Invention d’un agent public - Invention de mission - Cession des droits à l’inventeur (non) - Valorisation de l’invention par l’employeur (oui) - Dépôt de brevets - Exploitation des brevets
Un maître de conférence rattaché à l'UFR de physique d’une université a été, à plusieurs reprises, mis à disposition d’un institut national de recherche ayant pour activité la recherche fondamentale et appliquée en sciences et technologies de l'information et de la communication (STIC).
Dans le cadre de ses fonctions auprès de l'institut de recherche et de l’université, il a notamment participé au développement d'une première invention concernant un « outil informatique de gestion de documents numériques ». Celle-ci a fait l'objet, le 27 octobre 2006, d'une demande de brevet français présentée par l’institut, puis d’une demande internationale qui a débouché sur la délivrance de brevets en Allemagne, en Espagne, au Royaume-Uni, en Italie, en Chine, aux États-Unis, au Canada et au Japon. Le chercheur est également cité comme inventeur, pour une autre invention, dans une demande de brevet français intitulée « Dispositif informatique de gestion temporelle de documents numériques », présentée le 25 avril 2008 par l'institut. Cette invention a elle aussi fait l'objet d'une demande internationale ayant abouti à la délivrance de plusieurs brevets dans les pays susvisés, à l'exception des États-Unis. Deux portefeuilles de brevets ont ainsi été constitués.
Le 16 juillet 2009, l'institut de recherche et l'université ont conclu un mandat d'intérêt commun désignant l'institut comme organisme gestionnaire et « valorisateur » d’un projet de transfert de technologie dans le cadre de la création d’une société. L’accord définissait les conditions dans lesquelles l'institut devait agir au nom et dans l'intérêt commun des parties. Le 27 mai 2010, l'université et l'institut ont conclu un contrat de licence exclusive d'exploitation des deux brevets français, pour une durée de cinq ans renouvelable, avec la société d’édition de logiciels applicatifs nouvellement créée dont le chercheur était l'actionnaire majoritaire et le mandataire social.
La société licenciée a fait l’objet d’une procédure de liquidation judiciaire à compter du 12 janvier 2017. Le liquidateur judiciaire, qui était en relation avec le chercheur en tant que mandataire social, avait pour ambition de permettre la reprise des actifs de la licenciée par une société avec laquelle ce dernier était en contact. À la demande du liquidateur, le juge commissaire a constaté, le 24 juillet 2017, que le contrat de licence était en cours. L'option d'achat des deux familles de brevets, qui était prévue par le contrat au bénéfice de la licenciée, pouvait ainsi être levée.
Le 5 octobre 2017, le juge a ordonné la cession des actifs incorporels de la société licenciée sous la condition suspensive de la cession des brevets. Par contrat du 26 janvier 2018, l'institut et l'université ont donc cédé les brevets au mandataire judiciaire de la société en liquidation.
Le chercheur a alors fait assigner l'université et l'institut de recherche pour violation de ses droits d'inventeur, après leur avoir vainement adressé, au visa de l'article R. 611-12 du CPI, une demande d'indemnisation de ses préjudices subis du fait de l'arrêt de la valorisation des brevets litigieux. Il reprochait à ces établissements publics l’abandon de l’exploitation des brevets au terme du contrat de licence, soit à partir de mai 2015 selon lui, et de ne pas lui avoir permis de bénéficier du transfert des droits sur l'invention prévu par le texte susvisé. Le chercheur a été débouté de toutes ses demandes en première instance.
L’article R. 611-12 du CPI invoqué par le demandeur dispose dans son paragraphe 1 que « Les inventions faites par le fonctionnaire ou l'agent public dans l'exécution soit des tâches comportant une mission inventive correspondant à ses attributions, soit d'études ou de recherches qui lui sont explicitement confiées appartiennent à la personne publique pour le compte de laquelle il effectue lesdites tâches, études ou recherches. Toutefois, si la personne publique décide de ne pas procéder à la valorisation de l'invention, le fonctionnaire ou agent public qui en est l'auteur peut disposer des droits patrimoniaux attachés à celle-ci, dans les conditions prévues par une convention conclue avec la personne publique ».
Il résulte de ces dispositions que l'invention découlant directement des recherches opérées par un universitaire dans ses activités professionnelles constitue une invention de mission, appartenant à la personne publique qui l'emploie. L'agent public inventeur peut toutefois bénéficier des droits patrimoniaux sur son invention, dans les conditions prévues par une convention conclue avec la personne publique, dès lors que celle-ci décide de ne pas procéder à la valorisation de l’invention.
En l'espèce, il n’a pas été conclu de convention en ce sens. S'agissant du prétendu arrêt de la valorisation des brevets, le président de l'université a accepté, pour permettre au demandeur de participer directement à la valorisation de ses inventions, qu’il soit placé en délégation auprès de la société licenciée, tout en continuant de percevoir l'intégralité de son traitement pendant la première année de cette délégation. L’institut de recherche a investi, via une filiale, plus de 300 000 € pour l'acquisition d'actions dans la société licenciée. Les portefeuilles de brevets ont, en outre, été maintenus en vigueur et renouvelés jusqu'en 2017, grâce à un investissement de l'institut de près de 185 000 € pour le premier portefeuille et de plus de 115 000 € pour le second.
Par ailleurs, en juin 2014, malgré le très faible chiffre d'affaires de la société licenciée, l’institut a proposé de renouveler la licence d'exploitation, puis, en mars 2016, de formaliser une licence non-exclusive. Le liquidateur judiciaire de la société, dans un courrier du 16 mars 2017, a considéré que le contrat de licence avait été tacitement renouvelé, au vu du comportement de l'institut qui traitait celle-ci comme sa licenciée. Il a constaté que le contrat n'avait fait l'objet d'aucune dénonciation de la part de l'institut, ni d'une demande expresse de renouvellement de la part de la licenciée. C'est dans ce contexte que le juge commissaire a déclaré que le contrat de licence était toujours en cours.
La société licenciée n'est pas parvenue à assurer une exploitation industrielle et commerciale des brevets litigieux, en dépit des soutiens financiers dont elle a bénéficié, puisqu'elle a rapidement présenté des difficultés de trésorerie ayant entraîné l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire. Comme l’a retenu le tribunal, la cession des brevets conclue par l'institut et l'université le 26 janvier 2018, suite à la levée de l’option d’achat par le liquidateur judiciaire, doit être considérée comme un dernier acte de valorisation justifiant l'absence de mise en œuvre de l'article R. 611-12, dès lors qu'elle a permis la poursuite de l'exploitation industrielle des brevets par la société qui les a acquis.
Aucun grief ne peut être fait à l'encontre de l'institut et de l'université pour n'avoir pas engagé la procédure prévue par cet article à la suite des recours gracieux et hiérarchique formés par le chercheur les 8 septembre 2017 et 3 janvier 2018. À ces dates, le contrat de licence avait été définitivement jugé comme étant en cours, de sorte que la condition de l'absence de valorisation prescrite par l'article R. 611-12 n'était pas remplie, et que ni l'institut ni l'université n'avaient la liberté de céder les brevets au demandeur. En conséquence, toutes les demandes indemnitaires qu’il a formées doivent être rejetées, les conditions prévues par l’article précité n’étant pas réunies.
Cour d'appel de Paris, pôle 5, 1re ch., 27 mars 2024, 22/02151 (B20240016)
M. [F] [T] c. Université de [9] EPSCP et Institut national de recherche en informatique et en automatique (INRIA) EPST
(Confirmation TJ Paris, 3e ch., 2e sect., 21 janv.2022, 19/08624)