Jurisprudence
Brevets

Médicament - Annulation d'un CCP portant sur une combinaison de deux principes actifs dont l'un a déjà fait l'objet d'un CCP sur la base du même brevet

PIBD 1147-III-1
CA Paris, 25 septembre 2020, avec une note

Action en nullité des revendications dépendantes du brevet - Recevabilité (oui) - Intérêt à agir

Validité du brevet (oui) - Revendications dépendantes - Description suffisante - Médicament - Combinaison de principes actifs - Effet thérapeutique - Essais

Validité du CCP (non) - Produit - Combinaison de principes actifs - Protection par le brevet de base - Pluralité de CCP - Droit de l’UE - Renvoi préjudiciel (non)

Texte

Le CCP portant sur la combinaison de deux principes actifs, dont l’un a déjà fait l’objet d’un CCP sur la base du même brevet, doit être annulé, les conditions cumulatives posées par l’article 3 a) et c) du règlement (CE) n° 469/2009, telles qu’interprétées au regard de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, n’étant pas remplies.

Si la jurisprudence découlant des arrêts Teva1 et Royalty Pharma2 n’est pas applicable en l’espèce, il en va autrement des arrêts Georgetown3 et Actavis/Sanofi4 qui traitent de situations plus  proches du cas d’espèce. Il y a donc lieu de vérifier si du point de vue de l'homme du métier, sur le fondement de ses connaissances générales, de l'état de la technique à la date de dépôt du brevet et à la lumière de la description servant à interpréter les revendications conformément à l'article 69 de la CBE, le produit constitué de la combinaison de l'ézétimibe et de la simvastatine, objet du CCP litigieux, constitue un produit distinct de l'ézétimibe seul, protégé en tant que tel par le brevet et qui a fait l’objet d’un précédent CCP.

La description du brevet présente, comme objet de l’invention, des nouveaux composés hypocholestérolémiques, les azétidinones hydroxy substituées, auxquelles appartient l’ézétimibe. Elle expose ensuite que, « sous un autre aspect », l’invention se rapporte à une combinaison d’une azétidinone hydroxy substituée et d'un inhibiteur de la biosynthèse du cholestérol, sélectionné dans un groupe comprenant la simvastatine. Elle évoque indifféremment, s’agissant de l’ézétimibe seul et de sa combinaison avec la simvastatine, un effet pour le traitement de l’arthérosclérose ou pour la réduction du niveau de cholestérol dans le plasma, sans aucune indication sur l’effet thérapeutique spécifique qui permettrait de les distinguer. En conséquence, l’homme du métier, qui connaissait, dans l’art antérieur, la possibilité de combiner deux anticholestérolémiants ayant des mécanismes d’action différents, ainsi que l’existence des statines, notamment la simvastatine, couramment utilisées pour le traitement de l’hypercholestérolémie, ne considérera pas que la combinaison susvisée constitue un produit distinct, protégé en tant que tel par le brevet de base.

Dans l’affaire Actavis/Sanofi, la Cour de justice a rappelé que l'objectif poursuivi par le règlement (CE) n° 469/2009 n'était pas de compenser intégralement les retards pris dans la commercialisation d'une invention ni de compenser de tels retards en lien avec toutes les formes de commercialisation possibles de l’invention, y compris la commercialisation de compositions déclinées autour du même principe actif. L’arrêt visait des circonstances dans lesquelles, sur le fondement d'un brevet protégeant un principe actif novateur et d'une AMM pour un médicament contenant celui-ci en tant que principe actif unique, le titulaire du brevet avait obtenu un CCP lui permettant de s'opposer à l'utilisation du principe actif seul ou en combinaison avec d'autres principes actifs. La Cour a dit que l'article 3 c) du règlement devait être interprété en ce sens qu'il s'opposait à ce que, sur le fondement du même brevet, mais d'une AMM ultérieure pour un médicament contenant une composition constituée de ce principe actif et d’un autre principe actif, lequel n'est pas, en tant que tel, protégé par le brevet, le titulaire du brevet obtienne un second CCP portant sur cette combinaison. En l’espèce, le premier CCP obtenu pour l'ézétimibe seul permettait au titulaire du brevet de s'opposer à la commercialisation d'un médicament contenant ce principe actif en combinaison avec une statine telle que la simvastatine et ayant une indication thérapeutique analogue à celle du médicament couvert par le CCP.

Cour d’appel de Paris, pôle 5, 2e ch., 25 septembre 2020, 2018/23642 (B20200041)
Teva Santé SAS et Teva Pharmaceuticals Europe BV c. Merck Sharp & Dohme Corp.
(Confirmation partielle TGI Paris, 3e ch., 1re sect., 25 oct. 2018, 2016/16178 ; B20180129 ; PIBD 2018, 1106, III-740)

Titre
NOTE
Texte


Le CCP n° 05C0040, obtenu pour un médicament sur la base du brevet européen n° EP 0 720 599 et portant sur la combinaison de l’ézétimibe et de la simvastatine, qui fait l’objet du présent litige en nullité, a donné lieu en France à des contentieux opposant la société Merck à d’autres génériqueurs, les sociétés Biogaran, Mylan et Sandoz, contre lesquels celle-ci réclamait des mesures provisoires. Ses demandes ont toutes été rejetées en appel5 en raison du caractère sérieux de la contestation de la validité du CCP qui était opposée en défense. Pourtant, dans les deux affaires soumises aux juges après le fameux arrêt Teva6 rendu par la Cour de justice de l’Union européenne, les demandes avaient été accueillies en première instance7.

Comme les premiers juges dans la présente affaire, qui avaient déclaré le CCP valable, le juge de la mise en état, dans l’affaire Mylan, a considéré, au regard des enseignements de l’arrêt Teva, que le produit constitué de la combinaison revendiquée était bien protégé par le brevet de base au sens de l’article 3 a) du règlement (CE) n° 469/2009, dès lors que la combinaison relevait nécessairement de l’invention couverte par le brevet et que la simvastatine était identifiable de manière spécifique. Il ne serait pas nécessaire que ce principe actif soit un nouveau composé enseigné par le brevet. Le juge a ajouté que la combinaison n’avait pas déjà fait l’objet d’un CCP, ainsi que le prescrit l’article 3 c) du règlement. Il a donc estimé que les moyens contestant la validité du CCP étaient dénués de sérieux.

La divergence des points de vue entre le tribunal judiciaire de Paris et la cour d’appel de Paris sur la validité du CCP de la société Merck, qui résulte d’une interprétation différente des arrêts rendus par la Cour de justice, a conduit récemment le premier8 à ordonner à l’encontre de la société Biogaran, dans le cadre d’une procédure en nullité du CCP, la production forcée de documents et d’informations permettant d’évaluer le préjudice qu’aurait subi la société Merck du fait d’une vraisemblable contrefaçon, alors que la demande en vue d’obtenir des mesures provisoires d’interdiction et de publication à l’encontre du génériqueur avait été rejetée9.

Il serait heureux qu’un arrêt de la Cour de cassation vienne éclairer le débat sur ce sujet complexe. Dans le présent arrêt, la cour d’appel ne juge pas opportun de faire un renvoi préjudiciel à la Cour de justice sur l’interprétation de l’article 3 a) et c) du règlement (CE) n° 469/2009, comme l’y invitait la société Merck. Elle rapporte que cette société a introduit des demandes d’interdiction provisoire dans plusieurs pays européens sur le fondement du CCP portant sur la combinaison de l’ézétimibe et la simvastatine. Ces demandes ont été accueillies par certaines juridictions en Norvège, en République tchèque, au Portugal, en Belgique et en Autriche, tandis qu’elles ont été rejetées aux Pays-Bas, en Allemagne et en Espagne au motif que le CCP serait vraisemblablement nul. Ces solutions contradictoires, qui peuvent mener à l’octroi de mesures aux effets considérablement négatifs sur le plan économique pour les fabricants de médicaments génériques, sont également sources d’une importante insécurité juridique à l’égard du titulaire du brevet européen sur tout le territoire couvert par ce dernier.

Cécile Martin
Rédactrice au PIBD

1CJUE, gr. ch., 25 juill. 2018, Teva UK Ltd et al. c. Gilead Sciences Inc., C-121/17 (B20180064 ; PIBD 2018, 1100, III-528  ; L'Essentiel, 9, oct. 2018, p. 5, note de P. Langlais ; Europe, oct. 2018, p. 54, note de L. Idot ; Propr. industr., nov. 2018, p. 23, note de F. Macrez et E. Py ; D IP/IT, janv. 2019, p. 47, note de E. Enderlin ; Propr. industr., mars 2019, p. 55, note de M. Gabriel).

2CJUE, 4e ch., 30 avril 2020 Royalty Pharma Collection Trust c. Deutsches Patent- und Markenamt, C-650/17 (B20200016 ; PIBD 2020, 1140, III-1 ; Europe, juin 2020, comm. 211, L. Idot).

3 CJUE, 3e ch., 12 déc. 2013, Georgetown University c. Otrooicentrum Nederland, C-484/12.

4CJUE, 3e ch., 12 déc. 2013, Actavis Group PTC EHF et al. c. Sanofi, C-443/12.

5CA Paris, pôle 5, 1re ch., 26 juin 2018, Merck Sharp & Dohme Corp. et al. c. Biogaran SAS, 2018/06769 (B20180110 ; PIBD 2018, 1100, III-534) ; CA Paris, pôle 5, 2e ch., 14 févr. 2020, Mylan SAS c. Merck Sharp & Dohme Corp. et al., 2019/06114 (B20200008 ; PIBD 2020, 1139, III-1 avec une note de S. Lepoutre) ; CA Paris, pôle 5, 2e ch., 14 févr. 2020, Sandoz SAS c. Merck Sharp & Dohme Corp., 2019/03820 (B20200007).

6 V. note 1.

7 TGI Paris, ord. réf., 8 févr. 2019, Merck Sharp & Dohme Corp. c. Sandoz SAS, 2019/50247 ; TGI Paris, ord. JME, 7 mars 2019, Mylan SAS c. Merck Sharp & Dohme Corp. et al., 2017/14664 (B20190086).

8 TJ Paris, 3e ch., 1re sect., ord. JME, 12 mars 2020, Biogaran c. Merck Sharp & Dohme Corp. et al., 2017/17048 (B20200037 ; publié au présent PIBD).

9 CA Paris, 26 juin 2018, 2018/06769 (v. note 5).