Jurisprudence
Dessins et modèles

Requalification en donation et annulation d’un contrat de cession de marque de l’UE et de modèles communautaires conclu à titre gratuit, en l’absence d’acte authentique

PIBD 1183-III-8
TJ Paris, 8 février 2022

Validité du contrat de cession de marque et modèles (non) - Cession à titre gratuit - Donation - Formalisme - Acte notarié

Validité de la marque semi-figurative de l’UE (oui) - Usage antérieur du signe - Consentement du titulaire du droit antérieur - Droit de l’UE

Demande en nullité des modèles communautaires - Recevabilité (oui) - Demande reconventionnelle à une action en contrefaçon - Prescription (non) - Application de la loi dans le temps

Validité des modèles communautaires - Caractère individuel - Forme imposée par la fonction - Degré de liberté du créateur

Contrefaçon de la marque de l’UE et du modèle communautaire indivis - Exploitation par un copropriétaire - Concession d’une licence - Usage dans la vie des affaires - Consentement des indivisaires

Préjudice - Préjudice économique - Perte de redevances - Droit d’information - Communication de pièces - Provision - Préjudice moral

Texte
Marque de l’UE n° 013 140 231 de la société Akis Technology
Modèles communautaires de la société Akis Technology
Modèle communautaire n° 02722116-0003 de la société Akis Technology
Texte

Aux termes de l'article 931 du Code civil, tous les actes portant donation entre vifs doivent être passés devant notaires dans la forme ordinaire des contrats. Deux dérogations à ce formalisme sont admises en jurisprudence. La première tient aux dons manuels, qui imposent la remise physique de la chose donnée. La seconde tient aux donations déguisées ou indirectes, dont les conditions de forme suivent celles de l'acte dont elles empruntent l'apparence. Le CPI ne déroge pas à cette condition formelle des donations. Il prévoit seulement, s’agissant des marques, que le transfert de leur propriété doit être constaté par écrit (art. L. 714-1, al. 4, dans sa rédaction antérieure au 11 décembre 2019). En l’espèce, le contrat de cession emporte explicitement transfert de propriété de la marque de l’UE semi-figurative Supra et des modèles communautaires d’antennes de radio « à titre gratuit ». Il s'agit donc par définition d'une donation, non dissimulée et portant sur des droits incorporels, insusceptibles de remise physique. L'acte, qui devait donc être passé devant notaire alors qu'il a été conclu sous seing privé, est nul.

La marque semi-figurative de l’UE Supra n’encourt pas la nullité. L'article 60 § 1 et 2 du règlement 2017/1001 prévoit que la marque est déclarée nulle, à certaines conditions, lorsqu'il existe un droit antérieur sur un signe donnant droit d'interdire l'utilisation d'une marque plus récente. La marque ne peut toutefois pas être déclarée nulle si le titulaire du droit invoqué donne expressément son consentement à l'enregistrement de la marque. En l’espèce, à supposer que le co-déposant de la marque n'ait pas expressément donné son consentement à l'enregistrement qui a été fait en son nom, il n'invoque que le début d'usage du signe qui a ensuite été déposé en tant que marque. Ce signe, qui n'est pas son nom, ni une marque, ni une appellation ou indication d'origine, et dont il n’établit pas qu’il constituerait un droit antérieur au sens de l'article 60, ne lui permet donc pas d'empêcher l'utilisation de la marque plus récente.

La demande reconventionnelle en nullité des modèles communautaires n’est pas prescrite et donc recevable. En France, l'action en nullité était, jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 dite loi PACTE, soumise à la prescription de droit commun, d'une durée de 5 ans. Depuis, l'article L. 521-3-2 du CPI dispose que l'action en nullité d'un dessin ou modèle n'est soumise à aucun délai de prescription[1].

Les modèles communautaires consistant en des antennes fixées sur des embases circulaires sont valables. Au regard de la simplicité extrême de ces objets, dont la forme est en grande partie imposée par la fonction, le degré de liberté du créateur est faible, de sorte que la différence de forme de l'embase (partie conique) suffit à donner, pour l'utilisateur averti qui connaît bien ce type de produits sans en être pour autant un expert, une impression visuelle différente par rapport aux antériorités invoquées, constituées par deux modèles antérieurs d’antennes de radio de la société demanderesse.

La copropriété de marque et de dessin ou modèle, en l'absence de disposition spéciale, relève du régime de l'indivision, lequel prévoit notamment (article 815-3 du Code civil) que seul le ou les indivisaires titulaires d'au moins deux tiers des droits indivis peuvent effectuer les actes d'administration relatifs aux biens indivis. Il en résulte que l’usage d'une marque ou d'un modèle ne peut être tenu pour consenti que s'il l'a été par les indivisaires représentant au moins les deux tiers des droits sur le titre. En l’espèce, l’un des co-déposants a concédé à une société tierce une licence sur la marque Supra, en se présentant comme son « propriétaire exclusif », afin de permettre la distribution, par cette société, des produits concernés par la marque et les modèles d’antennes de radio. Il s'agit d'un usage, dans la vie des affaires, d'un signe identique à la marque, pour des produits identiques, accompli sans l'accord d'au moins deux tiers des indivisaires, donc sans le consentement du titulaire de la marque. Cet acte, accompli en son nom propre par le co-déposant, caractérise une contrefaçon de la marque de l’UE et du modèle communautaire d’antenne coudée, qui engage sa responsabilité personnelle.

Tribunal judiciaire de Paris, 3e ch., 3e sect., 8 février 2022, 19/14142 (M20220115)
M. F c. Akis Technology SARL et M. O

[1] Selon le tribunal, la loi PACTE a prévu que la règle nouvelle de l’imprescriptibilité de l’action en nullité d'un dessin ou modèle est applicable aux « titres en vigueur » (voir article 124 III), sans préciser s'il s'agissait des titres en vigueur dont l'action en nullité n'était pas encore prescrite, ou de l'ensemble des titres en vigueur, y compris ceux pour lesquels la prescription est déjà acquise. Il en déduit qu’il n’est donc pas dérogé expressément à la règle générale, posée par l'article 2222 du Code civil, selon laquelle la loi qui allonge la durée d'une prescription est sans effet sur une prescription acquise. Le tribunal en conclut que les titres en vigueur auxquels la loi nouvelle s’applique sont ceux pour lesquels la prescription de l'action en nullité n'est pas déjà acquise. En l'espèce, les modèles contestés ayant été déposés en 2015 et 2017, la prescription de l'action en nullité n'était pas acquise le 24 mai 2019.