Jurisprudence
Marques

Motifs absolus de refus ou de nullité d’une marque tridimensionnelle - Forme fonctionnelle et valeur substantielle du produit

PIBD 1139-III-2
CJUE, 23 avril 2020

Marque tridimensionnelle - Motifs absolus de refus ou de nullité - Forme du produit nécessaire à l’obtention d’un résultat technique - Forme donnant une valeur substantielle au produit - Représentation graphique du signe - Perception du public pertinent

Texte
Texte

La demande de décision préjudicielle a été présentée dans le cadre d’un litige opposant le déposant de la marque tridimensionnelle en cause et l’office national hongrois, qui a rejeté la demande d’enregistrement de celle-ci en tant que marque nationale. Le signe tridimensionnel dont l’enregistrement était demandé portait sur le produit Gömböc, à savoir un objet mono-monostatique convexe dont la forme garantit qu'il reviendra toujours à sa position d’équilibre. Lors de l’appréciation du caractère enregistrable du signe, l’Office s’est fondé, en particulier, sur la connaissance des caractéristiques et de la fonction de la forme de ce produit que le consommateur moyen avait pu obtenir grâce au site internet de la société déposante, ainsi qu’à la publicité considérable dont ce produit avait bénéficié dans la presse. Les demandes introduites par la société déposante contre la décision de refus de l’Office ayant été rejetées en première et en deuxième instance, elle a formé un recours tendant au réexamen de cette décision devant la Kúria, Cour suprême hongroise.

La juridiction de renvoi s’interroge sur le point de savoir si l’examen de la forme fonctionnelle d’un signe tridimensionnel et de la valeur substantielle d’une forme, ne devait reposer que sur la représentation graphique du signe ou si la perception et la connaissance du public pertinent pouvaient également être prises en compte à cet égard. Elle souligne notamment, sur la question de la fonctionnalité du produit, que le résultat technique ne pouvait être constaté à la seule représentation graphique du signe litigieux - où l’objet n’apparaît que sous un seul angle - mais nécessitait la connaissance d’informations supplémentaires sur le produit lui-même, dans une situation où celui-ci avait acquis une grande notoriété et constituait le symbole tangible d’une découverte mathématique.  

La Cour de justice a été interrogée sur trois questions préjudicielles et a donné son interprétation des dispositions de l’article 3, § 1, e), ii et iii) de la directive 2008/95/CE :

- Afin de déterminer si un signe est exclusivement constitué par la forme du produit nécessaire à l’obtention d’un résultat technique, au sens de l’article 3, § 1, e), ii) de la directive 2008/95/CE, il n’y a pas lieu de se limiter à la représentation graphique de ce signe. D’autres éléments d’information, telle la perception du public pertinent, peuvent également être utilisés afin d’identifier les caractéristiques essentielles du signe. En revanche, si des éléments d’information qui ne ressortent pas de la représentation graphique du signe peuvent être pris en compte, pour déterminer si ces caractéristiques répondent à une fonction technique du produit en cause, ceux-ci doivent provenir de sources objectives et fiables et ne peuvent inclure la perception du public pertinent1.

- Afin de déterminer si un signe est exclusivement constitué par la forme qui donne une valeur substantielle au produit, au sens de l’article 3, § 1, e), iii) de la directive 2008/95/CE, la perception ou la connaissance du public pertinent relative au produit graphiquement présenté par un signe peut être prise en compte afin d’identifier une caractéristique essentielle de cette forme. Le motif de refus peut être appliqué s’il résulte d’éléments objectifs et fiables que le choix des consommateurs d’acheter le produit en cause est dans une très large mesure déterminé par cette caractéristique2.

- Le motif de refus d’enregistrement prévu à cette disposition ne doit pas être systématiquement appliqué à un signe consistant exclusivement dans la forme du produit lorsque ce signe fait l’objet d’une protection en application du droit des dessins ou modèles ou lorsque le signe est exclusivement constitué par la forme d’un article de décoration3.

Cour de justice de l'Union européenne, 5e ch., 23 avril 2020 , C‑237/19 (M20200089 ; Propr. industr., 6, comm. 36 d'A. Folliard-Monguiral)
Gömböc Kutató, Szolgáltató és Kereskedelmi Kft. c. Szellemi Tulajdon Nemzeti Hivatala
(Décision préjudicielle)

1 La Cour de justice énonce, dans l’affaire ci-dessus publiée, que le motif de refus relatif aux signes fonctionnels est susceptible de s’appliquer lorsque la représentation graphique de la forme du produit ne permet de percevoir qu’une partie de cette forme, pour autant que cette partie visible de ladite forme est nécessaire à l’obtention du résultat technique de ce produit tout en n’étant pas, à elle seule, suffisante pour obtenir un tel résultat (point 32).

2 Selon la Cour, l’appréciation du motif de refus relatif à la valeur substantielle doit reposer sur une analyse objective destinée à démontrer que la forme en cause exerce, en raison de ses propres caractéristiques, une influence si importante sur l’attractivité du produit que le fait d’en réserver le bénéfice à une seule entreprise fausserait les conditions de concurrence sur le marché concerné (point 40). Les caractéristiques du produit qui ne sont pas liées à sa forme, telles que les qualités techniques ou la notoriété du produit, sont, en revanche, dépourvues de pertinence (point 42).  

3 En rappelant que la notion de forme donnant une valeur substantielle au produit n’est pas limitée à la forme de produit ayant exclusivement une valeur artistique ou ornementale, la Cour précise que la question peut être examinée sur le fondement d’autres éléments pertinents, y compris, notamment, la spécificité de cette forme par rapport à d’autres formes généralement présentes sur le marché concerné (voir CJUE, 18 sept. 2014, Hauck GmbH & Co. KG c. Stokke A/S et al, C‑205/13).