Par Steeve Gallizia, chargé de valorisation des archives patrimoniales de l'INPI
Les amateurs de sensations fortes connaissent tous les montagnes russes. Mais savent-ils qu’elles existaient dès le début du XIXe siècle en France ? Les brevets déposés à l’époque témoignent de la créativité des inventeurs pour satisfaire les envies de divertissement des Parisiens.
Théâtres, concerts, bals et guinguettes … les lieux de divertissement n’ont jamais manqué à Paris. Mais, au début du XIXe siècle, de nouvelles distractions font leur apparition : les montagnes russes.
Même si les Russes les appellent paradoxalement les montagnes américaines, c’est bien en Russie qu’elles sont inventées. Des gravures attestent de la construction de ces plaisirs récréatifs dans la région de Saint-Pétersbourg dès le XVIe siècle. À l’époque, les grandes structures en bois servant de pistes ne sont qu’une forme extrêmement primitive de ce que l’on connaît aujourd’hui. Certaines mesurent tout de même près de 20 mètres de haut et sont bien sûr recouvertes d’une couche de glace. Les clients montent au sommet à l’aide d’escaliers, puis descendent une pente généralement inclinée à près de 50°, assis sur des petits sièges en osier. Âmes sensibles s’abstenir !
Constatant le succès rencontré, un homme d’affaires décide d’importer le concept en France. Et, pour pallier l’absence de la glace que l’on trouve sous le climat russe, il la remplace par une matière à base de cire sur laquelle glissent de petites luges en bois. Mais comme cela ne fonctionne pas aussi bien, il faut perfectionner ces machines infernales afin d’aller plus haut, plus vite et en toute sécurité… ou presque !
Les barrières de Paris sont le lieu idéal pour construire les montagnes. Situées aux portes de la ville, elles sont les sites de perception des taxes douanières des marchandises entrant dans la cité. Ces bâtiments, ouvrant sur la campagne autour de la capitale, proposent suffisamment d’espace pour permettre de grandes installations. Les terres environnantes sont déjà souvent dédiées à la fête, et l’établissement des montagnes russes va en faire des lieux à la mode pour la jeunesse. Les premières sont installées à la barrière du Roule, sur l’actuelle place des Ternes dans le 17e arrondissement, et sur les collines de Belleville. Elles consistent en de grands toboggans que l'on descend à bord de chariots, hissés au sommet de la construction appelée le belvédère. Certains chars dans lesquels on prend place sont tirés par des chevaux fictifs sur lesquels il est également possible de monter.
Au fur et à mesure des progrès techniques, des systèmes permettent de faire revenir les chars à leur point de départ sans avoir à les sortir de la piste pour les remonter. Mais la grande nouveauté technique est l’apparition des chariots équipés de roues, vers 1804.
Les premières constructions sont vite suivies par de nombreuses autres, qui envahissent littéralement la ville à partir des années 1810. Dès lors, les constructeurs et les promoteurs rivalisent d'imagination, déposant de nombreux brevets, parmi lesquels on trouve d’autres appellations : montagnes suisses, bordelaises, italiennes, promenades de santé ou encore courses ou promenades aériennes.
En 1817, des montagnes dites françaises sont construites dans les jardins Beaujon, près des Champs-Élysées qui ne sont à l'époque qu'une simple allée au milieu de rangées d'arbres. Elles se démarquent de la simple descente en toboggan et préfigurent les attractions modernes : deux descentes semi-circulaires partent du même point à 25 mètres de hauteur et arrivent à un autre point à une vitesse proche de 60 km/h. Elles sont l'objet d'un engouement certain, mais l'affaire périclite et ferme ses portes en 1824.
En 1818, des montagnes, égyptiennes cette fois, sont construites dans le jardin du Delta, situé rue du Faubourg-Poissonnière. Un haut pylône d’inspiration égyptienne soutient, comme le pilier d'un pont suspendu, des câbles sur lesquels glissent des chars de style antique, dépourvus de garde-corps, élevés au départ par un treuil. Ces montagnes ne sont cependant exploitées que deux ans en raison de leur conception défectueuse.
Car, question sécurité, pour le client, c’est une simple sangle qui sert de ceinture anti-chute ! La réclame de l'époque se veut pourtant rassurante : « Quoique ce voyage soit sans nul danger, et que la perfection du mécanisme, que l'œil ne voit point, et la solidité des constructions doivent rassurer la timidité des belles, peut-être s'en trouvera-t-il quelques-unes qui n'oseront pas l'entreprendre, mais elles ne seront pas privées pour cela du délicieux coup d'œil dont on jouit dans le pavillon élevé sur le sommet de la montagne ». Malgré tout, les accidents sont nombreux et certaines personnes succombent à leurs blessures. Cependant, c’est à cause de ces sorties de piste que des systèmes brevetés tentent d’améliorer la sécurité. En 1817, les rails sont adoptés, et l’ingénieux système encore connu aujourd’hui sous le nom d’upstop wheel est inventé : c’est un système à trois roues, prises dans des gorges et guidées le long de la piste, qui empêche le chariot de dérailler.
Les premières montagnes russes, à la conception plus empirique que scientifique, ne resteront finalement debout qu’une vingtaine d'années. Vers 1825, la plupart ferment leurs portes : elles sont devenues trop dangereuses. Dans le même temps, la valeur des terrains augmente : ils sont vendus à des promoteurs. Elles reviendront pourtant à Paris, une vingtaine d'années plus tard. Le premier looping, appelé Le chemin de fer centrifuge dans la presse de l’époque, est probablement construit à Paris en 1846 : un traîneau est lancé dans une boucle d'environ quatre mètres de diamètre. Néanmoins aucune de ces voies ne forme un circuit complet. Le premier de ce type apparaît plus tard aux États-Unis en 1884, sur le site de Coney Island dans le quartier de Brooklyn à New York. Aujourd’hui encore, Coney Island accueille la fameuse Wonder Wheel et le Luna Park.
Fruits de perfectionnements techniques et d’inventions brevetées depuis le début du XIXe siècle, les montagnes russes ne cessent d’évoluer pour proposer des concepts à sensations toujours plus fortes pour un public qui en redemande !
Cet article est également paru au Journal Spécial des Sociétés, n° 22, 21 mars 2020, p. 16