Jurisprudence
Marques

Recevabilité de l’action en déchéance de la marque Giordano - Intérêt à agir et point de départ du délai de non-usage

PIBD 1172-III-4
CA Paris, 29 octobre 2021

Demande en constatation de la nullité d’une marque pour dépôt frauduleux - Portée juridique - Décision antérieure sur la validité du titre

Recevabilité de l’action en déchéance (non) - 1) Intérêt à agir - Secteur d’activité - Situation de concurrence - Actions en justice - Entrave à l'activité d'autrui - Entrave à l'exploitation d'un titre - 2) Point de départ du délai de non usage - Marque issue d’une transformation de marque de l’UE - Délai non échu

Texte
Marque n° 3 766 391de la société Giordano Enterprises Ltd
Texte

La demande aux fins de constater qu’une marque a été annulée par un jugement antérieur ne constitue pas une prétention au sens de l’article 4 du Code de procédure civile sur laquelle le tribunal est tenu de statuer. Une telle demande n’a pas la même portée juridique qu’une demande en annulation de marque. C’est à tort que le tribunal a retenu que les développements de chacune des parties lui permettaient de considérer qu'il lui était demandé, indifféremment, soit de constater l’annulation de la marque par l'effet d’un jugement antérieur[1], soit de prononcer l’annulation de la marque. En déclarant frauduleux le dépôt de la marque française GIORDANO par la société demanderesse à l'action en déchéance et en prononçant la nullité de celle-ci, il a statué sur une demande dont il n’était pas saisi. Au surplus, cette demande, formulée en termes clairs exempts de toute ambiguïté, se limitait à la constatation de l'annulation de la marque.

L’intérêt à agir[2] de la société demanderesse en déchéance de la marque verbale française GIORDANO est suffisamment caractérisé et sa demande est recevable. Les sociétés parties au litige exercent une activité commerciale similaire, dans un secteur identique, à savoir les vêtements, les produits d’habillement et la chapellerie. Elles sont directement en concurrence sur différents marchés en Europe et dans le monde, l’une étant plus implantée en Europe, l’autre en Asie. Elles utilisent le même signe « Giordano » à titre de marque pour offrir à la vente leurs produits. La société demanderesse justifie avoir obtenu, dans plusieurs pays de l’Union européenne, des décisions de justice à l’encontre de sociétés du groupe auquel appartient la société défenderesse constatant la déchéance pour défaut d’usage sérieux de marques comprenant le terme « Giordano ». Ces éléments attestent d’une volonté déterminée de consolider son implantation dans les pays européens où elle est présente et de s’introduire dans des marchés, dont le marché français, qu’elle cherche à conquérir. L’existence de la marque GIORDANO dont est titulaire la société défenderesse pour des produits identiques ou similaires à ceux qu’elle commercialise en Europe, constitue un frein à l’introduction de ses produits sur le marché français et une entrave à l’exploitation de son activité commerciale en France. Il ne saurait donc être exigé qu’elle rapporte la preuve de ce qu’elle est d’ores et déjà présente sur le marché français ou de ce qu’elle est concrètement engagée dans des actes préparatoires à une introduction dans ce marché[3].

Il résulte des dispositions de l'article L. 714-5 du CPI que la marque peut faire l'objet d'une demande en déchéance passé l'écoulement d'un délai de cinq ans à compter de son enregistrement et que la demande en déchéance formulée avant l'écoulement de ce délai se heurte à une fin de non-recevoir[4]. Cette fin de non-recevoir n'est pas susceptible de régularisation car le défaut d'exploitation sérieuse de la marque s'apprécie au jour où l'action est intentée et non au jour où le juge statue. En application des dispositions de l'article R. 712-23 al. 3 du CPI, la date à laquelle une marque est réputée enregistrée, notamment pour l'application des articles L. 712-4 et L. 714-5 du CPI est, pour les marques françaises, celles du Bulletin officiel de la propriété industrielle dans lequel l'enregistrement est publié. Ces dispositions s'appliquent à toutes les marques françaises, y compris celles issues de la transformation d'une marque de l'Union européenne. En l’espèce, la marque française GIORDANO, issue d’une demande d’enregistrement de marque de l'Union européenne, a été publiée au Bulletin officiel de la propriété industrielle moins de cinq ans avant la date d’assignation en déchéance de la marque. L’action en déchéance, intentée prématurément, est donc irrecevable.

Cour d’appel de Paris, pôle 5, 2e ch., 29 octobre 2021, 19/03575 (M20210249)
Verweij Fashion B.V. c. Giordano Enterprises Limited

(Confirmation  partielle TGI Paris, 3e ch., 3e sect., 7 sept. 2018, 16/02427)

[1] Par un jugement du 3 novembre 2017, le tribunal de grande instance de Paris a notamment annulé la marque n° 4 274 696 déposée par la société Verweij Fashion B.V. pour dépôt frauduleux, sur demande reconventionnelle de la société Giordano Germany GmbH à l’action en déchéance, pour défaut d'usage sérieux, de ses marques internationales visant la France, GIORDANO n° 411 414A et n° 582 434 (TGI Paris, 3e ch., 2e sect., 3 nov. 2017, 16/02423 ; M20170554).

[2] Dans le cadre des demandes en déchéance formées à titre principal, relevant de la compétence exclusive de l’INPI en application de l’article L. 716-5 du CPI issu de l'ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019, l’intérêt à agir n’est pas à démontrer, dès lors que ces demandes peuvent être présentées par toute personne physique ou morale.

[3] Le jugement attaqué avait considéré que la société demanderesse ne justifiait, à la date de l'assignation, d'aucun projet de développement de son implantation en France et était donc dépourvue d'intérêt à agir en déchéance de la marque GIORDANO n° 3 766 391. A l’inverse, dans une instance postérieure opposant les mêmes parties et concernant la même marque, le tribunal de grande instance de Paris a jugé que l’action en déchéance était recevable de ce chef (TGI Paris, 3e ch., 4e sect., 9 mai 2019, 16/15245). La cour d'appel a ensuite jugé, comme en l’espèce, que la société Verweij Fashion B.V. justifiait d’un intérêt à agir et que la demande en déchéance était recevable. Elle a prononcé la déchéance de la marque GIORDANO, faute pour la société défenderesse de rapporter la preuve d’un usage sérieux de celle-ci (CA Paris, pôle 5, 2e ch., 29 oct. 2021, 19/19648 ; M20210247).

[4] Le juge de la mise en état est désormais seul compétent pour statuer sur les fins de non-recevoir, y compris lorsque cela implique de trancher préalablement une question de fond, en vertu de l’article 789 6° du Code de procédure civile issu du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019.