Demande de mesures provisoires ou conservatoires - Recevabilité (oui) - Qualité à agir - Titularité des droits sur le brevet
Interdiction provisoire (non) - Rappel des circuits commerciaux (non) - Brevet essentiel à une norme - Caractère disproportionné - Droit de l’UE
Il appartient au juge des référés, saisi de demandes de mesures provisoires sur le fondement de l'article L. 615-3 du CPI - qui transpose la directive n° 2004/48/CE du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle -, d'évaluer la proportion entre les mesures sollicitées à l’encontre du défendeur et l'atteinte alléguée par le demandeur et de prendre, au vu des risques encourus de part et d'autre, la décision ou non d'interdire la commercialisation du produit prétendument contrefaisant.
En l’espèce, la société demanderesse, titulaire d'un portefeuille de brevets protégeant des technologies de télécommunication mobile comprenant le brevet européen en cause invoqué comme étant essentiel à la norme UMTS (3G), demande l'interdiction de la commercialisation, le rappel, la confiscation et le séquestre de tous les modèles de téléphones mobiles, ordinateurs portables et les tablettes numériques commercialisés par les sociétés défenderesses sur le marché français, aptes à fonctionner conformément à cette norme.
Elle ne rapporte pas la preuve qu'elle subirait, du fait de l'absence d'interdiction provisoire, un préjudice lié à l'anéantissement de la valeur de son portefeuille de brevets qui ne serait pas de nature à être réparé par une indemnisation fixée ultérieurement au fond par le tribunal, s'il était amené à retenir l'existence de la contrefaçon du brevet. En effet, elle ne justifie pas de l'existence des licences accordées à d'autres sociétés commercialisant des appareils aptes à fonctionner conformément à la norme UMTS (3G). Par ailleurs, elle n'exploite pas personnellement le brevet en cause, de sorte que les produits litigieux ne lui occasionnent aucune perte de parts de marché. La demande de mesures provisoires n'a été introduite que du fait de l'absence de conclusion d'une licence d'exploitation de ce brevet, la société demanderesse n'agissant que comme gestionnaire d'un portefeuille de brevets.
En revanche, les mesures sollicitées auraient des conséquences économiques négatives pour les sociétés défenderesses telles qu'elles ne pourraient être réparées par l'allocation de dommages-intérêts dans l'hypothèse où le tribunal, saisi au fond, serait amené à ne pas faire droit aux demandes de la société demanderesse. Il s'ensuit que ces mesures, portant sur une durée de quelques semaines compte tenu de la date d'expiration du brevet, sont manifestement disproportionnées et de nature à entraîner un déséquilibre dans la situation des parties en donnant un avantage indu au breveté qui pourrait être amené à imposer une licence ne remplissant pas les conditions FRAND.
Tribunal judiciaire de Paris, ord. réf., 20 janvier 2020, 2019/60318 (B20200032)1
IPCom GmbH & Co. Kg c. Lenovo SAS, Motorola Mobility France SAS, Modelabs Mobiles SAS et al.
1 La cour d’appel de Paris a confirmé l’ordonnance de référé du TGI de Paris citée dans la décision publiée ci-dessus (TGI Paris, ord. réf., 8 nov. 2019, IPCom GmbH & Co. Kg c. Lenovo Inc. et al., 2019/59311, B20190085), en ce qu’elle avait fait droit à la demande de retrait de la requête en injonction anti-procès (motion for anti-suit injunction) présentée par les filiales américaines du groupe Lenovo devant une juridiction américaine. Cette injonction avait notamment pour objet d'interdire à la société IPCom d’intenter contre des filiales du groupe Lenovo et leurs distributeurs une action en contrefaçon de la partie française ou anglaise du brevet européen invoqué comme essentiel à une norme, tant que la juridiction américaine ne se serait pas prononcée sur la fixation des conditions d'une licence FRAND mondiale pour les différents brevets essentiels du portefeuille d’IPCom. En revanche, la cour d’appel a infirmé l’ordonnance de référé en ce qu'elle a fait interdiction sous astreinte aux sociétés défenderesses de déposer toute nouvelle procédure ou demande devant quelque juridiction étrangère que ce soit (CA Paris, pôle 5, 1re ch., 3 mars 2020, Lenovo Inc. et al. c. IPCom GmbH & Co. Kg, 2019/21426, B20200011 ; PIBD 2020, 1137 III-1).