Jurisprudence
Marques

Irrecevabilité, sur le fondement de la forclusion par tolérance, de l’action en atteinte à la renommée des marques OXFORD

PIBD 1230-III-1
Cass. com., 5 juin 2024

Action en atteinte aux marques de renommée et en contrefaçon des marques - Recevabilité - Forclusion par tolérance - Droit de l’UE - Connaissance de l'usage de la marque postérieure

Texte
Marque n° 1 710 600 de la société Holdham
Marque n° 3 163 404 de la société Holdham
Marque n° 1 374 270 de la société School Pack
Texte

La société titulaire des marques verbale et semi-figurative françaises OXFORD, déposées pour désigner notamment les agendas et articles de papeterie, a reproché à la société défenderesse d’avoir proposé à la vente des trousses et cartables revêtus du signe « Oxford ». Cette dernière a été autorisée à exploiter la marque verbale française OXFORD désignant les bagages, valises et sacs de voyage, en vertu d’un contrat de licence et a, par la suite, acquis cette marque. La cour d’appel a jugé irrecevables les actions en contrefaçon et en atteinte à la renommée des marques OXFORD de la société demanderesse.

Selon le premier moyen du pourvoi, la demanderesse fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir considéré qu’elle a toléré l’usage de la marque OXFORD par la défenderesse pour des produits de bagagerie scolaire. Elle soulève à ce titre l’inapplicabilité, sous l’empire des dispositions antérieures à l'ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019, de la forclusion par tolérance à son action en atteinte aux marques de renommée.

Selon elle, seule la contrefaçon de marque est envisagée à l’article L. 716-5 du CPI relatif à la forclusion par tolérance, tandis que l’action en responsabilité civile prévue à l'article L. 713-5 du CPI au profit du titulaire d'une marque de renommée, dans sa version antérieure à l’ordonnance, n'est pas qualifiée d'action en contrefaçon[1]. La demanderesse considère ainsi qu’il résulte de la lecture combinée de ces textes que, sous l’empire des dispositions antérieures à l’ordonnance, la forclusion par tolérance n’était pas applicable à l’action en atteinte à une marque de renommée.

Ce moyen est toutefois écarté. En effet, les dispositions des articles L. 713-5 et L. 716-5 du CPI, dans leur rédaction applicable à l’espèce, doivent être interprétées à la lumière de la directive 89/104/CEE du 21 décembre 1988, puis des directives 2008/95/CE du 22 octobre 2008 et (UE) 2015/2436 du 16 décembre 2015.

Les articles 9 des directives de 2008 et de 2015, dont la transposition était assurée par l'article L. 716-5, al. 4, du CPI, dans leur rédaction applicable à l’espèce, n'opèrent aucune distinction selon que la marque antérieure est ou non une marque renommée. Il s'ensuit que le droit de l'Union accorde une protection identique au titulaire de la marque postérieure tolérée, que la marque antérieure soit ou non renommée.

Ces articles doivent ainsi être interprétés en ce sens que le titulaire d'une marque jouissant d'une renommée qui a toléré en France pendant une période de cinq années consécutives l'usage d'une marque postérieure enregistrée, en connaissance de cet usage, ne peut plus demander la nullité de la marque postérieure, ni s'opposer à son usage pour les produits ou les services pour lesquels la marque postérieure a été utilisée, ni demander réparation du préjudice que lui aurait causé cet usage, à moins que son dépôt n'ait été effectué de mauvaise foi[2].

Selon le second moyen du pourvoi, la demanderesse reproche à l’arrêt d’avoir statué par des motifs impropres à caractériser sa connaissance effective et certaine de l’usage de la marque postérieure.

Interprétant l'article 9, § 2, de la directive 89/104/CEE, la Cour de justice de l’Union européenne[3] a dit pour droit que les conditions nécessaires pour faire courir le délai de forclusion par tolérance, qu'il incombe au juge national de vérifier, sont l'enregistrement de la marque postérieure dans l'État membre concerné, le fait que le dépôt de cette marque a été effectué de bonne foi, l'usage de la marque postérieure par son titulaire dans l'État membre où elle a été enregistrée, et la connaissance par le titulaire de la marque antérieure de l'enregistrement de la marque postérieure et de l'usage de celle-ci après son enregistrement.

La preuve de la connaissance par le titulaire de la marque antérieure de l'usage de la marque postérieure après son enregistrement peut résulter d'une connaissance générale, dans le secteur économique concerné, d'une telle utilisation, cette connaissance pouvant être déduite, notamment, de la durée de l'utilisation[4].

La cour d’appel a rappelé que la demanderesse a elle-même exploité dès 2002 la marque OXFORD litigieuse dont elle ne pouvait donc ignorer l’enregistrement, dès lors qu’elle avait obtenu, en sa qualité de licenciée, l'autorisation d'exploiter cette marque en vertu d'un contrat de licence auquel elle a mis fin quelques années plus tard. De nouvelles licences avaient ensuite été concédées à la défenderesse pour l’exploitation de cette même marque, à compter de 2008.

Elle a relevé que la défenderesse a versé aux débats les copies de ses catalogues pour chaque année, de 2008 à 2018, présentant des sacs à dos, des besaces et des trousses de différentes formes et couleurs, la marque OXFORD étant mentionnée à la fois sur les produits et sur les catalogues. Des factures portant sur des milliers de trousses et de sacs, adressées chaque année par la défenderesse à ses distributeurs, ont également été produites.

La cour d’appel a ajouté que la demanderesse appartient de surcroît à un groupe figurant parmi les leaders de la papeterie scolaire vendue notamment en grande surface et que les commerciaux du groupe étaient nécessairement présents dans les rayons fournitures scolaires de ces magasins, où sont commercialisés les trousses, cartables et sacs scolaires de la défenderesse.

La cour d'appel a donc pu en déduire que la demanderesse avait nécessairement connaissance à la fois de l'enregistrement de la marque litigieuse et, dès le mois de septembre 2009, de son exploitation par la défenderesse pour désigner des trousses et sacs pour écolier, et qu'elle en avait sciemment toléré l'usage depuis cette date.

Cass. com., 5 juin 2024, Holdham SAS c. School Pack SARL et al., 23-15.380 et 23-17.571 (M20240141)
(Rejet pourvois c. CA Paris, pôle 5, 1re ch., 11 janv. 2023, 21/05478, M20230097 et CA Paris, pôle 5, 1re ch., 31 mai 2023, 23/03835, M20230098)

[1] L’article L. 713-5 du CPI, dans sa version actuelle, vise l’atteinte à la marque notoirement connue, et dispose qu’elle engage la responsabilité civile de son auteur. L’atteinte à la marque de renommée fait désormais l’objet, quant à elle, de dispositions spécifiques à l’article L. 713-3 du CPI. Elle est à présent sanctionnée sur le fondement de la contrefaçon, et envisagée au sein de l’article L. 716-4 du CPI dans sa version issue de l’ordonnance n°2019-1169 du 13 novembre 2019.
 

[2] Dans un arrêt du 24 mai 2013, la cour d’appel de Paris avait retenu l’irrecevabilité, sur le fondement de la forclusion par tolérance, de l’action en responsabilité fondée sur les marques notoires MATCH et PARIS-MATCH (pôle 5, 2 e ch., Match.Com International Ltd et al. c. Hachette Filipacchi Presse SNC et al., 11/03454 ; M20130246 ; PIBD 2013, 988, III-1340). Le pourvoi formé contre cet arrêt a été rejeté (Cass. com., 6 janv. 2015, 13-21.940 ; M20150004 ; PIBD 2015, 1023, III-187 ; Légipresse, 324, févr. 2015, p. 80, note). La Cour de cassation a en effet considéré que la cour d’appel, en retenant que la forclusion par tolérance pouvait être opposée à tout titulaire d’une antériorité et non pas seulement aux titulaires d’une marque ou d’un signe exploité dans la même spécialité, avait répondu au moyen par lequel il était soutenu que cette fin de non-recevoir ne s’appliquait pas à l’action en responsabilité pour atteinte aux marques jouissant d’une renommée ou notoirement connues. Antérieurement, un jugement du tribunal de grande instance avait déjà statué dans le même sens (TGI Paris, 3e ch., 1re sect., 18 janv. 2011, Société d’édition Les Belles Lettres SA c. Vignerons de la Méditerranée SA, 09/13656 ; M20110103 ; PIBD 2011, 939, III-325).
 

[3] CJUE, 1re ch., 22 sept. 2011, Budejovický Budvar, C-482/09 (M20110539 ; Propr. industr., nov. 2011, comm. 79, A. Folliard-Monguiral).
 

[4] Voir, par analogie, CJUE, 1re ch., 11 juin 2009, Chocoladefabriken Lindt & Sprüngli AG, C-529/07 (M20090290 ; PIBD 2009, 900, III-1225 ; D., 35, 15 oct. 2009, p. 2396,  T. Lancrenon ; Propr. industr., sept. 2009, p. 29, A. Folliard-Monguiral).