Doctrine et analyses
Étude

Manque de clarté et de précision dans la désignation des produits et des services : un motif de nullité de la marque ?

PIBD 1139-II-1
Par Cécile Martin
Texte

Par Cécile Martin, rédactrice au PIBD


La Cour de justice de l’Union européenne a rendu un arrêt par lequel elle a répondu, sans ambiguïté, de manière négative à cette question[1]. Elle a écarté la possibilité qu’une marque nationale ou une marque de l’Union européenne fût déclarée nulle au motif que les termes employés pour désigner les produits et les services dans l’enregistrement manquent de clarté et de précision. Elle s’est appuyée sur la lettre même de l’article 3 de la directive 89/104/CEE du 21 décembre 1988 rapprochant les législations des États membres sur les marques et des articles 7 et 51 du règlement (CE) n° 40/94 du 20 décembre 1993 sur la marque communautaire, qui  ne prévoient pas une telle hypothèse parmi les motifs absolus de nullité, le septième considérant de la directive précisant bien que ces motifs sont énumérés de façon exhaustive. Ces dispositions étaient celles qui étaient applicables au litige ayant donné lieu à la question préjudicielle soumise à la Cour. La juridiction nationale était saisie d’une demande reconventionnelle en nullité d’une marque fondée sur le manque de précision et de clarté du libellé des produits et des services.

Dans son arrêt Sky, la Cour de justice a considéré par ailleurs que ce grief ne pouvait pas être relié à l’un des motifs de nullité explicitement prévus par les textes européens précités, tels que la contrariété à l’ordre public[2] ou l’exclusion des signes qui ne sont pas susceptibles d’une représentation graphique et ne peuvent donc constituer une marque[3]. Dans ce dernier cas, elle a refusé de faire une application par analogie de l’arrêt Sieckmann[4] qui avait estimé qu’un signe ne pouvait constituer une marque au sens de la directive que si la représentation graphique était claire, précise, complète par elle-même, facilement accessible, intelligible, durable et objective. Comme cela ressort de cet arrêt[5],  l'exigence de la représentation graphique – à la différence de la désignation des produits et des services – a pour fonction de définir la marque elle-même afin de déterminer l'objet de la protection
 

I- Clarté et précision du libellé des produits et des services : une exigence de la Cour de justice
 

Dans l’arrêt Chartered Institute of Patent Attorneys[6], dit aussi arrêt « IP Translator », la Cour de justice avait déjà observé qu’aucune disposition de la directive 2008/95/CE, codifiant la directive 89/104/CEE, ne régissait directement la question de l’identification des produits et des services. Cependant, elle avait estimé que la détermination des produits et des services en vue de l’enregistrement d’une marque nationale relevait bien de la sphère de la directive. Elle a constaté en effet que l’application de certaines dispositions de ce texte dépendait dans une large mesure de la question de savoir si les produits ou les services étaient indiqués avec suffisamment de clarté et de précision. En particulier, l’appréciation des motifs de refus ou de nullité énoncés à l’article 3 doit se faire in concreto par rapport aux produits ou aux services pour lesquels l’enregistrement est demandé. De même, une identification précise des produits et des services est de nature à faciliter leur comparaison dans le cadre d’un conflit avec une marque antérieure en vertu de l’article 4 § 1. Les autorités compétentes doivent être en mesure de remplir leurs obligations relatives à l’examen des demandes d’enregistrement. Par conséquent, la directive exige, selon la Cour, que les produits ou les services pour lesquels la protection par la marque est demandée soient identifiés avec suffisamment de clarté et de précision pour permettre de déterminer l’étendue de la protection. L’affaire à l’origine de cette décision préjudicielle concernait un recours contre une décision de rejet d’une demande d’enregistrement d’une marque nationale, qui était fondée sur l’absence de caractère distinctif du signe et sur son caractère descriptif.

La Cour de justice a déclaré plus tard, à l’occasion de l’affaire Sky, que les considérations développées dans l’arrêt Chartered ne devaient pas être interprétées comme une reconnaissance d’un motif de nullité qui s’ajouterait à la liste figurant à l’article 3 de la directive 89/104/CEE ou à l’article 7 du règlement (CE) n° 40/94. Se plaçant au stade de l’examen des demandes d’enregistrement, la Cour est en effet restée silencieuse sur les conséquences  juridiques de l’enregistrement d’une marque qui ne satisferait pas à l’exigence de clarté et de précision du libellé des produits et des services[7]. Dans la même décision, elle a précisé qu’il était possible d’utiliser les indications générales figurant dans les intitulés de classe, sous réserve de respecter cette exigence. À ce titre, elle a établi certaines règles lorsque le libellé reproduit l’intégralité de l’intitulé d’une classe particulière. Tous ces principes ont été repris dans un autre arrêt[8] statuant sur une question préjudicielle relative à l’imprécision d’un service de regroupement de services, qui était posée par une juridiction nationale saisie d’un recours contre une décision de rejet d’une demande d’enregistrement de marque, fondée cette fois sur le manque de clarté du libellé.
 

II- La pratique des offices au sein de l’Union européenne
 

1. L’exigence de clarté et de précision devant l’INPI
 

1.1. L'examen de la demande d'enregistrement de marque

 Bien avant l’arrêt Chartered, l’office français appréciait le caractère trop vague ou non du libellé des produits et des services désignés dans une demande d’enregistrement au regard des prescriptions de l’arrêté du 31 janvier 1992, relatif aux marques de fabrique, de commerce ou de service, qui apporte des précisions sur la présentation des demandes. L’article 2 e) prévoit que l’énumération des produits ou services peut résulter, soit de la désignation individuelle de chacun d’entre eux, soit de l'énumération de la catégorie à laquelle ils appartiennent, et que, dans ce dernier cas, les termes employés doivent permettre à toute personne d'en délimiter le contenu de façon immédiate, certaine et constante. En particulier, l’énumération des produits ou services ne doit pas comporter de termes vagues, ni une référence générale à une ou plusieurs classes ou à leur contenu. Ces dispositions ont été reprises à l’article 2 e) de la décision du directeur général de l’INPI n° 2014-142 bis du 22 juin 2014[9] relative aux conditions de présentation et au contenu du dossier des demandes d’enregistrement de marque, puis par la décision n° 2017-144 du 9 octobre 2017[10] dans son article 6 II e). La référence au critère selon lequel « les termes employés doivent permettre à toute personne d'en délimiter le contenu de façon immédiate, certaine et constante » a été abandonnée par la décision n° 2019-157 du 11 décembre 2019[11] relative aux modalités de dépôt des demandes d’enregistrement de marque. Elle n’apparaissait plus utile à la suite de l’introduction de l’exigence de clarté et de précision dans les textes réglementaires par la réforme dite du « Paquet Marques ».

Dans la pratique, lors de l’examen matériel portant sur la forme du dépôt, si la rédaction du libellé des produits ou services revendiqués ne permet pas de délimiter avec certitude l’étendue de la protection, notamment du fait de l’emploi de termes trop vagues, le libellé est considéré comme manquant de clarté et de précision, conformément à l’exigence mise en lumière par l’arrêt Chartered. Une notification d’irrégularité matérielle pourra alors être adressée au déposant, le plus souvent accompagnée d’une proposition de reformulation, de spécification, de suppression ou de reclassement. À défaut de réponse ou en cas de contestation de sa part, la procédure d’examen est susceptible de conduire en définitive, soit à l’enregistrement de la marque avec le libellé des produits et des services préconisé, soit à une décision de rejet.

L’appréciation par l’INPI de l’exigence de clarté et de précision peut être soumise au contrôle des tribunaux. Dans une espèce, la cour d’appel de Paris[12] a jugé que la désignation des produits par les termes « bracelets, chaînes ou boissons », soit par une référence générale à deux classes sans autre précision, était insuffisante au regard de l’article 2 e) de l’arrêté du 31 janvier 1992, dans la mesure où elle ne permettait pas de délimiter immédiatement la portée de l’enregistrement. Les juges ont donc approuvé la décision de rejet partiel de la demande d’enregistrement. Il a été rappelé, dans un autre recours[13], que, conformément à l’article R. 712-11 du Code de la propriété intellectuelle, aucune régularisation effectuée à la suite d’une notification pour pallier le caractère trop vague d’un libellé ne pouvait avoir pour effet d'étendre la portée du dépôt.


1.2. La procédure d'opposition

La question de l’absence de clarté et de précision dans la désignation des produits et des services peut également se présenter devant l’INPI lors de la procédure d’opposition, même si elle ne se situe pas au centre du débat. Elle se manifeste ainsi à l’occasion de l’appréciation de l’identité ou de la similarité des produits et des services. Dans un certain nombre de recours formés devant les tribunaux, il avait été reproché à l’office d’avoir rejeté totalement ou partiellement une opposition au motif que le libellé figurant dans la marque française ou de l’Union européenne opposée était trop imprécis pour permettre une comparaison avec les produits ou les services de la demande d’enregistrement contestée. Ces recours ont généralement été rejetés[14]. Dans d’autres affaires[15], moins nombreuses, c’est le demandeur à l’enregistrement lui-même qui invoquait, mais avec peu de succès, l’imprécision du libellé dans la marque antérieure afin de contester la décision ayant reconnu l’opposition fondée. Un libellé sera considéré par les juges comme trop vague ou imprécis et ne pourra dès lors servir de base à un examen comparatif, s’il ne permet pas d’identifier les produits et les services désignés par la marque antérieure dans leur nature, leur fonction et leur destination. L’appréciation de la similarité entre ces produits et services et ceux de la demande d’enregistrement contestée suppose en effet l’examen de tous ces facteurs. Certaines décisions ajoutent que le libellé invoqué ne permet pas d’en définir de façon immédiate, certaine et constante le contenu.
 

2. Vers une harmonisation des pratiques à l’échelle européenne

 Dans le sillage de l’arrêt Chartered, l’EUIPO[16] a pris acte de la nécessité de modifier sa pratique afin de respecter l’exigence de clarté et de précision, en édictant notamment de nouvelles règles en cas d’utilisation, dans une demande de marque de l’Union européenne, de l’ensemble des indications générales d’un intitulé de classe. Auparavant, l’utilisation des indications générales ou des intitulés de classe en entier, sans autres spécifications, était acceptée. Dans ce dernier cas, la désignation valait revendication à l’égard de tous les produits ou services relevant de la classe.

Par ailleurs, il est apparu nécessaire, au vu des interprétations divergentes des différents offices de propriété industrielle des États membres au sujet de l’utilisation des indications générales dans une demande d’enregistrement de marque, de lancer un programme de convergence des pratiques au sein de l’Union européenne. C’est ainsi que le 20 novembre 2013, les offices ont adopté, sous l’égide de l’EUIPO, deux communications communes[17] relatives à l’application de la décision de la Cour de justice précitée, qui ont été suivies par d’autres communications en date du 20 février 2014[18], du 28 octobre 2015[19] et du 24 septembre 2016[20]. Ils sont partis du constat que cet arrêt avait une influence sur leur pratique et qu’il convenait de collaborer en vue de l’appliquer de façon harmonisée. L’objectif était d’aboutir à une compréhension commune de l’exigence de clarté et de précision pour la désignation des produits et des services et de développer un ensemble de principes communs applicables aux pratiques respectives de classification. À cette fin, des lignes directrices décrivant un certain nombre de critères ont été établies pour permettre d’apprécier si un terme de classification était acceptable ou non à l’aune de l’exigence de clarté et de précision. Les offices ont également examiné l’ensemble des indications générales des intitulés de classe de la classification de Nice afin de déterminer lesquelles étaient suffisamment claires et précises. Il a été dressé un panorama des différentes pratiques des offices révélant qu’en définitive, après l’arrêt Chartered, c’était l’approche d’une interprétation au sens littéral qui prévalait pour les indications générales et que, concernant le cas particulier de l’utilisation d’un intitulé de classe en entier, la protection ne pouvait être obtenue pour l’ensemble des produits et des services contenus dans la classe qu’en les énumérant individuellement.

Aujourd’hui, les offices et les déposants disposent d’une base harmonisée leur apportant une aide à la désignation et à la classification des produits et des services, appelée Harmonised Database, qui est accessible sur l’outil TM Class. Cette base, qui fait l’objet de révisions régulières, comporte la terminologie communément acceptable au sein de l’Union européenne. Il est également possible de rechercher les termes acceptés dans d’autres pays à travers le monde et par des organisations internationales telles que l’OMPI. 
 

III- Une consécration par la réforme européenne du « Paquet Marques »
 

 1. Les textes européens

 Ce mouvement de rapprochement des pratiques divergentes en matière de désignation et de classification des produits et des services, s’est accompagné d’un remaniement des règles communes, orchestré par les autorités européennes. À l’occasion de la réforme dite du « paquet Marques », visant à harmoniser et moderniser le droit des marques au sein de l’Union, l’exigence de clarté et de précision pour désigner les produits ou les services dans l’enregistrement d’une marque a ainsi été intégrée dans les textes. La directive (UE) 2015/2436 du 16 décembre 2015 rapprochant les législations des États membres sur les marques, qui a procédé à une refonte de la directive 2008/95/CE, énonce, à l’article 39 relatif à la désignation et à la classification des produits et des services, que « les produits et les services pour lesquels la protection est demandée sont désignés par le demandeur avec suffisamment de clarté et de précision pour permettre aux autorités compétentes et aux opérateurs économiques de déterminer, sur cette seule base, l'étendue de la protection demandée », reprenant à peu de mots près la solution qui avait été retenue par l’arrêt Chartered précité. Elle précise que les indications générales des intitulés de classe, qui doivent être interprétées dans leur sens littéral, peuvent être utilisées, comme d'autres termes généraux, sous réserve de satisfaire à l’exigence de clarté et de précision. Si le libellé des produits et des services ne respecte pas cette exigence, il est prévu, à titre de sanction, le rejet de la demande d’enregistrement à défaut pour le demandeur de proposer une formulation acceptable dans un délai fixé par l'office national. En revanche, le manque de clarté et de précision des termes désignant les produits et les services n’a pas été ajouté au sein de la liste de l’article 4 énumérant les motifs de nullité absolue, dont il est rappelé, au considérant 14, le caractère exhaustif.

Les offices de propriété industrielle des États membres sont invités par ailleurs à poursuivre leur coopération afin de promouvoir la convergence des pratiques et des outils dans le domaine de l’enregistrement des marques, notamment par la création de bases de données communes et, en ce qui concerne la classification des produits et des services, par l’établissement d’une liste reflétant leurs pratiques administratives respectives[21]. La directive souligne la nécessité, dans un souci de sécurité juridique, d’un alignement des règles qu’elle prévoit en matière de désignation et de classification des produits et des services, sur celles applicables aux marques de l’Union européenne. Cela répond à l’objectif plus général d’assurer le bon fonctionnement du marché intérieur grâce à une coexistence équilibrée et harmonieuse entre les systèmes nationaux des marques et celui des marques de l’Union européenne.

Le règlement (UE) 2015/2424 du 16 décembre 2015, modifiant le règlement (CE) n° 207/2009 sur la marque communautaire, expose, dans son considérant 25[22], que la protection d'une marque de l'Union européenne est accordée pour des produits ou services précis, dont la nature et le nombre déterminent l'étendue de la protection conférée au titulaire de la marque, et qu’il est donc essentiel d'inclure, dans le texte, des règles de désignation et de classification des produits et des services qui garantissent la sécurité juridique, en exigeant clarté et précision dans la désignation des produits et des services. Le règlement fait ensuite expressément référence à la jurisprudence de la Cour de justice lorsqu’il aborde la question des marques visant un intitulé entier d’une classe. Il prévoit la possibilité, pour celles qui ont été enregistrées suivant la pratique antérieure de l’EUIPO, d’adapter la liste des produits et services aux normes requises en matière de clarté et de précision, par une déclaration faite auprès de l’Office. Des dispositions similaires à celles de l’article 39 de la directive sont introduites dans l’article 28[23] du règlement (CE) n° 207/2009. De la même façon, le manque de clarté et de précision dans la désignation des produits et des services n’apparaît pas parmi les causes de nullité absolue[24].

 
2. La mise en application par le droit français

 L’ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019 relative aux marques de produits ou de services a transposé en droit français la directive (UE) 2015/2436. L’extension des motifs de nullité absolue qui a été opérée à cette occasion – ces motifs étant dorénavant regroupés à l’article L. 711-2 du Code de la propriété intellectuelle – n’a pas concerné la question du manque de clarté et de précision des termes désignant les produits ou les services. En revanche, le décret n° 2019-1316 du 9 décembre 2019, pris pour l’application de l’ordonnance, a introduit dans le code l’article R. 712-3-1, juste après l’article R. 712-3 qui précise les mentions que doit comporter une demande d’enregistrement de marque, dont l’énumération des produits ou services. Ce nouveau texte énonce que « les produits et les services sont désignés avec suffisamment de clarté et de précision pour permettre à toute personne de déterminer, sur cette seule base, l'étendue de la protection. (…) »
 

IV- L’exigence de clarté et de précision, objet d’un contentieux en nullité de marque en France
 

 Les tribunaux ont déjà été saisis, certes à de rares occasions, d’une demande en nullité d’une marque française pour le motif que le libellé des produits ou services désignés était trop général ou imprécis. Assez récemment, la cour d’appel de Paris[25] a examiné une demande qui se fondait sur l'arrêté du 31 janvier 1992. Elle a rejeté la demande en nullité en estimant que la catégorie visée en l’espèce, à savoir « vêtements (habillement), chaussures (à l'exception des chaussures orthopédiques) », était suffisamment claire et précise. Dans une autre affaire[26], le demandeur en nullité s’appuyait sur l’article L. 711-1 du Code de la propriété intellectuelle définissant la marque et invoquait le principe de spécialité en vertu duquel, selon lui, le libellé des produits ou services doit permettre de faire connaître aux tiers, de façon immédiate, certaine et constante, la portée du dépôt. En l’espèce, les termes utilisés, notamment « conseil, aide, étude, sous toutes leurs formes, par tous les moyens directement ou indirectement, pour toutes les entreprises, administrations collectivités, privées et publiques, de toutes les formes et statuts, dans et en vue de la conduite à tous égards de leurs affaires, quelles qu'en soient la nature et le domaine », n’auraient pas défini de manière suffisamment précise les services désignés. Le demandeur a été débouté au motif que les tiers pouvaient connaître la portée du dépôt malgré le champ très large des termes employés.  

Dans des affaires plus anciennes[27], statuant au visa de l’article R. 712-3 du code et de l’article 2 de l'arrêté, les juges ont rejeté les demandes en nullité de marque après avoir constaté que la catégorie de produits ou services visée, telle que par exemple « quincaillerie », « machines diverses » ou « produits de parfumerie », avait un contenu évident pour tous et bien délimité. Les demandeurs soutenaient que les termes employés ne permettaient pas de délimiter le contenu de la catégorie de façon immédiate, certaine et constante. En tout état de cause, l’une[28] de ces décisions a ajouté in fine qu’aucune disposition du Code de la propriété intellectuelle ne permettait au juge de sanctionner un tel grief, s’il était fondé, par la nullité de la marque. Dans une affaire où le demandeur réclamait l’annulation partielle d’une marque visant les produits de « parfumerie » en raison de l’imprécision de ce libellé, la cour d’appel de Paris [29] a considéré que, s’il résultait de la loi n° 64-1360 du 31 décembre 1964 que la marque devait désigner des produits ou des services précis afin que les tiers puissent connaître la portée exacte du signe, en l’espèce, la portée de la protection n’était pas vague et pouvait être comprise par le public.

La validité d’une marque de l’Union européenne a également été contestée devant les tribunaux français en raison de l’imprécision du libellé des produits ou services visés dans l’enregistrement. Dans une décision[30], la cour d’appel de Paris a fait application de la règle 2 du règlement (CE) n° 2868/95 du 13 décembre 1995, portant modalités d'application du règlement (CE) n° 40/94, qui dispose que la liste des produits et services doit être établie de manière à faire apparaître clairement leur nature. Elle a estimé que le libellé en cause, visant comme produits les « éléments de systèmes de divertissement », était assez clair et précis pour répondre à ces prescriptions. 
 

V- En conclusion
 

 Dans l’ensemble de ces litiges, la demande en nullité de la marque a bien fait l’objet d’un examen par les juges[31], mais elle a finalement été rejetée. L’arrêt rendu par la Cour de justice dans l’affaire Sky devrait mettre fin, à l’avenir, à ce type de contentieux. Le gouvernement français proposait d’ailleurs, dans ses observations présentées devant la Cour, de répondre par la négative à la réponse préjudicielle posée[32]. L’absence de clarté et de précision dans la désignation des produits et des services ne peut donc faire l’objet, en tant que telle, d’une véritable sanction juridique qu’au stade de l’enregistrement de la marque, avec le rejet total ou partiel de la demande.

Si l’arrêt Sky et la réforme du « Paquet Marques » garantissent aux titulaires de marques une certaine sécurité juridique en renforçant la validité de leurs titres, l’exigence de clarté et de précision qui pèse sur le libellé des produits et des services est susceptible d’exercer une influence sur l’appréciation d’autres points de droit, comme nous l’avons vu précédemment dans des recours relatifs à des oppositions à l’enregistrement d’une marque. En effet, dans la mesure où cette exigence permet de déterminer l’étendue de la protection accordée par la marque, elle peut jouer un rôle, après l’enregistrement de celle-ci, dans la résolution de certains litiges. En matière de contrefaçon, le titulaire d’une marque ne saurait ainsi ignorer le risque, aussi minime soit-il, de voir la comparaison des produits ou des services écartée des débats du fait de l’imprécision du libellé.

Dans une affaire soumise à la cour d’appel de Paris[33], il avait été soutenu en défense que le libellé visant, en classe 14, les « métaux précieux et leurs alliages et objets en ces matières », recouvrait un ensemble générique de produits qui ne permettait pas de déterminer avec suffisamment de précision les contours de la protection revendiquée, le dépôt devant dès lors être réduit aux seuls bijoux, également désignés dans la marque. Les juges ont rejeté cet argument en constatant que le libellé était conforme à la classification internationale, et ont condamné la société défenderesse pour contrefaçon en raison de l’identité des produits. Dans une autre espèce, une société n’a pas non plus échappé à une condamnation en contrefaçon, après avoir vainement prétendu que la désignation des produits dans le dépôt, en l’occurrence les « papiers, carton et produits en ces matières non compris dans d'autres classes », ne lui était pas opposable en raison de son caractère vague et imprécis[34]. Les juges ont constaté, en application de l'article 2 e) de l'arrêté du 31 janvier 1992, que toute personne était à même de déterminer ce qu'était un produit en papier ou en carton. En revanche, dans une affaire concernant une marque de l’Union européenne, le tribunal de grande instance de Paris[35] a jugé, au regard des mêmes dispositions ainsi que de la règle 2 du règlement (CE) n° 2868/95 et de l'article R. 712-3 du Code de propriété intellectuelle, que l'expression « les appareils pour l'enregistrement, la transmission, la reproduction du son ou des images » était beaucoup trop imprécise pour permettre de déterminer l'étendue de la protection. Ces produits ne pouvaient donc être opposés à la société poursuivie en contrefaçon.

Enfin, le titulaire d’une marque qui a utilisé des termes trop vagues ou imprécis dans le libellé des produits et des services pourra, éventuellement, être sanctionné de manière indirecte dans le cadre d’une demande en déchéance de la marque pour défaut d’usage sérieux, comme l’a souligné la Cour de justice elle-même dans son arrêt Sky[36].

[1] CJUE, 4e ch., 29 janv. 2020, Sky PLC, C -371/18 ; M20020025 (voir ci-après p. III-3) ; Propr. industr., févr. 2020, p. 18, note d'A. Folliard-Monguiral. V. également : « Marque de l'Union européenne - L'arrêt Skykick : coup de tonnerre sur les libellés exorbitants », V. Ruzek et A. Folliard-Monguiral ; Propr. industr., mai 2020, étude 12.

[2] Cf. articles 3 § 1 f) de la directive 89/104/CEE et 7 § 1 f) du règlement (CE) n° 40/94.

[3] Cf. articles 3 § 1 a) de la directive 89/104/CEE et 7 § 1 a) du règlement (CE) n° 40/94, lus respectivement en combinaison avec l’article 2  de la directive et l’article 4 du règlement.

[4] CJCE, 12  déc. 2002, C-273/00 ; M20030173 ; PIBD 2003, 759, III-125 ; Propr. intell., n° 7, avr. 2003, p. 205, note d'E. Joly ; Droit et patrimoine, n° 117, juill.-août 2003, p. 98, note de D. Velardocchio ; JCP E, n° 30, 24 juill. 2003, p. 1239, note de G. Parleani ; Gaz. Pal., 194, 13-17 juill. 2003, p. 34, note de S. Frey ; JCP G, 40, 1er oct. 2003, p. 1726, note de M. Luby.

[5] Cf. point 48.

[6] CJUE, gr. ch., 19 juin 2012, C-307/10 ; M20120364 ; PIBD 2012, 967, III-536 ; D, 26, 5 juill. 2012, p. 1673, note ; Propr. industr., sept. 2012, p. 26, note de A. Folliard-Monguiral ; Europe, août-sept. 2012, p. 51, note de L. Idot ; RJDA, 11/12, nov. 2012, p. 919, obs. ; Comm. com. électr., déc. 2012, p. 23, note de C. Caron. À l’occasion d’un recours formé dans le cadre d’une opposition à l’enregistrement d’une marque de l’Union européenne, la Cour  de justice a déclaré que cette jurisprudence, telle qu’interprétée par les arrêts Brandconcern et Praktiker Bau, ne s’appliquait pas aux marques enregistrées antérieurement (CJUE, 4e ch., 11 oct. 2017, EUIPO c. Cactus SA et al., C‑501/15).

[7] Cf. point 58 des conclusions du 16 octobre 2019 de l’avocat général, M. Tanchev, dans l’affaire Sky (C -371/18).

[8] CJUE, 3e ch., 10 juill. 2014, Netto Marken-Discount AG & Co. KG, C-420/13 ; M20140431 ; PIBD 2014, 1014, III-755 ; L'Essentiel, oct. 2014, p. 6, note de J.-P. Clavier ; Europe, oct. 2014,  p. 48, note de L. Idot ; Propr. industr., sept. 2014, p. 29, note de A. Folliard-Monguiral ;  Légipresse, 321, nov. 2014, p. 635, note de Y. Basire.

[12] CA Paris, 4e ch., sect. B, 4 avr. 2008, Yassinn D c. INPI, 2007/17766, M20080238.

[13] CA Paris, 4e ch., sect. A, 28 avr. 2004, Karl Storz GmbH & Co KG c. INPI, 2003/22224 ; M20040268 ; Petites Affiches, 101, 23 mai 2005, p. 16, note de P. Mozas.

[14] CA Paris, pôle 5, 2e ch., 15 déc. 2017, Border IP Ltd c. INPI et al., 2017/03072, M20170521 (produits en cuir) ; CA Paris, pôle 5, 2e ch., 23 juin 2017, Industria De Diseno Textil SA c. INPI et al., 2016/08150, M20170324 (vente au détail dans les commerces) ; CA Versailles, 4 oct. 2016, Groupe Brandt SAS c. INPI et al., 2016/00057, M20160454 (machines) ; CA Paris, pôle 5, 1re ch., 10 avr. 2013, Sprint Communications Company LP c. INPI et al., 2012/18417, M20130192 (services informatiques et de communications) ; CA Paris, pôle 5, 1re ch., 9 nov. 2011, Hermès International SCA  c. INPI et al., 2011/07212, M20110640 (articles en papier et en carton) ; CA Aix-en-Provence,  2e ch., 1er sept. 2010, Bigazzi SARL c. Claude B et al., 2010/03848, M20100390 (études de produits sans rapport avec la conduite des affaires) ; CA Paris, 4e ch., sect. A, 4 mars 2009, Schuh-Großeinkaufsbund GmbH & Co. KG c. INPI et al., 2008/17780, M20090115, PIBD 2009, 897, III-1099 (articles en cuir et imitation du cuir) ; CA Paris, 4e ch., sect. B, 23 janv. 2009, Hermès International c. INPI et al., 2008/14653, M20090040 (articles en papier et en carton) ; CA Nancy, 1re ch. civ., 27 mai 2008, Maty SA c. INPI, 2007/01042, M20080465 (produits en cuir et imitation du cuir) ; CA Paris, 4e ch., sect. A, 21 mai 2008, Éditions Albert René SARL c. INPI et al., 2007/18186, M20080283 (appareils et instruments électrotechniques, électroniques) ; CA Paris, 4e ch., sect. B, 28 avr. 2006, Chauvin Arnoux SAS c. INPI et al., 2005/20412, M20060231 (appareils et instruments électriques) ; CA Paris, 4e ch., sect. A, 29 juin 2005, Monoprix SA c. INPI et al., 2005/01353, M20050388 (produits diététiques et alimentaires) ; CA Paris, 4e ch., sect. B, 4 févr. 2005, G-Star International Ltd c. INPI et al., 2004/14450, M20050111 (produits en cuir et imitation du cuir) ; CA Paris, 4e ch., sect. B, 27 juin 2003, Fujitsu Siemens Computers GmbH c. INPI et al., 2003/01465, M20030406, PIBD 2003, 775, III-582 (appareils et instruments électrotechniques et électroniques) ; CA Paris, 4e ch., sect. B, 16 mai 2003, Les Publications Condé Nast SA c. INPI et al., 2002/17434, M20030324, PIBD 2004, 778, III-43 (produits en cuir et imitation du cuir).

[15] CA Bordeaux, 1re ch. civ., sect. A, 23 mars 2016, LAF Consulting SAS c. INPI et al., 2013/06786, M20160135 (services liés au commerce de détail) ; CA Douai, 1re ch., 2e sect., 17 sept. 2013, Supermarchés Match SA  c. Hachette Filipacchi Presse et al., 2012/04339, M20130450 (services de vente au détail ; services de communication ; publicité…) ; CA Versailles, 12e ch., 12 juin 2012, Neuronnes Assistance SARL c. INPI et al., 2012/00139, 2012/00160, M20120345 (appareils pour la transmission du son ou des images ; appareils pour le traitement de l'information et les ordinateurs…) ; CA Paris, 4e ch., sect. B, 13 févr. 2009, Parfums Givenchy SA c. INPI et al., 2008/09739, M20090030 (produits de beauté).

[16] Cf. communication n° 2/12 du 20 juin 2012 concernant l’utilisation des intitulés de classes dans la liste des produits et services pour les demandes et les enregistrements de marque communautaire (https://euipo.europa.eu/tunnel-web/secure/webdav/guest/document_library/contentPdfs/law_and_practice/communications_president/co2-12_fr.pdf). Cette communication a abrogé la communication no 4/03 du 16 juin 2003 concernant l’utilisation des intitulés de classes dans les listes de produits et services pour les demandes et les enregistrements de marque communautaire. Cependant, dans son arrêt Cactus (CJUE, 4e ch., 11 oct. 2017, EUIPO c. Cactus SA et al., C‑501/15), la Cour de justice rappelle qu’elle a considéré, dans un arrêt précédent (CJUE, 5e ch., 16 févr. 2017, Brandconcern BV c. EUIPO et al., C577/14), que l’arrêt Chartered n’avait pas remis en cause, pour les marques enregistrées avant le prononcé de cette dernière décision, la pratique exposée dans la communication n° 4/03. La communication n° 2/12 ne saurait donc conduire à restreindre la portée de la protection de ces marques, pour des produits ou des services désignés par les indications générales des intitulés d’une classe, et à refuser qu’elle s’étende, conformément à la communication n° 4/03, à tous les produits ou services relevant de la classe. En effet, l’étendue de la protection accordée par les marques qui ont été enregistrées ne peut pas être modifiée sur le fondement d’une communication non contraignante, qui n’a d’autre fonction que d’éclairer les demandeurs sur les pratiques de l’EUIPO.

[21] Cf. considérants 37 et 39.

[22] Cf. considérant 28 du règlement (UE) 2017/1001 du 14 juin 2017 (RMUE), codifiant le règlement (CE) n° 207/2009.

[23] Cf. article 33 du RMUE relatif à la désignation et classification des produits et services. L’application de cet article a fait l’objet d’une communication de l’EUIPO n° 1/2016 en date du 8 février 2016 (https://euipo.europa.eu/tunnel-web/secure/webdav/guest/document_library/contentPdfs/law_and_practice/communications_president/co1-16_fr.pdf). Voir également les directives de l’EUIPO relatives à l’examen des marques. (https://guidelines.euipo.europa.eu/1803476/1794834/directives-des-marques/4-constitution-elaboration-d%E2%80%99une-liste-de-produits-et-services).

[24] Cf. article 59 du RMUE renvoyant à l’article 7.

[25] CA Paris, pôle 5, 2e ch., 27 janv. 2017, Comptoir des Cotonniers SAS c. Solitex SARL, 2015/23740 ; M20170041 ; PIBD 2017, 1074, III-481.

[26] TGI Paris, 3e ch., 2e sect., 14 mars 2014, Pascale K et al. c. Krief Group et al., 2011/11045 ; M20140236.

[27] TGI Paris, 3e ch., 3e sect., 15 nov. 2006, Moulages Plastiques du Midi SA c. Habitat France SA et al., 2005/14259, B20060185 ; TGI Paris, 3e ch., 3e sect., 8 nov. 2006, France Excellence SARL c. Parfums Ted Lapidus, 2005/04030, M20060657.

[28] TGI Paris, 3e ch., 3e sect., 15 nov. 2006, v. note 27.

[29] CA Paris, 4e ch., sect. B, 9 juin 2006, Jeanne Piaubert SAS et al. c. Parfums Jean Jacques Vivier SARL, 2005/20246 ; M20060348 ; PIBD 2006, 837, III-612.

[30] CA Paris, 4e ch., sect. A, 12 déc. 2007, Konami Corporation et al. c. Monster Cable Products Inc., 2006/16559 ; M20070669.

[31] Une décision a, toutefois, refusé d’examiner la demande en nullité partielle d’une marque française, qui était fondée sur l’imprécision de la désignation de certains services visés, au motif que l’inobservation des dispositions de l’article R. 712-3 du CPI et de l’article 2 de l'arrêté du 31 janvier 1992 n’était pas sanctionnée par l’annulation de la marque (TGI Paris, 3e ch., 2e sect., 9 juill. 2004, CDC Finance - CDC IXIS SA c. IXIS SARL, 2003/07966 ; M20040434).

[32] Cf. Conclusions du 16 octobre 2019 de M. Tanchev, avocat général, dans l’affaire Sky (C -371/18).

[33] CA Paris, pôle 5, 2e ch., 5 avr. 2013, Spacetel Communication SARL c. Cartier International AG et al., 2012/09507 ; M20130176. 

[34] TGI Paris, 3e ch., 1re sect.,  16 déc. 2008, Sodipan SA c. Soffass SpA, 2007/12033 ; M20080772.

[35] TGI Paris, 3e ch., 3e sect., 25 juin 2008, Manufacturing Entreprises Inc. et al. c. International Top Tronic, 2006/06815 ; M20080442 ; PIBD 2008, 882, III-579.

[36] Cf. points 68 à 70. Le titulaire de la marque a toujours la possibilité d’échapper à une éventuelle déchéance partielle de ses droits en procédant, à tout moment de la vie de la marque, à une limitation des produits ou des services visés ou à une renonciation partielle (cf. article L. 714-2 du CPI ; articles 49 § 1 et 57 du RMUE).

 

N. B. : Les décisions de justice citées peuvent être consultées sur la base de jurisprudence de l’INPI, à l’aide notamment de leur référence (ex : « M20080238 »), à l’adresse suivante : http://base-jurisprudence.inpi.fr/cindocwebjsp/