Doctrine et analyses
Procédures d'examen

La désignation des produits et services dans le cadre des dépôts de marques relatifs aux NFT, au métavers et aux actifs numériques

PIBD 1192-II-1
Par Alix Drappier, Charlotte Neveu, Luca Zambito-Marsala et Kahina Bounif
Texte

Par Alix Drappier, Charlotte Neveu, Luca Zambito-Marsala, juristes Marques, et Kahina Bounif, responsable de Pôle marques, au Département des marques, dessins et modèles de l'INPI

Avec l’apparition de nouvelles technologies émergent aujourd’hui de nouveaux questionnements en matière de propriété intellectuelle, de marque, de protection et, notamment, de classification des produits et services.

De nouvelles notions sont ainsi apparues au grand public nécessitant de les comprendre afin d’accorder la protection la plus efficace possible lors des dépôts de marques à l’INPI. Ainsi, l’émergence des jetons non fongibles, des produits virtuels, du métavers et des monnaies virtuelles n’échappe pas à la règle et conduit, en matière d’examen de dépôts de marque, à modifier des formulations imprécises et en langue étrangère, dont il est parfois difficile de confirmer le classement en formulations précises et en termes français.

Ces notions sont diverses et intéressent de multiples classes de produits et services.

La classe 9 de la classification de Nice est la plus envisagée dans ce domaine. Peuvent y être revendiqués par exemple les jetons non fongibles. Ces jetons consistent en des fichiers numériques auxquels sont rattachés des certificats d’authenticité numériques, permettant de confirmer de manière infalsifiable la propriété exclusive d’un élément inclus dans ces jetons non fongibles.

Les produits virtuels peuvent relever de la classe 9 sous réserve de précisions quant à leur nature. Ils peuvent être revendiqués en mentionnant, ou non, leur utilisation dans le métavers, ce dernier consistant en un type d’univers virtuel dans lequel toute personne peut interagir avec d’autres, par le biais notamment d’un avatar, et ainsi acquérir divers produits et recourir à de multiples services tels que des expositions virtuelles.

La classe 36 est également fréquemment revendiquée. Elle s’impose, en effet, en ce qui concerne les services financiers en lien avec les monnaies virtuelles et les monnaies numériques.

La première désigne une représentation numérique de la valeur qui n'est ni émise par une banque centrale ou une autorité publique, ni nécessairement rattachée à une monnaie officielle, mais qui est acceptée comme moyen de paiement. Les monnaies utilisées dans des jeux vidéo en sont un bon exemple, tout comme les cryptomonnaies qui reposent sur la technologie de la chaîne de blocs (blockchain).

Contrairement à la monnaie virtuelle, la monnaie numérique, aussi appelée monnaie électronique, désigne une monnaie ayant cours légal, c’est-à-dire une valeur monétaire qui est stockée sous une forme électronique, y compris magnétique, représentant une créance sur l'émetteur, qui est émise contre la remise de fonds aux fins d'opérations de paiement et qui est acceptée par une personne physique ou morale autre que l'émetteur de monnaie électronique (article L. 315-1 du Code monétaire et financier). Ce sont par exemple les euros représentés sur un compte bancaire.

Ces deux notions se retrouvent sous une même catégorie plus générale qui est celle des actifs numériques qui sont des données.

Face à toutes ces nouvelles notions, la question d’une protection efficace permettant de valoriser ses actifs et son image dans les mondes virtuels lors d’un dépôt de marque se pose légitimement. Si la classification de Nice ne contient que peu de formulations de produits et services relatifs à ces domaines, l’INPI rappelle que, comme pour tous les dépôts de marques, ces formulations nécessitent une rédaction réalisée avec clarté et précision. Celle-ci doit respecter la classification de Nice ainsi que ses principes directeurs, par exemple en rattachant directement certains produits ou services à ce qui peut déjà y figurer.

Ainsi, tout produit ou service doit être désigné avec suffisamment de clarté et de précision pour permettre à toute personne de déterminer sur cette seule base l’étendue de la protection. Ces produits et services sont classés selon le système de l’arrangement de Nice (article R. 712-3-1 al. 1 et 2 du Code de la propriété intellectuelle).

De même, ne doivent figurer ni termes étrangers, ni termes de fantaisie, ni termes vagues (article 4, 4° de la décision n° 2019-157 du 11 décembre 2019 du directeur général de l’Institut national de la propriété industrielle). Pour exemple, de la même manière que le terme français « ordiphone » doit classiquement être préféré au terme anglais « smartphone », l’expression française « chaîne de blocs », présente dans de nombreux dépôts, doit être favorisée par rapport au terme anglais blockchain (application de la loi dite Toubon n° 94-665 du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française).

C’est à la lumière de l’ensemble de ces éléments que sont examinés les dépôts de marques relatifs à ces notions.

Il en va ainsi des produits, avec les jetons non fongibles, les produits virtuels et leurs liens avec les produits réels ou encore les actifs numériques. Tel est également le cas des services avec la création, l’accès et l’échange des jetons non fongibles, des produits virtuels et des monnaies virtuelles ou encore de l’application de ces notions dans le domaine du divertissement ou de la restauration alimentaire.

Les produits en lien avec le virtuel : la concrétisation de nouvelles notions

Les jetons non fongibles et les produits virtuels

Lors du dernier Comité d’experts de la classification de Nice, et suite à une proposition de la France, la formulation « jetons non fongibles [NFT] », envisagée en classe 9, a fait l’objet de discussions entre les différents États, permettant d’aboutir à l’adoption de la formulation « fichiers numériques téléchargeables authentifiés par des jetons non fongibles [NFT] ».

Le Comité d’experts a ainsi adopté une formulation de produit consistant à rattacher cette nouveauté technologique à ce qui existait déjà au sein de la classification de Nice. L’objectif était ici de protéger un produit indépendamment de la technologie par lequel il est mis en œuvre. Cette formulation adoptée à un niveau international a permis au niveau national, à l’INPI, de développer une analyse de produits et services suivant cette logique.

Cette même formulation peut dès lors être adaptée en fonction du produit qu’un opérateur cherche à protéger. À titre d’exemples, sont acceptés en classe 9 par l’INPI, les « Fichiers d'images téléchargeables contenant des œuvres d'art authentifiées par des jetons non fongibles (NFT) » ainsi que les « Contenus numériques, à savoir fichiers numériques téléchargeables authentifiés par des jetons non fongibles [NFT] contenant des jouets et dessins graphiques à collectionner ».

Les produits revendiqués à l’occasion de dépôts de marques peuvent être des produits authentifiés par des jetons non fongibles, mais également des produits qui ne le sont pas. Quel que soit le cas, il faut nécessairement que la formulation du produit ou du service réponde aux dispositions précitées ainsi qu’aux principes directeurs de la classification de Nice.

Ainsi, si les « Produits virtuels/biens virtuels » ou encore les « produits virtuels, nommément vêtements » ne désignent pas des produits au sens de la Classification, il est tout à fait possible de protéger ces produits par une rédaction plus précise en classe 9.

Est dès lors acceptable une formulation telle que « Produits virtuels téléchargeables, nommément programmes informatiques contenant des vêtements, pour utilisation en ligne et dans des mondes virtuels en ligne ». En effet, les produits virtuels sont ici identifiés en tant que programmes informatiques qui désignent des produits précis relevant de la classe 9. Ils peuvent ensuite être précisés ou non par l’identification des « produits virtuels » qu’ils contiennent ou de leur application dans un environnement virtuel ou métavers. Il en va de même concernant les « objets de collection numériques téléchargeables » qui peuvent être acceptés selon une formulation telle que « Fichiers numériques téléchargeables représentant des objets de collection numériques ».

Distinguer le réel du virtuel : l’exemple des vêtements

Il convient toutefois d’opérer une distinction entre les produits virtuels qui doivent être classés en classe 9 et leurs équivalents réels qui doivent toujours relever de leurs classes, conformément à la classification de Nice ou à ses principes directeurs de classement.

Ainsi, la formulation « fichiers numériques téléchargeables authentifiés par des jetons non fongibles [NFT] représentant des vêtements, chaussures à utiliser dans un environnement virtuel » est acceptable en classe 9.

En revanche, pour rester sur l’exemple des vêtements et chaussures, ceux-ci relèvent de la classe 25 tout comme les « vêtements et chaussures authentifiés par des jetons non fongibles [NFT] ». En effet, malgré leur lien avec des jetons non fongibles, ces produits sont réels et relèvent donc bien de la classe 25. Ici l’expression « authentifiés par des jetons non fongibles [NFT] » se contente d’indiquer que ces vêtements et chaussures réels sont vendus avec délivrance d’un tel certificat.

Les actifs numériques

S’agissant des monnaies virtuelles, et notamment des cryptomonnaies, celles-ci étant considérées par l’Autorité des marchés financiers comme des données et non comme des monnaies, elles relèvent de la classe 9. Il en va de même des actifs numériques téléchargeables, ceux-ci étant des données numériques.

Ces cryptomonnaies peuvent être stockées sur des « portefeuilles matériels pour cryptomonnaies », permettant d’en suivre la propriété ou d’en faire un usage tout en sécurité. Ce produit est un support physique qui relève bien de la classe 9.

En revanche, les portefeuilles numériques ne peuvent pas être revendiqués en l’état, car ils ne désignent pas en eux-mêmes des produits précis.

Si l’intention est de protéger le logiciel permettant leur fonctionnement, un tel produit peut être formulé en tant que « logiciel téléchargeable utilisé en tant que portefeuille numérique contenant des cryptomonnaies ». Si l’intention est toutefois de revendiquer une protection pour les produits en ce qu’ils ont pour particularité d’être présentés dans un tel portefeuille, alors il convient de préférer la formulation « cryptomonnaies proposées en tant que portefeuilles numériques » en classe 9 qui se concentre sur le produit principal, à savoir les cryptomonnaies, qui se trouvent être proposées via un portefeuille numérique.

Les services en lien avec le virtuel : la vraisemblance du service revendiqué

De la création, de l’accès et de l’échange des jetons non fongibles et des produits virtuels

En cherchant à respecter la logique précitée, il convient de constater que le service de « vente des jetons non fongibles » n’est pas conforme aux principes directeurs de la classification de Nice. Il est plutôt préférable d’adopter la formulation « services de vente au détail de fichiers numériques téléchargeables authentifiés par des jetons non fongibles [NFT] » en classe 35.

Selon la même idée, sont notamment acceptables les propositions suivantes :

  • « services de vente au détail proposant des produits virtuels téléchargeables, à savoir des programmes informatiques représentant des vêtements et des chaussures » en classe 35 ;
  • « services de vente au détail proposant des fichiers numériques représentant des objets de collections numériques téléchargeables » en classe 35 ;
  • « mise à disposition d’espaces de vente en ligne pour acheteurs et vendeurs de fichiers numériques téléchargeables authentifiés par des jetons non fongibles [NFT] » en classe 35 ;
  • « fourniture d’accès à un réseau de chaine de blocs [blockchain] » en classe 38 ;
  • « services d’authentification de bien immatériels au moyen de la technologie de la chaîne de blocs [blockchain] » en classe 42.

De la même manière, si les « services de création de jetons non fongibles » et les « services de conception et de production de jetons non fongibles » ne répondent pas aux impératifs de clarté et de précision et aux principes directeurs de la classification de Nice, la formulation « recherche et développement pour des tiers de nouveaux fichiers numériques téléchargeables authentifiés par des jetons non fongibles [NFT] » peut leur être préférée en classe 42.

De la création et de l’échange des monnaies virtuelles

Si les actifs numériques relèvent de la classe 9 puisqu’ils prennent concrètement la forme de données, les services en lien avec les monnaies virtuelles, monnaie numériques et actifs numériques relèvent de la classe 36.

Selon la note explicative de la classification de Nice concernant la classe 36, les services liés « aux mouvements ou aux investissements de capitaux […] même s’il s’agit de crypto-actifs » relèvent de cette classe du fait de leur caractère fongible. Par opposition, les jetons non fongibles, en raison de leur nature même, ne sont pas assimilés à des produits financiers et conservent leur caractère de fichiers.

Pour exemple, est ainsi accepté le service de « transfert électronique de monnaies et devises virtuelles » en classe 36. À l’inverse, le service de « transfert électronique de fichiers numériques téléchargeables authentifiés par des jetons non fongibles [NFT] » relève de la classe 38 (voir dans cette classe : « transmission de fichiers numériques », numéro de base 380047).

En revanche, ne répond pas aux impératifs de clarté et précision le service d’« Émission de jeton numérique destiné à être utilisé par les membres d'une communauté en ligne via un réseau informatique mondial ». Une telle formulation de service ne peut être ni acceptée, ni précisée, au risque d’étendre ou de modifier la portée du dépôt.

En effet, d’une part, le terme « émission » est ambigu car il ne permet pas de savoir s’il s’agit d’un service de création, assimilable à un service de programmation informatique par exemple, ou d’un service de vente en classe 35. D’autre part, l’expression « jetons numériques » n’est pas une formulation assez précise car, selon les dispositions de l’article L. 552-2 du Code monétaire et financier, « constitue un jeton tout bien incorporel représentant, sous forme numérique, un ou plusieurs droits pouvant être émis, inscrits, conservés ou transférés au moyen d'un dispositif d'enregistrement électronique partagé permettant d'identifier, directement ou indirectement, le propriétaire dudit bien »). Ces jetons peuvent être fongibles (cryptomonnaies) ou non fongibles (NFT).

Les produits virtuels dans le domaine du divertissement

La nécessité de clarté et de précision des produits et services implique de ne pas mentionner dans une même formulation deux services distincts qui relèvent par essence de classes différentes.

Ce raisonnement s’applique tout particulièrement en classe 41 dans laquelle la formulation « Services de divertissement, à savoir offre en ligne de biens virtuels, à savoir des parfums, des objets d’art, des objets de collection numériques et des jetons non fongibles et destinés à un usage récréatif » a pu souvent être proposée.

En effet, une telle formulation de service ne saurait être acceptée par l’Institut en ce qu’il est question à la fois de « services de divertissement » (classe 41) et d’une « offre en ligne de biens », cette offre pouvant potentiellement prendre la forme de services de vente (classe 35) ou de transmission de fichiers numériques (classe 38) par exemple.

Ce même raisonnement s’applique également concernant les « Services de divertissement, à savoir offre d'environnements en ligne ou virtuels proposant la diffusion en continu de contenu de divertissement et la diffusion en direct d'événements de divertissement ». Dans cet exemple, il est difficile de savoir s’il s’agit uniquement de services de divertissement (classe 41) ou également d’offre d’environnement en ligne ou virtuel consistant en réalité en un service de fourniture d’accès à des sites web de jeux sur Internet (classe 38).

De telles formulations de services ne peuvent être ni acceptées, ni précisées, au risque d’étendre ou de modifier la portée du dépôt.

En revanche, est acceptable le « Service de divertissement, à savoir mise à disposition de jeux informatiques en ligne dans lesquels les joueurs peuvent gagner des biens virtuels, à savoir programmes informatiques comportant des parfums, des sacs, des chaussures, des jeux » en classe 41.

Distinguer le réel du virtuel : l’exemple des services de restauration alimentaire

Avec la possibilité de rendre des services de manière virtuelle, certains services, qui auraient pu auparavant se révéler clairs et précis, doivent désormais être reformulés.

C’est le cas notamment des « Services d’un restaurant virtuel proposant une sélection de plats préparés, produits alimentaires et boissons ».

Il convient en effet de distinguer deux notions. D’une part, celle des « restaurants virtuels », également parfois appelés « cuisines fantômes » en français ou dark kitchen en anglais, qui désignent de réels restaurants qui proposent une nourriture réelle, cette dernière n’étant toutefois accessible que par le biais d’Internet, via des plateformes de livraison de nourriture. Puis, d’autre part, celle des services de restauration qui seraient rendus dans un monde virtuel et dans lequel de la nourriture virtuelle serait proposée à des avatars par exemple.

Ainsi, la première notion consiste en la fourniture d’une nourriture réelle et relève effectivement de la classe 43. Ces services pourront ainsi être précisés par la formulation « services d’un restaurant virtuel (cuisine fantôme) proposant une sélection de plats préparés, produits alimentaires et boissons » en classe 43.

Tel n’est toutefois pas le cas de la seconde notion qui ne désigne pas un service de restauration au sens propre du terme de la classe 43, mais un service fourni dans un monde virtuel, c'est-à-dire un monde créé artificiellement par un logiciel informatique, auquel l’opérateur donne accès à ses clients. Dès lors, il s'agit d'un service de fourniture d'accès à un réseau informatique ou à une plateforme en ligne proposant de tels services de restauration dans un monde virtuel. Par conséquent, ces services ne relèvent pas de la classe 43 mais de la classe 38. Ces services pourront être précisés par la formulation « fourniture d’accès à des réseaux informatiques mondiaux, proposant les services d’un restaurant virtuel offrant une sélection de plats préparés, produits alimentaires et boissons » en classe 38 qui sera ici préférée.

 

L’approche adoptée par l’Institut est encore susceptible d’évolution au gré des dépôts, éventuellement de la jurisprudence, mais également des évolutions à venir concernant la classification de Nice elle-même.

En effet, les différents États parties à l’arrangement de Nice se réuniront au mois d’avril 2023 en Comité d’experts afin de discuter des nouvelles entrées à adopter pour la classification de Nice, et nul doute que les produits et services relatifs aux jetons non fongibles, aux produits virtuels et aux actifs numériques seront au cœur des discussions.

Alix Drappier, juriste Marques, INPI
Charlotte Neveu, juriste Marques, INPI
Luca Zambito-Marsala, juriste Marques, INPI
Kahina Bounif, responsable de Pôle marques, INPI