Portée du brevet européen - Dispositif - Domaine technique - Problème à résoudre - Procédure OEB
Validité du brevet européen (non) - 1°) Revendication principale - Nouveauté (oui) - Antériorité de toutes pièces - Activité inventive (non) - Définition de l’homme du métier - Approche problème-solution de l’OEB - Évidence - Préjugé à vaincre - État de la technique - Conformité à une règlementation - Domaine technique identique - Problème à résoudre identique - 2°) Revendications dépendantes - Revendications 2 - Invention (oui) - Simple résultat - Activité inventive (non) - Caractéristique définie de manière fonctionnelle - Exécution par l'homme du métier - Connaissances professionnelles générales - Simples opérations d’adaptation - Revendications 3 et 7 - Activité inventive (non)
Le brevet européen invoqué porte sur un dispositif d’alimentation électrique pour mettre à disposition une tension d'alimentation pour les appareils électriques dans la cabine d'un avion. Le but de l’invention est d'assurer une plus grande protection contre une application défectueuse de la tension d’alimentation au niveau de la prise de courant. Le domaine technique de l'invention est celui des dispositifs d'alimentation électrique qui permettent aux compagnies aériennes de mettre à disposition de leurs passagers une prise électrique afin qu'ils puissent faire fonctionner leurs appareils électriques (notamment téléphones et ordinateurs portables) en toute sécurité.
L'homme du métier est un ingénieur électronicien d'abord spécialisé dans la conception d'équipements électriques ou électroniques et consultant, éventuellement, un ingénieur de sécurité dans le domaine de l'aviation pour des exigences particulières. Il ne s'intéresse donc pas uniquement aux systèmes relevant du domaine de l'aviation. La société titulaire du brevet soutient que le système électrique d'un avion comporte de nombreuses particularités et que son usage est différent d'un système domestique. Néanmoins, le risque de décharge électrique accidentelle lors de la manipulation d'une prise femelle est un problème bien connu qui n'est pas lié au seul domaine aéronautique. Ce risque est également relevé dans un brevet ne concernant pas ce domaine, sur lequel est basé le préambule de la revendication principale du brevet invoqué et qui est présenté comme l'art antérieur le plus proche dans la description.
L'invention repose sur la présence de deux éléments séparés : une prise de courant et un appareil d'alimentation placé à distance, la connexion entre ces deux éléments se faisant par une ligne d'alimentation électrique et par une ligne de transmission de signaux permettant de signaler à l'appareil d'alimentation qu'une fiche est correctement insérée dans la prise. La revendication principale 1 présente dans sa partie caractérisante les éléments constitutifs de l'invention, à savoir la configuration du détecteur de fiche pour qu'il détecte la présence de deux broches de la fiche dans la prise de courant, la tension d'alimentation n'étant appliquée par l'appareil d'alimentation au niveau de la prise que lorsque les deux broches sont détectées simultanément.
Comme il ressort des échanges entre la société titulaire du brevet et l'examinateur de l'OEB, le seul problème technique à résoudre n'est pas la mise au point d'un dispositif complet utilisant un courant alternatif à haute tension à destination d'un avion, mais de conférer plus de sécurité aux dispositifs d'alimentation à base de courant alternatif existants. Aussi, la société demanderesse ne peut pas être suivie lorsqu'elle soutient que l'homme du métier devait dépasser un préjugé tenant à l'impossibilité d'utiliser un courant alternatif à haute tension dans les systèmes d'alimentation électrique à disposition des passagers d'un avion, lequel n'est d'ailleurs pas mentionné dans le brevet. Le fait que l'usage d'un courant alternatif à haute tension n'était pas préconisé d'un point de vue réglementaire ne signifie pas que cette solution ne soit pas viable d'un point de vue technique.
L'objet général du brevet européen n'exige pas une conformité avec la réglementation américaine applicable aux vols commerciaux, tel le mémorandum de la FAA (Federal Aviation Administration) qui est un document d’orientation en constante évolution. Les antériorités ne doivent donc pas être écartées au seul motif qu'elles ne sont pas conformes aux recommandations de la FAA. Les brevets invoqués au titre de l’art antérieur pour l'examen de la nouveauté concernent des prises électriques de sécurité destinées à alimenter en courant un appareil électrique connecté à l'aide d'une fiche. Aucun élément ne vient montrer que les dispositifs qu’ils couvrent ne sont pas susceptibles techniquement d'être installés dans la cabine d'un avion. Cependant, ces dispositifs ne comportent aucun appareil d'alimentation situé à l'écart de la prise de courant et l’un d’eux est dépourvu de détecteur de fiche. Faute d'être des antériorités de toutes pièces, les documents invoqués ne privent donc pas de nouveauté la revendication 1 ni les revendications dépendantes du brevet européen.
En revanche, la revendication 1 est dépourvue d’activité inventive. Ainsi qu’il a déjà été vu, aucun préjugé technique à vaincre par l’homme du métier, tenant à l'utilisation d’un courant alternatif à haute tension dans la cabine d'un avion à la place d'un courant continu à basse tension moins dangereux, ne peut être valablement opposé. Les documents de l’art antérieur invoqués, qui proposent des prises de courant à haute tension, ne doivent donc pas être écartés, alors même qu’ils ne sont pas destinés spécifiquement à un usage dans un avion.
L’article 56 de la CBE n'exige pas, pour apprécier si un brevet relève ou non d'une activité inventive, de procéder à une approche problème-solution qui suppose de déterminer au préalable l’état de la technique le plus proche, puis le problème technique objectif à résoudre, et d’examiner ensuite si l’invention aurait été évidente pour l’homme du métier. Cette approche est propre aux chambres de recours de l'OEB et ne s'impose pas aux juridictions françaises. En tout état de cause, si l'homme du métier a le choix entre plusieurs documents de l'état de la technique comme point de départ raisonnable, l'activité inventive ne peut être effectivement reconnue qu'après avoir appliqué l'approche problème-solution à chacune des options.
Le seul problème technique qu'entend résoudre le brevet européen est l'augmentation de la sécurité d'un dispositif dit « ISPS » (« In-Seat Power Supply ») à haute tension, grâce à des moyens relatifs au contrôle de l'alimentation de la prise de courant. C'est pourquoi la partie caractérisante de la revendication 1 est focalisée exclusivement sur le mécanisme de sécurité compris dans la prise de courant. Le document qui correspond à l’état de la technique le plus proche appartient, comme les documents pris en compte lors de l'appréciation de la nouveauté, au même domaine technique que l'invention, soit celui des dispositifs d'alimentation électrique de sécurité, et a le même objet qui est de réduire les risques de décharge accidentelle lors de la manipulation d'une prise de courant. Le fait que ces documents concernent des dispositifs pouvant être utilisés dans de nombreux contextes et ne visent pas spécifiquement le domaine aéronautique est indifférent.
L’homme du métier, partant de cette antériorité particulièrement pertinente en ce qu’elle apporte une sécurité en divulguant un appareil d'alimentation électrique situé à distance de la prise de courant, sera incité, afin d’améliorer ce dispositif et réduire encore le risque d'électrocution accidentelle, à le combiner avec l’un des documents pris en compte lors de l'appréciation de la nouveauté, qui porte sur un système d'alimentation électrique comprenant un dispositif de contrôle d’enfichage des broches ou de contact entre la fiche et la prise. Il lui apparaîtra en effet clairement et sans effort particulier, en recourant seulement à ses connaissances générales, qu’il convient de remplacer le système de détection magnéto-optique par un système de détecteur de fiche constitué de poussoirs situés au fond de chaque trou de réception, reliés par des interrupteurs aux lignes de transmission de signaux, tel que divulgué par le second document.
De même, si l'homme du métier prend comme point de départ ce document, qui divulgue également un dispositif très proche de l'invention d'un point de vue structurel et poursuivant le même objectif (limiter les risques d'électrocution), il sera incité, pour les raisons qui précèdent, à le combiner avec le premier document afin d'améliorer le dispositif qui peut être dangereux en raison de la présence de l'appareil d'alimentation au sein de la prise de courant, en lui ajoutant la caractéristique selon laquelle cet appareil est situé à distance de la prise, et ce, sans difficulté technique particulière, seul l'allongement des lignes d'alimentation et de transmission de signaux étant nécessaire, ce qui est à la portée de l'homme du métier.
En ce qui concerne les revendications dépendantes invoquées, la revendication 2 couvre bien une invention brevetable au sens de l’article 52, § 2, de la CBE, contrairement à ce que soutiennent les sociétés poursuivies en contrefaçon qui prétendent qu’elle porte seulement sur un résultat. Cette revendication, qui ajoute aux caractéristiques de la revendication 1 une notion de temporalité, implique en effet une mesure du temps écoulé entre la détection de la première broche et la détection de la seconde, une comparaison de cette durée avec une valeur maximale, ainsi que la délivrance d'une tension uniquement si la durée de contact maximale n'a pas été dépassée, comme il ressort de la description à la lumière de laquelle doit être lue la revendication.
Toutefois, la revendication 2, qui porte sur un moyen pris dans sa fonction, doit être déclarée nulle pour défaut d’activité inventive. Au vu de deux documents de l’art antérieur et de ses connaissances générales, l'homme du métier disposait en effet des éléments l'incitant, pour obtenir une sécurité accrue, à intégrer une temporisation s'ajoutant à la condition de simultanéité des deux broches insérées dans la prise de courant. La mise en œuvre de ce critère de temporalité, qui n’était pas enseignée en pratique par les documents antérieurs, impliquait des opérations d'adaptation du circuit électrique qui étaient à sa portée, la configuration d'un circuit électrique et le choix des moyens adaptés pour parvenir à un résultat donné relevant de l'activité ordinaire de l'homme du métier. De même, la revendication 3, qui prévoit un détecteur de fiche présentant des commutateurs mécaniques actionnés par les broches, et la revendication 7, qui prévoit l’acheminement du courant par plusieurs appareils d’alimentation ainsi qu’une source de courant pouvant être coupée par un signal de commande, découlent de manière évidente de l’état de la technique.
Cour d'appel de Paris, pôle 5, 2e ch., 24 février 2023, 20/18820 (B20230018)[1]
Lufthansa Technik AG c. Astronics Advanced Electronic Systems, Panasonic Avionics Corporation et Thales Avionics Inc.
(Confirmation TJ Paris, 3e ch., 2e sect., 4 déc. 2020, 18/04501 ; B20200075)
[1] La société allemande Lufthansa Technik, demanderesse dans le présent litige, est titulaire du brevet européen n° EP 0 881 145 ayant pour objet un dispositif d'alimentation électrique destiné aux appareils dans la cabine d'un avion. Dans le cadre d’un partenariat conclu avec la société Kid Systeme, celle-ci a développé un système « 110 V advanced system » qui a remplacé, en quelques années, les dispositifs d'alimentation en courant continu initialement présents dans les avions. En réaction aux ventes de ce dispositif, la société américaine Astronics AES, qui se présente comme le leader de la fabrication de systèmes d’alimentation électrique destinés aux avions, a conçu et commercialisé un nouveau dispositif d'alimentation électrique haute tension pour les sièges passagers, dénommé « EmPower ». Elle le vend aux sociétés américaines Panasonic Avionics Corporation et Thales Avionics Inc., spécialisées dans les systèmes de divertissement et de communication en vol. Considérant que ce dispositif contrefaisait son brevet européen, la société Lufthansa a engagé plusieurs procédures en Europe à l'encontre de la société Astronics AES. En Allemagne, un tribunal a retenu la contrefaçon de la partie allemande du brevet, telle que modifiée après l’annulation de la revendication 1 pour défaut d'activité inventive. Cette décision a été confirmée et la demande de pourvoi rejetée. La société demanderesse a alors engagé une procédure d’évaluation de son préjudice. Au Royaume-Uni, la partie britannique du brevet a été jugée valide et contrefaite par la cour d’appel de Londres. La société Lufthansa a également initié aux États-Unis une procédure en contrefaçon de son brevet américain couvrant la même invention, mais elle a été déboutée. C’est dans ce contexte qu’elle a assigné la société Astronics AES, ainsi que les deux autres sociétés américaines précitées, devant le tribunal judiciaire de Paris en contrefaçon de la partie française de son brevet européen. Elle pensait en effet que la procédure allemande ne lui permettrait pas d'obtenir la réparation du préjudice résultant de la vente, en France, des produits incriminés ou résultant de leur livraison à des fins d’installation dans des avions fabriqués ou équipés dans ce pays. Elle a été déboutée tant en première instance qu’en appel, les revendications 1, 2, 3 et 7 de la partie française de son brevet étant annulées pour défaut d’activité inventive.