, si le motif tenant à la durée rallongée de la procédure du fait du sursis à statuer apparaît légitime, il ne revêt toutefois pas en l'espèce un caractère de gravité suffisant. En effet, l'annulation du CCP erga omnes restera effective tant que la Cour suprême n'aura pas cassé l’arrêt l’ayant prononcée et la commercialisation des spécialités génériques a pu reprendre dès la date d'expiration dudit CCP, survenue en cours de procédure. Par ailleurs, s'agissant de l'indemnisation sollicitée pour la période de non-commercialisation de ses produits durant 4 mois environ, le génériqueur n'apporte pas d'éléments pertinents sur l'étendue du préjudice qu'il invoque. Ainsi, il ne met pas la présente juridiction en mesure d'apprécier les conséquences préjudiciables que le sursis à statuer pourrait avoir sur sa trésorerie et son activité et par voie de conséquence de privilégier la célérité dans le prononcé du jugement au fond.
Cour d’appel de Paris, pôle 1, 5e ch., ord. réf., 16 septembre 2021, 21/08408 (B20210063)
Biogaran SAS c. Merck Sharp & Dohme Corp., MSD France SAS, Organon LLC et al.
(TJ Paris, ord. JME, 11 mars 2021, 17/17048)
[1] CA Paris, pôle 5, 2e ch., 25 sept. 2020, Teva Santé SAS et al. c. Merck Sharp & Dohme Corp., 18/23642 ; B20200041 ; PIBD 2020, 1147, III-1 avec une note de C. Martin. À l’occasion de la publication de cet arrêt dans PIBD, le point avait été fait sur les nombreux litiges ayant opposé la société Merck Sharp & Dohme Corp., titulaire du brevet européen n° 0 720 599 et notamment du CCP n°05C0040 couvrant le produit de combinaison d’ezétimibe et de simvastatine, à des sociétés pharmaceutiques qui envisageaient de commercialiser des médicaments génériques qui seraient la contrefaçon de son brevet et de ce CCP.
[2] TJ Paris, 3e ch., 1re sect., ord. JME, 12 mars 2020, Biogaran c. Merck Sharp & Dohme Corp. et al., 17/17048 (B20200037 ; PIBD 2020, 1147, III-2). Cette décision a été infirmée par l’arrêt de la CA Paris, pôle 5, 1re ch., 2 mars 2021, 20/07689 (B20210015).