Demande de retrait d’une requête en injonction anti-procès - Juge des référés - Compétence internationale de la juridiction française (oui) - Lieu où le dommage a été subi
Retrait de la requête en injonction anti-procès (oui) - Trouble manifestement illicite - Atteinte au droit du breveté - Droit de l’UE
La société demanderesse, titulaire d’un portefeuille de brevets protégeant des technologies de télécommunication mobile comprenant des brevets invoqués comme essentiels à une norme - dont le brevet européen en cause - a demandé des mesures conservatoires concernant la requête en injonction anti-procès (motion for anti-suit injunction), présentée par les filiales américaines du groupe Lenovo devant le juge américain. Cette injonction avait notamment pour objet d’interdire au breveté de leur intenter une action en contrefaçon de la partie française de ce brevet, tant que la juridiction américaine ne se serait pas prononcée sur la fixation des conditions d’une licence FRAND mondiale pour les différents brevets essentiels.
C’est par des motifs pertinents que le juge des référés a retenu la compétence territoriale du tribunal français, sur le fondement de l'article 46 du Code de procédure civile. En effet, s'il était fait droit à l'injonction anti-procès, le breveté se verrait privé du droit d'agir devant le juge français pour faire valoir ses droits et subirait alors un dommage sur ce territoire. Au surplus, le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris appartient à la juridiction appelée à connaître du fond du litige relatif à l'action en contrefaçon, que la demande anti-procès a précisément vocation à empêcher et sur lequel elle a donc une incidence directe.
La mesure de retrait sous astreinte de la demande d’injonction anti-procès est ordonnée. L’empêchement induit par l’injonction, même temporaire, porte atteinte aux droits pour le breveté de protéger son titre devant le seul juge compétent pour statuer sur la contrefaçon commise en France, et ce au mépris non seulement des dispositions du Code de la propriété intellectuelle - notamment celles relatives au droit exclusif d’exploitation d’un brevet et à l'action en contrefaçon - mais aussi des droits accordés par les normes européennes (droit au respect des biens, droit à un procès équitable et droit à un recours effectif). Par conséquent, l’injonction anti-procès, par la seule perturbation qu'elle engendre à raison de l’atteinte portée à un droit fondamental et indépendamment de l'appréciation de sa conformité à la conception française de l'ordre public international1, caractérise un trouble manifestement illicite.
En revanche, la demande tendant à voir interdire aux défenderesses de déposer toute nouvelle demande d’injonction anti-procès devant une juridiction étrangère n’est pas fondée. En effet, la seule éventualité d’un tel dépôt, alors que le juge américain n’est plus saisi d’aucune demande dans ce sens, ne peut suffire à caractériser un trouble manifestement illicite.
Cour d’appel de Paris, pôle 5, 16e ch., 3 mars 2020, 2019/21426 (B20200011)
Lenovo Inc., Motorola Mobility LLC, Motorola Mobility France SAS et al. c. IPCOM GmbH & Co KG
(Confirmation partielle TGI Paris, ord. réf., 8 nov. 2019, 2019/59311, B20190085 ; Propr. industr., janv. 2020, chron.1, note de J. Raynard )
1 La question de la compatibilité de l’injonction anti-procès avec l’ordre public international français et européen a été plus largement développée en première instance dans cette affaire. Voir également : Cass. 1re civ., 14 oct. 2009, In Zone Brands international Inc. c. In Beverage international, 2008-16369 et 2008-16549 ; CJUE, ass. plén., 27 avr. 2004, Gregory T c. Felix G et al., C-159/02 ; CJUE, gr. ch..,10 févr. 2009, Allianz SpA et al. c. West Tankers Inc., C-185/07.