Jurisprudence
Brevets

L'octroi de mesures provisoires ne peut être subordonné à la confirmation, par décision de justice antérieure, de la validité du brevet argué de contrefaçon

PIBD 1184-III-1
CJUE, 28 avril 2022

Demande de mesures provisoires - Droit de l'UE - Pouvoir des autorités judiciaires nationales - Cessation immédiate de l'atteinte imminente aux droits - Jurisprudence nationale contraignante - Exigence de confirmation de la validité du brevet - Obligation d'interprétation conforme du droit national

Texte

La question préjudicielle a été présentée dans le cadre d'une demande en référé initiée devant les tribunaux allemands dans le but de voir ordonner des mesures provisoires en matière de contrefaçon de brevet. Se conformant à la jurisprudence contraignante allemande selon laquelle les demandes en référé pour contrefaçon de brevet doivent être rejetées lorsque la validité du brevet concerné n'a pas été confirmée par une décision de première instance rendue à l'issue d'une procédure d'opposition ou d'annulation, les tribunaux allemands ont refusé d'ordonner une mesure provisoire visant à interdire toute contrefaçon du brevet litigieux.

La juridiction de renvoi a saisi la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle sur la compatibilité de cette jurisprudence avec l’article 9, § 1, de la directive (UE) 2004/48.

Il ressort de cet article, lu en combinaison avec les considérants 17 et 22 de la directive, que les États membres doivent veiller à ce que les autorités judiciaires compétentes puissent, à la demande du requérant, rendre à l’encontre du contrevenant supposé une ordonnance de référé visant à prévenir toute atteinte imminente à un droit de propriété intellectuelle. Les mesures provisoires prévues en droit national doivent permettre de faire cesser immédiatement l’atteinte à un droit de propriété intellectuelle sans attendre une décision au fond, tout retard étant de nature à causer un préjudice irréparable au titulaire d'un tel droit.

La jurisprudence contraignante allemande impose une exigence qui prive de tout effet utile l’article 9, § 1, a). Elle ne saurait être conforme aux objectifs poursuivis par la directive, qui vise à rapprocher les législations des États membres afin d’assurer un niveau de protection élevé, équivalent et homogène de la propriété intellectuelle dans le marché intérieur.

Subordonner l’octroi de mesures provisoires à un examen au fond de la validité du brevet serait susceptible de créer une situation dans laquelle des concurrents du titulaire du brevet en cause, contrefacteurs potentiels, décident sciemment de renoncer à une contestation de la validité de ce brevet pour éviter que celui-ci bénéficie d’une protection juridictionnelle effective.

En revanche, le risque que le défendeur à la procédure de référé subisse un préjudice en raison de l’adoption de mesures provisoires est largement compensé par les dispositions prises par le législateur, notamment au travers d’instruments juridiques permettant d’atténuer de manière globale ce risque et ainsi de le protéger[1].

La Cour a jugé que le principe d’interprétation conforme du droit national connaît certaines limites. Ainsi, l’obligation pour le juge national de se référer au droit de l’Union lorsqu’il interprète et applique les règles pertinentes du droit interne est limitée par les principes généraux du droit et elle ne peut pas servir de fondement à une interprétation contra legem du droit national. Comme le souligne la juridiction de renvoi, la législation allemande en cause ne contient aucune disposition subordonnant l’adoption d’une ordonnance de référé visant à interdire une contrefaçon de brevet à la condition que ce brevet fasse l’objet d’une décision juridictionnelle rendue à l’issue d’une procédure de contestation de brevet. La législation est alors pleinement conforme à la directive (UE) 2004/48. En revanche, cette exigence d’interprétation conforme inclut l’obligation, pour les juridictions nationales, de modifier une jurisprudence établie si elle repose sur une interprétation du droit national incompatible avec les objectifs d’une directive[2].

En conséquence, et au regard des dispositions européennes, l’article 9 de la directive (UE) 2004/48 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une jurisprudence nationale en vertu de laquelle les demandes en référé pour contrefaçon de brevet doivent, en principe, être rejetées, lorsque la validité du brevet en cause n’a pas été confirmée, à tout le moins, par une décision de première instance rendue à l’issue d’une procédure d’opposition ou de nullité.

Cour de justice de l’Union européenne, 6e ch., 28 avril 2022, C-44/21 (B20220042)
Phoenix Contact GmbH & Co. KG c. Harting Deutschland GmbH & Co. KG et Harting Electric GmbH & Co. KG.
(Décision préjudicielle)

[1] Sur cette question, l’article 9 § 5 de la directive (UE) 2004/48 oblige les États membres à veiller à ce que les mesures provisoires octroyées soient abrogées ou cessent de produire leurs effets, à la demande du défendeur, si le demandeur n’a pas engagé, dans un délai raisonnable, d’action conduisant à une décision au fond devant l’autorité judiciaire compétente. Le paragraphe 6 du même article prévoit la possibilité de subordonner ces mesures provisoires à la constitution, par le demandeur, d’une caution ou d’une garantie équivalente adéquate, destinée à assurer l’indemnisation éventuelle du préjudice subi par le défendeur. Enfin, le paragraphe 7 prévoit, dans certains cas, la possibilité d’ordonner au demandeur, à la demande du défendeur, d’accorder à ce dernier un dédommagement approprié en réparation de tout dommage causé par les mesures provisoires.

[2] CJUE, gr. ch., 19 avr. 2016, Dansk Industri c. Succession Karsten Eigil Ramussen, C-441/14.