Action en nullité de brevets européens - 1) Sursis à statuer (non) - Procédure d’opposition pendante devant l’OEB - Principe de proportionnalité - 2) Recevabilité (oui) - Intérêt à agir - Projet réel et sérieux d’activité
Une société qui développe et commercialise des médicaments génériques, hybrides et biosimilaires a agi en nullité de la partie française de deux brevets européens portant sur des formulations sous-cutanées du trastuzumab, qui est le principe actif de l’Herceptin, un médicament préconisé pour le traitement du cancer du sein et du cancer gastrique. Elle indique commercialiser en France une spécialité biosimilaire de ce médicament sous forme intraveineuse, sous le nom Zercepac, et justifier d’un projet de commercialisation d’un médicament en cours de développement, correspondant au Zercepac sous forme sous-cutanée. En parallèle, une société du même groupe a formé opposition à l’encontre d’un des brevets devant l’OEB.
La demande du titulaire du brevet, de sursis à statuer dans l’attente de la décision définitive de l’OEB sur l’opposition, est rejetée. Il revient au juge de la mise en état d’évaluer le trouble causé au titulaire du brevet et celui causé à la demanderesse en nullité en cas de sursis ou de rejet de sursis de sorte que le trouble engendré par la décision cause, proportionnellement, le moins de préjudice possible. En l'espèce, il est notamment relevé que si un sursis à statuer venait à être prononcé, la demanderesse en nullité devrait attendre la décision définitive de l’OEB pour savoir si elle peut ou non commercialiser sa nouvelle spécialité biosimilaire sous cutanée. Elle justifie en effet d’un essai clinique de phase 1 comparant les données de pharmacocinétique, de sécurité, de tolérance et d’immunogénicité du Zercepac SC avec la spécialité Herceptin SC.
Or, la procédure d’opposition ayant été très récemment introduite, une décision insusceptible de recours n’interviendra pas, dans l’hypothèse d’un recours devant la chambre des recours de l’OEB, avant plusieurs mois. Cela pourrait également mettre en péril sa position de premier entrant parmi la concurrence, s’agissant de cette spécialité.
Alors même que le titulaire du brevet soutient que l’opposition a de sérieuses chances d’aboutir, à tout le moins à une modification du brevet, un sursis à statuer aurait ainsi pour conséquence de lui conférer un monopole de fait sur un titre susceptible d’être annulé, le temps de l’examen devant l’OEB. Ceci lui procurerait, dans une telle hypothèse, un avantage concurrentiel, en retardant l’entrée sur le marché d’une spécialité concurrente.
Par conséquent, le prononcé du sursis aurait des conséquences disproportionnées pour la demanderesse en nullité.
La demande d’irrecevabilité de l’action en nullité des brevets, pour défaut d’intérêt à agir[1], est également rejetée. L’intérêt à agir doit être reconnu à toute personne qui, à titre personnel, voit l’activité économique qu’elle exerce dans le domaine de l’invention entravée effectivement ou potentiellement, mais certainement, par les revendications dont elle sollicite l’annulation. Le demandeur en nullité doit donc établir l’existence d’un projet réel et sérieux d’activité susceptible d’être gêné par le brevet. Ainsi, un concurrent peut agir en annulation de brevet pour autant qu'il démontre l'existence d'un intérêt suffisant visant à libérer un marché d’un titre qu’il estime nul. Il n’est pas exigé qu’il précise quelle revendication des brevets litigieux serait contrefaite par le produit qu'il commercialise ou qu'il se prépare à commercialiser, mais doit seulement établir qu'il projette d'exercer une activité dans le domaine dont relève l'invention et indiquer en quoi ce brevet peut bloquer son activité. En l’espèce, la demanderesse est un génériqueur, concurrent, sur le marché du groupe pharmaceutique titulaire des brevets. Elle exploite déjà en France la spécialité biosimilaire du trastuzumab et établit des actes préparatoires réels et un projet sérieux d’activité susceptible d’être entravé par les revendications des brevets litigieux.
Tribunal judiciaire de Paris, 3e ch., 1re sect., ordonnance du juge de la mise en état, 13 juin 2024, 23/16431 (B20240051)
Accord Healthcare France SAS c. Société F. Hoffmann - La Roche AG
[1] Sur l’intérêt à agir en nullité d’un brevet, voir également un arrêt récent qui a jugé que la société demanderesse « justifie d'un intérêt à agir en annulation de la partie française du brevet européen 1687223 et du brevet français 3083526 pour mettre fin aux monopoles revendiqués par la société Créalyst-Group dans le secteur desdits brevets dans lequel elle est déjà active et procède à des développements, sans qu'elle ait à expliciter le détail des développements qu'elle envisage sur ses machines en les confrontant aux revendications des brevets litigieux qui seraient contrefaites par lesdites machines qu'elle commercialise ou se prépare à commercialiser.» (CA Paris, pôle 5, 1re ch., 5 juin 2024, T.I.M.E. Service Catalyst Handling GmbH c. Crealyst Group SAS, 23/04747 (B20240037).