Jurisprudence
Marques

Recevabilité et prescription de l’action en contrefaçon - Contrefaçon de la marque CONFORAMA par l’usage, à titre de marque, de la dénomination sociale CONFOREVA

PIBD 1185-III-2
CA Bordeaux, 29 mars 2022

Action en contrefaçon - Recevabilité (non) - Qualité pour agir - Licencié non exclusif

Action en contrefaçon et en concurrence déloyale - Recevabilité (oui) - Prescription - Point de départ du délai quinquennal - Délit continu - Connaissance des faits litigieux

Contrefaçon de marque (oui) - Usage du signe litigieux à titre de marque - Similitude visuelle et phonétique - Radical commun descriptif - Structure identique - Risque de confusion - Appréciation globale - Notoriété - Déclinaison

Concurrence déloyale (oui) - Actes de contrefaçon constituant des actes de concurrence déloyale à l'égard du licencié non exclusif

Préjudice - Manque à gagner - Somme forfaitaire

Texte
Marque n° 3 170 429 de la société Conforama Holding
Texte

L’action en contrefaçon intentée par le licencié non exclusif de la marque CONFORAMA n’est pas recevable. Il résulte de l’article L. 716-5 du CPI, dans sa version antérieure à l’ordonnance du 13 novembre 2019, qu’un tel licencié ne peut agir en contrefaçon que par voie d'intervention et non par acte introductif d'instance, quand bien même il aurait agi conjointement avec le titulaire de la marque[1].

En application des articles L. 716-5 du CPI et 2224 du Code civil, l’action en contrefaçon se prescrit par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître le dernier fait lui permettant de l'exercer. Le point de départ de la prescription quinquennale de cette action, qui porte sur un délit civil continu, est reporté à la date de chaque acte d’exploitation argué de contrefaçon[2]. En l’espèce, la société défenderesse n’ayant jamais cessé de faire usage du signe litigieux « Conforeva », l’action en contrefaçon n’est pas prescrite. De plus, il n’est pas démontré que le titulaire de la marque a pu avoir connaissance, plus de cinq ans avant l'assignation, du dépôt du nom de domaine conforeva.com et de l'activité commerciale de la société défenderesse, dont la notoriété est restreinte et l'activité limitée à des produits de literie haut de gamme, destinés à une clientèle aisée, qu'elle commercialise uniquement sur son site internet. En outre, le recours à un cabinet conseil spécialisé en propriété industrielle pour le dépôt de la marque CONFORAMA n'a pas permis une identification rapide de la dénomination « Conforeva » lors des recherches d'antériorités, ce signe n’ayant jamais été déposé en tant que marque. S’agissant de la prescription de l’action en concurrence déloyale, il ne peut de même être reproché au licencié non exclusif, qui bénéficie d'une large notoriété nationale depuis plusieurs décennies dans la vente notamment de produits de literie, de ne pas avoir été en mesure de connaître l'existence de la société concurrente dans les cinq ans de sa création.

L’exploitation du signe « Conforeva » pour vendre des articles de literie, produits visés par la marque CONFORAMA, constitue une contrefaçon. La société défenderesse l’utilise non seulement à titre de dénomination sociale, de nom commercial et de nom de domaine, mais aussi à titre de marque. En effet, elle s'adresse à sa clientèle sous ce signe, qu’elle qualifie elle-même à plusieurs reprises de « marque » sur son site internet et auquel elle ajoute parfois le sigle ®, utilisé pour désigner une marque enregistrée en droit anglo-saxon.

Même si le radical « confo(r) » est générique et descriptif pour des produits et services renvoyant à la notion de confort, il existe une forte similitude visuelle et phonétique entre les signes, puisque qu’ils comprennent chacun quatre syllabes placées dans le même ordre et neuf lettres dont sept identiques. Il existe donc un risque de confusion entre la marque CONFORAMA et la dénomination sociale Conforeva qui est utilisée à titre de marque. Ce risque est accru par le fait que la société demanderesse, qui bénéficie d'une notoriété nationale établie de longue date, a développé de nombreuses marques précédées ou suivies du terme « confo » pour décliner ses offres selon plusieurs types de clientèle, de sorte que le consommateur d'attention moyenne pourrait penser que les produits vendus sous le signe « Conforeva » seraient une déclinaison de la marque CONFORAMA.

Cour d’appel de Bordeaux, 1re ch. civ., 29 mars 2022, 19/01788 (M20220110)
Conforeva SAS c. Conforama Holding SA et Conforama France SA
(Confirmation partielle TGI Bordeaux, 1re ch.,19 févr. 2019, 16/04158)

[1] Voir également : CA Paris, pôle 5, 2e ch., 9 mai 2014, Henri M. et al. c. Institut Biophytis SAS, 13/15637 ; M20140246 ; PIBD 2014, 1010, III-609 : « Qu'il s'en évince que le licencié, qui n'est pas titulaire du droit exclusif, n'a vocation à agir en contrefaçon de la marque que par l'effet du deuxième alinéa de ce texte [article L. 716-5 du CPI] ; que tant le licencié exclusif qui n'aura pas agi aux lieu et place du titulaire de la marque que le simple licencié de marque ne peuvent agir en contrefaçon que par voie d'intervention ; Qu'ayant, en l'espèce, initié l'action conjointement avec le titulaire de la marque la société Laboratoires Lebeau doit être déclarée irrecevable en son action en contrefaçon ». Depuis l’entrée en vigueur de la réforme du Paquet Marques, les conditions d’introduction d’une action civile en contrefaçon pour les licenciés ont été modifiées et sont désormais énoncées dans le nouvel article L. 716-4-2 al. 1 du CPI.

[2] Voir également : CA Paris, pôle 5, 2e ch., 20 nov. 2015, Société du Figaro SAS c. Entreprendre SA, 2015/00522 (M20150496 ; PIBD 2016, 1042, III-75 ; Légipresse, 334, janv. 2016, p. 30, note de Y. Basire ; Propr. intell., 61, oct. 2016, p. 471, note de J. Canlorbe).