Saisie-contrefaçon - Documents saisis - Mesure de séquestre (oui) - Secret des affaires - Confidentialité - Tri par un expert (non)
Communication de pièces (non) - Complément d’informations
L’invention faisant l’objet du brevet européen en cause consiste dans l’utilisation, en tant que carburant, au sein d’un dispositif de combustion tel qu’une chaudière ou un four, de produits naturels communément dénommés biomasse. Suite aux opérations de saisie-contrefaçon menées à la demande du breveté, les sociétés concernées ont demandé, en référé, la modification de la décision ayant autorisé la saisie-contrefaçon en invoquant la protection du secret des affaires. Il est fait droit à leur demande de placement sous séquestre de l’ensemble des pièces saisies (à l’exception des articles de revues scientifiques), celles-ci répondant aux critères de protection définis par l’article L. 151-1 du Code de commerce.
En effet, les documents saisis ne sont pas généralement connus ou aisément accessibles dès lors qu’ils portent sur un projet de recherche et développement, et plus particulièrement, sur un procédé innovant de gazéification de biomasse en bio gazole et bio kérosène. Ainsi, l’huissier de justice a eu accès notamment au site internet privé concernant le projet BioTfuel, dont l’accès est restreint et fait l’objet d’autorisations spécifiques et nominatives, à des échanges de courriels entre les personnes impliquées dans le projet, ainsi qu’à des résultats de tests internes et des descriptifs détaillés du procédé et du fonctionnement des installations.
S’il est acquis que les sociétés demanderesses ont été amenées à communiquer sur leur projet dans la presse, il ne peut être soutenu que les détails et caractéristiques du procédé invoqué étaient déjà divulgués avant la réalisation des opérations de saisie, sauf à remettre en cause le bien-fondé de la requête en saisie-contrefaçon qui constitue, en tout état de cause, une mesure exorbitante de droit commun. La communication opérée n’a donc porté que sur des informations publiques et d’ordre général à propos du projet BioTfuel, et ne correspond nullement au degré de détails et de précisions contenu dans les pièces saisies.
Au regard du domaine d’activité concerné et des enjeux énergétiques actuels, il est suffisamment démontré que ces informations revêtent une valeur commerciale du fait de leur caractère secret pour chacune des parties et de l’enjeu commercial du projet, le budget s’élevant à 178,1 millions d’euros, dont 33,2 millions d’euros de financement public.
Enfin, il résulte tant des statuts de la société chargée de la coordination des partenaires sur le projet, de l’accord de confidentialité la liant à l’autre société demanderesse qui exploite l’unité de production visée par la saisie-contrefaçon, du règlement intérieur applicable à cet établissement, restreignant l’accès au site, soumis à autorisation ou interdisant les photos, et des mesures imposées aux salariés notamment dans leur contrat de travail stipulant en particulier une obligation de discrétion, de confidentialité et de non-divulgation, que ces sociétés ont mis en place des mesures de protection raisonnables, compte tenu des circonstances, pour en conserver le caractère secret.
Si une mesure de tri des pièces saisies par un expert n’est pas jugée pertinente, il est ordonné la mise en place d’un club de confidentialité permettant de concilier à la fois le droit au respect du secret des affaires et le droit d’apporter la preuve de la contrefaçon alléguée. L’accès aux documents sera ainsi limité à l’avocat et au conseil en propriété industrielle de chaque partie, qui en occulteront les parties confidentielles.
Cour d’appel de Paris, pôle 5, 1re ch., 28 septembre 2022, 22/06168 (B20220075)
TotalEnergies Raffinage France SAS et Bionext SAS c. Étude Auxiliact SASU et Guillaume P
(Modification CA Paris, pôle 5, 1re ch., 11 janv. 2022, 21/00626 ; B20220005)