CCP - Médicament - Droit d'information - Étendue des actes de contrefaçon - Évaluation du préjudice - Secret des affaires - Validité du CCP - Contestation sérieuse - Composition de principes actifs - Produit - Protection par le brevet de base - Pluralité de CCP - 1re AMM - Droit de l'UE
En vertu de l’article 8 de la directive 2004/48/CE relatif au droit d’information, le juge doit apprécier l’opportunité de la production d’informations comptables et financières permettant de déterminer l’ampleur des réseaux de distribution du prétendu contrefacteur et d’évaluer le préjudice subi. Il doit en particulier s’assurer que les mesures ordonnées correspondent à une demande justifiée et proportionnée1.
En l’espèce, la contrefaçon alléguée apparaît vraisemblable, la validité du CCP en cause, qui porte sur la combinaison de l’ézétimibe et de la simvastatine, ne faisant l’objet d’aucune contestation sérieuse2. En effet, selon l’arrêt Teva de la Cour de justice de l’Union européenne3, un produit constitué d’une combinaison de principes actifs est protégé par le brevet de base, au sens de l’article 3 a) du règlement (CE) n° 469/2009, même si la combinaison n’est pas explicitement mentionnée dans les revendications du brevet, dès lors que, du point de vue de l’homme du métier et sur la base de l’état de la technique à la date du dépôt, la combinaison relève nécessairement, à la lumière de la description et des dessins, de l’invention et que chaque principe actif est identifiable de manière spécifique. Il se déduit de cette décision qu’elle exclut, comme condition de validité du CCP, le fait que le produit concerné constitue le « cœur de l’invention »4.
Si le brevet de base protège l’ézétimibe, qui a fait l’objet d’un précédent CCP pour un médicament, il vise également l’association de ce principe actif avec un inhibiteur de la biosynthèse du cholestérol sélectionné parmi les inhibiteurs de la CoA réductase de HMG, dont fait partie la simvastatine. Or, non seulement la combinaison de l’ézétimibe et de la simvastatine, objet du CCP en cause, est nécessaire pour répondre au problème technique que se propose de résoudre le brevet (prévenir et traiter l’arthérosclérose), mais elle est également spécifiquement identifiable. La combinaison de l’ézétimibe et de la simvastatine relève donc de l’invention couverte par le brevet de base, sans qu’il soit possible d’exiger que le brevet décrive l’effet combiné avéré de ces deux principes actifs. Ce produit, qui constitue un produit distinct de l’ézétimibe seul, n’a pas déjà fait l’objet d’un CCP. En conséquence, les mesures sollicitées au titre du droit d’information n’apparaissent pas illégitimes.
Tribunal judiciaire de Paris, 3e ch., 1re sect., ordonnance du juge de la mise en état, 12 mars 2020, 2017/17048 (B20200037)
Biogaran c. Merck Sharp & Dohme Corp. et MSD France
1 La présente demande de production de pièces s’inscrit dans le cadre de l’instance en nullité du CCP n° 05C0040 introduite par la société Biogaran à l’encontre de la société Merck. Par conclusions d’incident, la société Merck souhaitait obtenir des informations afin d’évaluer l’éventuel préjudice résultant des actes de contrefaçon qui auraient été commis par son adversaire. Entre temps, des décisions de justice ont été rendues dans une autre procédure opposant la société Biogaran à la société Merck qui réclamait, sur la base du même CCP, des mesures provisoires d’interdiction et de publication judiciaire. Statuant avant que la Cour de justice ne se prononce dans l’affaire Teva (C-121/17 ; v. note 3), les juges n’ont pas fait droit à ces demandes, la validité du CCP étant, selon eux, sérieusement contestée (TGI Paris, ord. réf., 5 avr.2018, Merck Sharp & Dohme Corp. et al. c. Biogaran SAS, 2018/52397, B20180110 ; CA Paris, pôle 5, 1re ch., 26 juin 2018, 2018/06769, B20180110, PIBD 2018, 1100, III-534). S’appuyant sur d’autres arrêts de la Cour (CJUE, 3e ch., 12 déc. 2013, Georgetown University c. Otrooicentrum Nederland, C-484/12 ; CJUE, 3e ch., 12 déc. 2013, Actavis Group PTC EHF et al. c. Sanofi, C-443/12), le premier juge a estimé que la combinaison de l’ézétimibe et de la simvastatine, objet du CCP, n’était pas contrairement à l’ézétimibe seul, le « cœur de l’invention », la simvastatine étant déjà connue. En appel, il a été jugé, en référence à l’arrêt Actavis/Sanofi, qu’il n’était pas possible d’obtenir un CCP sur la combinaison d’un principe actif constituant l’« activité inventive centrale » du brevet de base et d’un principe actif qui n’est pas protégé en tant que tel par le brevet, alors qu’un CCP a déjà été délivré pour le premier. Dans des affaires opposant la société Merck à d’autres génériqueurs à propos du même CCP, les demandes aux fins d’octroi de mesures provisoires ont été accueillies en première instance, la validité du CCP étant examinée au regard de l’arrêt Teva, mais elles ont été rejetées en appel (CA Paris, pôle 5, 2e ch., 14 févr. 2020, Sandoz SAS c. Merck Sharp & Dohme Corp., 2019/03820, B20200007 ; Mylan SAS c. Merck Sharp & Dohme Corp. et al., 2019/06114, B20200008, PIBD 2020, 1139, III-1 avec une note de S. Lepoutre).
2 La présente décision note que, dans une autre procédure en nullité du même CCP introduite par les sociétés Teva, celui-ci a été déclaré valable (TGI Paris, 3e ch., 1re sect., 25 oct. 2018, Teva Pharmaceuticals Europe BV et al. c. Merck Sharp & Dohme Corp., 2016/16178 ; B20180129 ; PIBD 2018, 1106, III-740). Cependant, le jugement a été infirmé (CA Paris, pôle 5, 2e ch., 25 sept. 2020, 2018/23642 ; B20000041 ; arrêt publié au présent PIBD avec une note de C. Martin).
3CJUE, gr. ch., 25 juill. 2018, Teva UK Ltd et al. c. Gilead Sciences Inc., C-121/17 (B20180064 ; PIBD 2018, 1100, III-528 ; L'Essentiel, 9, oct. 2018, p. 5, note de P. Langlais ; Europe, oct. 2018, p. 54, note de L. Idot ; Propr. industr., nov. 2018, p. 23, note de F. Macrez et E. Py ; D IP/IT, janv. 2019, p. 47, note de E. Enderlin ; Propr. industr., mars 2019, p. 55, note de M. Gabriel).
4 Le juge fait référence aux conclusions de l’avocat général, dans l’affaire Royalty Pharma Collection Trust soumise à la Cour de justice (cf. conclusions de M. Hogan présentées le 11 septembre 2019, points 50-54). Cette dernière a, depuis, rendu sa décision (CJUE, 4e ch., 30 avril 2020 Royalty Pharma Collection Trust c. Deutsches Patent- und Markenamt, C-650/17 ; B20200016 ; PIBD 2020, 1140, III-1 ; Europe, juin 2020, comm. 211, L. Idot). Apportant des clarifications sur la portée de l’arrêt Teva (C-121/17 ; v. supra note 3), la Cour estime qu'elle s’est fondée sur une interprétation de l’article 3 a) du règlement (CE) n° 469/2009 en vertu de laquelle la notion de « cœur de l’activité inventive » n’est pas pertinente pour déterminer si le produit, objet d’un CCP, est protégé par le brevet de base. Cette expression est tirée de l’arrêt Activis/Sanofi (C-443/12 ; v. supra note 1). La Cour avait alors estimé qu’en vertu de l’article 3 c) du règlement, le titulaire d’un brevet protégeant un « principe actif novateur », pour lequel un CCP a déjà été délivré, ne peut obtenir un second CCP sur la combinaison constituée de ce principe actif et d’un autre principe actif qui n’est pas protégé en tant que tel par le brevet. Il en irait autrement si cette combinaison faisait l’objet d’un autre brevet qui couvrirait une innovation pleinement distincte.La Cour rappelait que l’objectif fondamental du règlement sur les CCP était de compenser le retard pris dans la commercialisation de ce qui constitue le « cœur de l’activité inventive » faisant l’objet du brevet de base.