Jurisprudence
Brevets

Rejet d’une demande de CCP - Principe actif non spécifiquement identifiable dans le brevet de base

PIBD 1170-III-1
CA Paris, 15 octobre 2021

Rejet d’une demande de CCP - Médicament - Droit de l’UE - Protection du produit par le brevet de base - Définition fonctionnelle du produit - Produit spécifiquement identifiable

Texte

Le rejet de la demande de CCP portant sur le produit « sitagliptine » est fondé dès lors que ce principe actif n'est pas protégé par le brevet de base au sens de l'article 3, a), du règlement (CE) n° 469/2009 concernant le CCP pour les médicaments, tel qu'interprété par la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne.

Selon l’arrêt Royalty Pharma[1], lorsque le produit, objet d'un CCP, n'est pas explicitement mentionné dans les revendications du brevet de base, il convient de vérifier s’il est nécessairement et spécifiquement visé dans l'une des revendications. Deux conditions cumulatives doivent être remplies. D’une part, le produit doit nécessairement relever, pour l'homme du métier, à la lumière de la description et des dessins du brevet de base, de l'invention couverte par le brevet. D'autre part, l'homme du métier doit être en mesure d'identifier ce produit de façon spécifique à la lumière de l'ensemble des éléments divulgués par le brevet, et sur la base de l'état de la technique à la date de dépôt ou de priorité du brevet.

Le brevet de base invoqué, intitulé « méthode pour diminuer le taux de glucose sanguin des mammifères », porte sur l’utilisation des inhibiteurs de la DP IV pour le traitement du diabète sucré. La demande de CCP fait référence à une AMM communautaire octroyée pour une spécialité pharmaceutique dénommée Januvia ayant pour principe actif la sitagliptine. Si ce produit n’est pas explicitement mentionné dans les revendications du brevet, il n'est pas contesté que la sitagliptine est un inhibiteur de la DP IV utilisé dans le traitement du diabète sucré et répond ainsi à la définition fonctionnelle couverte par le brevet. En revanche, il n'est pas démontré que l'homme du métier se trouvait en mesure, à la date de dépôt ou de priorité du brevet de base, d'identifier ce produit de façon spécifique, à la lecture des enseignements du brevet et sur la base de l'état de la technique à cette même date.

Par ailleurs, la Cour de justice a précisé qu’un produit développé après la date de dépôt ou de priorité du brevet de base, au terme d’une activité inventive autonome, ne relevait pas de l’objet de la protection conférée par le brevet. En l’espèce, l'activité inventive autonome au terme de laquelle a été développée la sitagliptine est suffisamment établie, dès lors que ce produit a fait l’objet, en tant que tel, d’un brevet déposé par une autre société plus de cinq ans après le dépôt du brevet de base invoqué. Cette solution n’est pas contraire aux objectifs du règlement précité qui, en apportant une compensation au délai nécessaire pour obtenir une AMM, vise à encourager la recherche et à permettre un amortissement des investissements effectués par le titulaire du brevet de base. En l’espèce, celui-ci a pu exploiter son brevet sans délai, en concédant des licences à des laboratoires pharmaceutiques qui ont ensuite entrepris des recherches et consenti les investissements ayant permis le développement de substances actives, dont la sitagliptine.

Cour d’appel de Paris, pôle 5, 2e ch., 15 octobre 2021, 17/04327 (B20210072)[2]
Royalty Pharma Collection Trust c. INPI
(Rejet recours c. décision INPI, 29 nov. 2016)

[1] CJUE, 4e ch., 30 avr. 2020, Royalty Pharma Collection Trust, C-650/17 (B20200016 ; PIBD 2020, 1140, III-1 ; Europe, juin 2020, comm. 211, note de L. Idot). La Cour fédérale des brevets allemande a posé à la Cour de justice plusieurs questions préjudicielles relative à l’interprétation de l'article 3, a), du règlement (CE) n° 469/2009, dans le cadre d’un litige relatif à un recours contre une décision de l’office allemand rejetant une demande de CCP présentée par la société Royalty Pharma pour la sitagliptine. Cette demande reposait sur le même brevet européen de base que celui visé par la demande de CCP, objet du présent litige, et la même AMM obtenue pour le médicament Junavia. La cour d’appel de Paris avait alors sursis à statuer dans l’attente de la décision de la Cour de justice.
 

[2] La société Royalty Pharma avait présenté d’autres demandes de CCP pour différents produits sur la base du même brevet européen que celui concerné par le présent litige. Ces demandes ont toutes été rejetées par le directeur général de l’INPI. La cour d’appel de Paris a, là encore, rejeté les recours formés contre ces décisions pour les mêmes motifs (CA Paris, pôle 5, 2e ch., 15 oct. 2021, 17/04369, 17/04361, 17/04366 et 17/04365 ; B20210071 ; B20210073 ; B20210074 ; B20210075). À rapprocher de : CA Paris, pôle 5, 1re ch., 9 févr. 2021, Wyeth LLC et al. c. INPI, 19/19410 (B20210011 ; PIBD 2021, 1158, III-2) ; CA Paris, pôle 5, 1re ch., 19 janv. 2021, Ono Pharmaceutical Co. Ltd et al. c. INPI, 18/10540 (B20210003 ; PIBD 2021, 1154, III-1 avec une note de V. Landais) ; CA Paris, pôle 5, 1re ch., 19 janv. 2021, Ono Pharmaceutical Co. Ltd et al. c. INPI, 18/10522  B20210007).