Jurisprudence
Marques

Opposition à enregistrement - Dépôt d’une marque similaire par le distributeur en tant qu’agent du titulaire de la marque antérieure

PIBD 1152-III-2
CJUE, 11 novembre 2020

Opposition à enregistrement - Demande d’enregistrement d’une marque de l’UE par l’agent ou le représentant du titulaire de la marque antérieure - Identité ou similitude des marques - Identité ou similarité des produits

Texte

L’article 8, §31 du règlement no 207/2009, s’applique aux demandes d’enregistrement de l’agent ou du représentant du titulaire de la marque antérieure, tant lorsque la marque demandée est identique à cette marque antérieure, que lorsqu’elle lui est similaire.

En limitant l’application de cet article à la seule circonstance d’une identité entre les marques du fait de l’absence de mention de l’identité ou de la similitude des marques dans son libellé, le Tribunal de l’Union européenne a commis une erreur de droit.

Une telle interprétation aurait pour effet de remettre en cause l’économie générale du règlement, en ce qu’elle aboutirait à ce que le titulaire de la marque antérieure soit privé de la possibilité de s’opposer à l’enregistrement d’une marque similaire par son agent ou son représentant, alors que ce dernier serait en droit de former une opposition à la demande d’enregistrement ultérieure de la marque initiale par ce titulaire, en raison de sa similitude avec la marque enregistrée par l’agent ou le représentant dudit titulaire.

De plus, l’article 8, §3 a pour objectif d’éviter le détournement de la marque antérieure par l’agent ou le représentant du titulaire de celle-ci, ces derniers pouvant exploiter les connaissances et l’expérience acquises au cours de la relation commerciale les unissant à ce titulaire et, partant, tirer indûment profit des efforts et de l’investissement que celui-ci aurait fournis. Or, un tel détournement est susceptible de se produire dans les cas où la marque antérieure et celle demandée par l’agent ou le représentant du titulaire de la marque antérieure sont similaires.

C’est sans commettre d’erreur de droit que la Chambre de recours, ayant refusé l’enregistrement de la marque contestée, a pu énoncer que les notions d « agent » et de « représentant » doivent être interprétées de façon à couvrir toutes les formes de relations fondées sur un accord contractuel aux termes duquel l’une des parties représente les intérêts de l’autre, de sorte qu’il suffit, aux fins de l’application de l’article 8, §3 du règlement no 207/2009, qu’il existe entre les parties un accord de coopération commerciale de nature à créer une relation de confiance en imposant au demandeur, expressément ou implicitement, une obligation générale de confiance et de loyauté eu égard aux intérêts du titulaire de la marque antérieure.

En l’espèce, il existait un contrat de distribution entre le titulaire de la marque antérieure et le demandeur à l’enregistrement, qui précisait que ce dernier était un distributeur privilégié des produits du titulaire, et contenait une clause de non-concurrence et des dispositions relatives aux droits de propriété intellectuelle du titulaire de la marque antérieure à l’égard de ces produits. C’est donc à juste titre que la chambre de recours a conclu qu’il y avait lieu de considérer le distributeur comme étant un « agent » du titulaire de la marque antérieure, au sens de l’article 8, §3 du règlement no 207/2009.

La similitude des marques en conflit, ne s’apprécie pas, aux fins de l’application de cet article, en fonction de l’existence d’un risque de confusion. En l’espèce, la chambre de recours a constaté, sans que cela ne soit contesté, que les signes en cause étaient similaires.

S’agissant des produits, l’application de l’article 8, §3du règlement no 207/2009 ne saurait être exclue lorsque les produits ou services visés par la marque demandée et ceux couverts par la marque antérieure sont non pas identiques, mais similaires. En l’espèce, il n’est pas contesté que les produits couverts par la marque antérieure désignés en tant que « poudre pour le visage contenant des minéraux » sont identiques aux « cosmétiques » et aux « produits pour le soin de la peau » visés par la demande d’enregistrement de la marque contestée. La chambre de recours a considéré à juste titre que les autres produits visés par les marques (tels que les lotions capillaires) pouvaient être composés des mêmes ingrédients, étaient souvent produits par les mêmes entreprises et proposés conjointement dans les drogueries ainsi que dans les mêmes allées des magasins de détail et étaient donc similaires.

Le recours est rejeté dans son intégralité.

Cour de justice de l’Union européenne, 5ch, 11 novembre 2020, C-809/18 (M20200274 ; Propr. industr., janv. 2021 comm. 33 par A. Folliard-Monguiral)
EUIPO c. John Mills Ltd et Jérôme Alexander Consulting Corp.
(Annulation TUE, 2e ch., 15 oct. 2018, T-7/17 ;
Propr. industr., déc. 2018 comm. 69 par A. Folliard-Monguiral)

1 L’article 8, §3 du règlement 207/2009 du 26 février 2009 applicable en l’espèce dispose : « Sur opposition du titulaire de la marque, une marque est refusée à l’enregistrement lorsqu’elle est demandée par l’agent ou le représentant du titulaire de la marque, en son propre nom et sans le consentement du titulaire, à moins que cet agent ou ce représentant ne justifie de ses agissements.». L’article 8, §3 du règlement (UE) n° 2017/1001 du 14 juin 2017 sur la marque de l’Union européenne est rédigé dans des termes identiques.

En ce qui concerne les marques françaises, le nouvel article L. 712-6-1 du CPI, issu de l’ordonnance° 2019-1169 du 13 novembre 2019 dispose : « Si une marque protégée dans un État partie à la convention de Paris pour la protection industrielle a été enregistrée en France au nom de l'agent ou du représentant du titulaire de cette marque sans l'autorisation de son titulaire, ce dernier peut :

1° S'opposer à l'usage de la marque par son agent ou représentant ;

2° Demander la cession de la marque à son profit.

Les dispositions qui précèdent ne s'appliquent pas si l'agent ou le représentant justifie sa démarche.

À moins que l'agent ou le représentant ne soit de mauvaise foi, l'action du titulaire se prescrit par cinq ans à compter de la publication de la demande d'enregistrement. »