Par Amandine Gabriac, chef de projet archivage à l'INPI
Principalement protégée par le droit d’auteur, l’architecture bénéficie cependant aussi de la protection des titres de propriété industrielle. On trouve ainsi plus de 1 300 brevets déposés par des inventeurs déclarant la profession d'« architecte » au XIXe siècle. Ces brevets concernent autant des éléments architecturaux et décoratifs que des projets complets de construction.
En 1845, le brevet d’invention de William Mose Pickett prévoit certaines méthodes de préparer (sic) en métal ou autres substances les parties et traits de la construction et décoration de l'architecture, et la manière d'en appliquer les arrangements dans la construction des bâtiments et autres édifices. Il entend ainsi produire des effets optiques, à l’aide des matériaux, des formes et des couleurs employés, créant notamment les ombres portées des éléments d’architecture sur le mur.
D’autres brevets portent sur l’élaboration de façades ornementées et élégantes, comme dans le brevet d’invention de Félix-Isidore Laurent, en 1846, pour un genre d'ornement d'architecture dit Stellique : « Le Stellique consiste à faire et poser des ornements en verres, cristaux, porcelaines, colorés, dorés ou diaphanes pour l’ornementation, tant à l'intérieur qu’à l'extérieur, d'édifices privés et publics ainsi que d’autres constructions dans la nomenclature qui suit : églises, chapelles, oratoires, palais, maisons, pavillons, théâtres, cirques, salles de bals, de concerts et autres constructions destinées à la curiosité ou aux amusements publics ». Cette invention concerne à la fois les plaques de portes, boules de rampes, balustres mais aussi des objets comme les verres, cafetières et autres miroirs.
En 1864, la société d’entrepreneurs de charpente Déodor et Jousse dépose un brevet d’invention pour un mode de construction architecturale dit Cottage. Le mémoire descriptif de l’invention précise : « Depuis quelques temps, la construction de maisons rurales à bon marché a pris une extension considérable, mais la faible épaisseur des murs, leur peu de hauteur au-dessus du sol, la suppression des caves etc., les a rendues pour la plupart humides, variables avec la température extérieure et par suite, malsaines à habiter. En présence des inconvénients, nous avons combiné un nouveau genre de construction que nous dénommons Cottage et qui constitue une maison d’habitation hydrofuge et à température constante ». À l’aide de murs à double cloison, la construction se trouve ainsi isolée.
En 1869, l’architecte Maurice Fabre dépose un brevet d’invention pour des plans de constructions architecturales. Il ne s’agit pas, contrairement à ce que l’on pourrait attendre, d’une manière de faire des plans architecturaux. Il s’agit bien davantage de protéger une construction qu’il entend réaliser à Paris, aux Tuileries : « Ce projet architectural consiste à établir et à réunir tous les ministères autour des Tuileries et à les relier entre eux par des voies souterraines. (…) De créer, au centre de chaque disposition monumentale placée l'une sur la rue de Rivoli, l'autre sur les quais, un boulevard couvert accessible aux piétons et aux voitures, flanqué de deux rues latérales qui en faciliteraient l'accès ». L’inventeur prévoit également l’aménagement intérieur des galeries, notamment la mise en place de magasins, augmentant ainsi la valeur locative de la construction. Bien que nous n’ayons pas retrouvé trace de cette réalisation ni d’informations complémentaires sur son architecte, ce type de construction s’inscrit dans les projets architecturaux de l’Empereur Napoléon III, notamment l’achèvement de la réalisation du « Grand Dessein » d’Henri IV, qui entendait relier le Louvre aux Tuileries.
D’autres inventeurs vont déposer des projets architecturaux complets à l’exemple du Manoir à l’envers, breveté en 1900 en vue de l’Exposition universelle se tenant à Paris quelques mois plus tard. La société qui dépose le brevet entend construire « une maison, un édifice ou une construction de manière que la toiture repose sur le sol, c'est à dire pratiquement que nous construisons cette maison, cet édifice ou cette construction à l'envers ou sens dessus dessous. L'intérieur de l'édifice aussi est construit et ménagé de façon que les personnes qu'y entrent soient en butte à des illusions optiques ». À l’exemple des palais des glaces ou labyrinthes de miroirs des fêtes foraines, certains espaces intérieurs sont recouverts de miroirs destinés à troubler le visiteur. Alors que le visiteur se retrouve à « marcher au plafond », le parquet sur ressorts prévoit également que le sol vacille sous ses pieds.
Au XXe siècle, le célèbre architecte Jean Prouvé dépose plusieurs brevets d’invention pour des constructions architecturales, à l’exemple de la Baraque démontable brevetée en 1940. Montée sur quatre poteaux, la structure supporte un toit et les pans de murs. Ces baraques devaient servir l’effort de guerre. Pouvant loger quatre à douze hommes, elles devaient pouvoir être montées en un temps record. D’autres modèles viendront ensuite, notamment destinés à abriter les sinistrés de Lorraine et de Franche-Comté au sortir de la guerre.
Aujourd’hui encore, l’INPI reçoit des dépôts de dessins et modèles, et surtout de marques, concernant des constructions architecturales. À titre d’exemples, nous pouvons citer quelques autres déposants célèbres comme Jean Nouvel, Wilmotte ou encore Christian de Portzamparc, qui ont notamment déposé de nombreux dessins et modèles.
Cet article est également paru dans le Journal Spécial des Sociétés du 7 octobre 2020, n° 61, page 14.