Doctrine et analyses
Compte rendu

La Clarté de la revendication modifiée d'un brevet peut-elle être contestée devant la JUB ?

PIBD 1194-II-1

d’après l’article d’Aloys Hüttermann* : Can clarity of an amended patent claim be challenged before the UPC (?), in GRUR IT, (71), 7, juillet 2022, p. 633-635

Texte

L’auteur s’interroge à propos de la possibilité de contester la clarté d’une revendication modifiée dans le cadre d’une action en nullité ou d’une action reconventionnelle en nullité devant la Juridiction unifiée du brevet.

La JUB a compétence pour connaître des actions en nullité et des actions reconventionnelles en nullité. En ce qui concerne les motifs de nullité, l’article 65 de l’accord sur la JUB renvoie à l’article 138, paragraphe 11 et à l’article 139, paragraphe 2, de la CBE. Or, le manque de clarté des revendications ne figure pas parmi les causes de nullité énumérées à l’article 138, paragraphe 1, de la CBE. L’auteur estime cependant que la règle 30 du règlement de procédure de la JUB, qui a trait à la demande reconventionnelle en nullité, évoque la nécessité de clarté des revendications et qu’elle demande même « une explication des raisons pour lesquelles les modifications satisfont les exigences des articles 842 et 1233, paragraphes 2 et 3 de la CBE et des raisons pour lesquelles les revendications modifiées proposées sont valables et, le cas échéant, des raisons pour lesquelles elles sont contrefaites ». Une telle demande d’explication se retrouve également à la règle 50 relative au contenu du mémoire en défense à la nullité et la demande reconventionnelle en contrefaçon.


L’auteur cite ensuite la décision G3/14 de la Grande Chambre de recours de l’OEB où, pour la première fois, on a admis que les modifications apportées aux revendications puissent, dans certains cas, être contestées pour manque de clarté dans une procédure d’opposition. Se fondant sur l’article 101, paragraphe 34 de la CBE, qui demande que le brevet modifié au cours de la procédure d’opposition satisfasse aux exigences de la CBE, la Grande Chambre a considéré qu’on ne pouvait passer outre à l’article 84 de la CBE, bien que le manque de clarté ne soit pas un motif d’opposition. Cependant, seules les modifications où les caractéristiques sont tirées de la description peuvent être contestées et la contestation de la clarté ne peut porter que sur ces nouvelles caractéristiques.

Les brevets modifiés pouvant également être contestés dans le cadre d’une procédure nationale de nullité, l’auteur examine la jurisprudence allemande qui comprend très peu d'affaires en dehors de l’arrêt Fugenband de la Bundesgerichtshof. Dans cette affaire, la Cour a jugé irrecevable l’examen de la clarté d’une caractéristique qui faisait partie du jeu de revendications d’origine. Cette position a été confirmée par la suite par la Bundesgerichtshof et d’autres juridictions allemandes. L’auteur souligne l’absence de décision à ce jour dans laquelle la contestation de la clarté a été admise et a eu pour conséquence la nullité du brevet.

Suite à cet exposé, l’auteur énumère les raisons pour lesquelles la clarté ne pourrait être invoquée contre un brevet devant la JUB et celles au contraire pour lesquelles elle pourrait l’être.

Pour l’auteur, la principale raison pour laquelle la clarté ne pourrait être invoquée est l’absence, dans l’accord relatif à la JUB, d’un équivalent à l’article 101 de la CBE. Il est donc exclu d’introduire la clarté parmi les motifs de nullité « par une porte dérobée ». L’auteur regrette que les juridictions nationales n’aient pas, quand elles en ont eu l’occasion, statué sur la question de savoir si l’absence d’une telle disposition en droit national empêchait d’invoquer la clarté en général ou seulement pour les caractéristiques des revendications qui ne faisaient pas partie des revendications du brevet tel qu’initialement délivré.

Par ailleurs, l’auteur rappelle que l’article 65 de l’accord sur la JUB dispose clairement que seuls les motifs énumérés à l’article 138, paragraphe 1 de la CBE sont des motifs de nullité, or la clarté n’en fait pas partie. Il s’interroge alors sur la validité des règles 30 et 50 du règlement de procédure de la JUB étant donné que l’article 41 de l’accord sur la JUB dispose que le règlement de procédure doit être conforme à l’accord.

L’auteur doute également que l’on puisse appliquer les arguments de la décision G 3/14 à l’action en nullité devant la JUB et rappelle, notamment, que la Grande Chambre de recours de l’OEB reste l’instance d’une organisation dont le but premier est de délivrer des brevets et non de juger de leur contrefaçon.

Parmi les arguments en faveur de l’admissibilité de la clarté, l’auteur souligne que bien que l’article 101 de la CBE n’ait pas d’équivalent en droit national, les tribunaux allemands se sont toujours accordés pour accepter la décision G 3/14, quoique seulement lorsque le manque de clarté allégué concernait les revendications d’origine et non les amendements. On peut en conclure que le manque de clarté, en tant que motif potentiel de la nullité d’une revendication modifiée, n’est pas totalement exclu.

Par ailleurs, la CBE est reconnue en tant que source du droit : l’article 24 de l’accord sur la JUB énumère les différentes sources du droit et la CBE est en troisième position, avant les droits nationaux. Nombreux sont les experts qui voient une hiérarchie dans cette liste. L’auteur en déduit que l’on ne peut passer outre à la décision G 3/14.

L’auteur pense également que les rédacteurs de l’accord sur la JUB pensaient certainement que la clarté était nécessaire lorsque les revendications étaient modifiées.

Ces arguments plaident donc en faveur de l’admission de la clarté dans l’examen de la nullité et de la conformité des règles 30 et 50 du règlement de procédure de la JUB à l’accord sur la JUB.

En conclusion, l’auteur admet qu’il est difficile d’être sûr que les revendications modifiées pourront être contestées pour manque de clarté devant la JUB. Lorsque la question se posera, il sera intéressant de voir ce que la cour d’appel décidera in fine.

* Conseil en brevets, Düsseldorf, Allemagne.
1Article 138 :
  1. Sous réserve de l'article 139, le brevet européen ne peut être déclaré nul, avec effet pour un État contractant, que si :
     a) l'objet du brevet européen n'est pas brevetable en vertu des articles 52 à 57
;
     b) le brevet européen n'expose pas l'invention de façon suffisamment claire et complète pour qu'un homme du métier puisse l'exécuter ;
     c) l'objet du brevet européen s'étend au-delà du contenu de la demande telle qu'elle a été déposée ou, lorsque le brevet a été délivré sur la base d'une demande divisionnaire ou d'une nouvelle demande déposée en vertu de l'article 61
, si l'objet du brevet s'étend au-delà du contenu de la demande antérieure telle qu'elle a été déposée ;
    d) la protection conférée par le brevet européen a été étendue ; ou
    e)
le titulaire du brevet européen n'avait pas le droit de l'obtenir en vertu de l'article 60, paragraphe 1.

2Article 84 :
Les revendications définissent l'objet de la protection demandée. Elles doivent être claires et concises et se fonder sur la description.
3Article 123 :
  (1) La demande de brevet européen ou le brevet européen peut être modifié dans les procédures devant l'Office européen des brevets conformément au règlement d'exécution. En tout état de cause, le demandeur peut, de sa propre initiative, modifier au moins une fois la demande.
  (2) La demande de brevet européen ou le brevet européen ne peut être modifié de manière que son objet s'étende au-delà du contenu de la demande telle qu'elle a été déposée. 
  (3)
Le brevet européen ne peut être modifié de façon à étendre la protection qu'il confère.
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Article 101, paragraphe 3 :
Si la division d'opposition estime que, compte tenu des modifications apportées par le titulaire du brevet européen au cours de la procédure d'opposition, le brevet et l'invention qui en fait l'objet
  a) satisfont aux exigences de la présente convention, elle décide de maintenir le brevet tel qu'il a été modifié, pour autant que les conditions prévues par le règlement d'exécution soient remplies ;
  b) ne satisfont pas aux exigences de la présente convention, elle révoque le brevet. 

Texte
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