Jurisprudence
Dessins et modèles

Validité d’un dessin ou modèle portant sur la pièce d’un produit complexe - Appréciation des notions de « visibilité » et d’« utilisation normale » par l’utilisateur final

PIBD 1201-III-8
CJUE, 16 février 2023

Validité d’un dessin ou modèle - Pièce d’un produit complexe - Droit de l'UE - Visibilité pour l’utilisateur final ou l’observateur extérieur - Utilisation normale du produit

Texte
Modèle allemand de la société Monz Handelsgesellschaft international
Texte

Les questions préjudicielles ont été posées dans le cadre d’un litige porté devant les juridictions allemandes au sujet de la demande en nullité, présentée devant l’office allemand, d’un dessin ou modèle représentant une selle de vélo ou de moto vue du dessous. Le demandeur soutenait en particulier que le dessin ou modèle appliqué à une selle, laquelle est une pièce d’un produit complexe, n’était pas visible dans le cas d’une utilisation normale du vélo ou de la moto. L’office a rejeté sa demande en considérant qu’une utilisation normale d’un tel produit couvrait également « le démontage et le remontage de la selle ne servant pas à l’entretien, au service ou à la réparation ».

La Cour fédérale des brevets a prononcé la nullité du dessin ou modèle en jugeant qu’une pièce, qui ne serait visible que du fait ou à l’occasion de la séparation de celle-ci d’un produit complexe, ne saurait être considérée comme remplissant la condition de visibilité. De plus, elle a uniquement considéré comme étant une utilisation normale le fait de rouler à vélo, ainsi que de monter sur le vélo ou d’en descendre. Or, selon elle, dans le cadre de ces utilisations, le dessous de la selle n’est visible ni pour l’utilisateur final ni pour un tiers.

Saisie d’un pourvoi, la juridiction de renvoi demande à la Cour de justice, d’une part, si l’article 3, § 3 et § 4, de la directive 98/71/CE doit être interprété en ce sens que l’exigence de « visibilité », pour qu’un dessin ou modèle appliqué à un produit ou incorporé dans un produit qui constitue une pièce d’un produit complexe puisse bénéficier de la protection juridique des dessins ou modèles, doit être appréciée en fonction de certaines conditions d’utilisation de ce produit complexe ou de la seule possibilité objective de reconnaître le dessin ou modèle appliqué sur la pièce telle qu’intégrée au produit complexe. Elle demande, d’autre part, quels sont les critères pertinents pour caractériser l’« utilisation normale » d’un produit complexe par l’utilisateur final.

La selle d’un vélo ou d’une moto constitue une pièce d’un produit complexe. En effet, elle peut être remplacée de manière à permettre le démontage ou le remontage du vélo ou de la moto, et, en son absence, ce produit complexe ne pourrait faire l’objet d’une utilisation normale.

Aux termes de l’article 3, § 3, a), de la directive précitée, lu à la lumière du considérant 12, un dessin ou modèle appliqué à un produit ou incorporé dans un produit qui constitue une pièce d’un produit complexe n’est considéré comme nouveau et présentant un caractère individuel que dans la mesure où la pièce, une fois incorporée dans le produit complexe, reste visible lors d’une utilisation normale de ce produit. 

Une appréciation in abstracto de la visibilité de la pièce incorporée dans un produit complexe, sans lien avec une quelconque situation concrète d’utilisation de ce produit, ne suffit pas pour qu’une telle pièce puisse bénéficier de la protection au titre des dessins ou modèles en vertu de la directive. L’article 3, § 3, n’exige cependant pas que cette pièce reste visible dans son intégralité à chaque instant de l’utilisation du produit complexe.

En effet, selon l’avocat général, la visibilité d’une pièce incorporée dans un produit complexe, au sens de l’article 3, § 3, de la directive, lu en combinaison avec l’article 3, § 4, ne saurait être appréciée uniquement du point de vue de l’utilisateur final de ce produit. Il convient de prendre également en considération la visibilité d’une telle pièce pour l’observateur extérieur.

Aux termes de l’article 3, § 4, de la directive, la notion d’« utilisation normale » d’un produit complexe est définie comme « l’utilisation par l’utilisateur final, à l’exception de l’entretien, du service ou de la réparation ». Comme souligné par la Commission européenne dans ses observations écrites, l’utilisation normale ou habituelle d’un produit complexe par l’utilisateur final correspond, en règle générale, à une utilisation conforme à la destination de ce produit voulue par le producteur ou le concepteur de celui-ci. Toutefois, le législateur de l’Union européenne a entendu viser l’utilisation habituelle du produit complexe par l’utilisateur final, afin d’exclure une utilisation de ce produit à d’autres stades des échanges commerciaux et d’éviter ainsi un contournement de la condition de visibilité. L’appréciation de l’« utilisation normale » d’un produit complexe, au sens de la directive, ne saurait donc être fondée uniquement sur l’intention du producteur de la pièce ou du produit complexe.

En outre, le fait que l’article 3, § 4, de la directive ne précise pas quel type d’utilisation d’un produit complexe est visé par cette notion et se réfère, de manière générale, à l’utilisation d’un tel produit par l’utilisateur final plaide pour une interprétation large de la notion. L’« utilisation normale » doit couvrir les actes qui se rapportent à l’utilisation habituelle d’un produit ainsi que d’autres actes qui peuvent raisonnablement être accomplis lors d’une telle utilisation et qui sont habituels du point de vue de l’utilisateur final, y compris ceux qui peuvent être accomplis avant ou après que le produit a rempli sa fonction principale, tels que le stockage et le transport de celui-ci.

Cour de justice de l’Union européenne, 5e ch., 16 février 2023, C-472/21 (D20230003)
Monz Handelsgesellschaft International mbH & Co. KG c. Büchel GmbH & Co.
Fahrzeugtechnik KG
(Décision préjudicielle)