Appel de l’ordonnance du juge de la mise en état - Recevabilité (oui)
Interdiction provisoire (non) - Contestation sérieuse sur la validité du CCP (oui) - Médicament - Composition de principes actifs - Protection par le brevet de base - Pluralité de CCP et d’AMM - Droit de l’UE
Les demandes de mesures provisoires et conservatoires, présentées par le titulaire du brevet et de plusieurs CCP afin d’empêcher la commercialisation de spécialités génériques portant sur une combinaison de principes actifs, sont rejetées.
Le brevet de base protégeait une nouvelle classe de composés auxquels appartient un principe actif novateur, l'ézétimibe, ainsi que de nouveaux produits composés de ce principe actif et de substances couramment utilisées pour le traitement de l'hypercholestérolémie. Le titulaire avait obtenu, sur la base de ce brevet, un premier CCP et une AMM d'un médicament comprenant ce seul principe actif. Sa demande d'interdiction provisoire est fondée sur un second CCP, obtenu sur la base du même brevet et protégeant un produit de composition de l'ézétimibe et de la simvastatine.
Dans l'arrêt Actavis (C-577/13), la Cour de justice a dit pour droit, au visa des dispositions de l’article 3 a) et c) du règlement (CE) no 469/2009 concernant le CCP, que, lorsqu’un brevet de base contient une revendication d’un produit comprenant un principe actif qui constitue seul l’objet de l’invention, pour lequel le titulaire de ce brevet a déjà obtenu un CCP, ainsi qu’une revendication ultérieure d’un produit comprenant une composition de ce principe actif avec une autre substance, ces dispositions s’opposent à ce que le titulaire obtienne un second CCP portant sur ladite composition. L'article 3 a) du règlement précité doit être lu à la lumière de l’arrêt Teva (C-121/17) qui a dit qu'un produit composé de plusieurs principes actifs ayant un effet combiné est protégé par un brevet de base en vigueur, dès lors que la combinaison des principes actifs qui le composent, même si elle n'est pas explicitement mentionnée dans les revendications du brevet de base, est nécessairement et spécifiquement visée dans ces revendications. L’arrêt a dit que le produit devait nécessairement relever, pour l’homme du métier, à la lumière de la description et des dessins du brevet de base, de l’invention couverte par le brevet et que chaque principe actif devait être identifiable de manière spécifique.
Il ne peut être déduit de la décision Teva que, si les revendications du brevet de base mentionnent explicitement les principes actifs composant le produit alors, sans autre examen, la condition posée par l'article 3 a) du règlement (CE) n°469/2009 est satisfaite. En l’espèce, il résulte des termes de la description du brevet que l’homme du métier pourrait considérer la combinaison des principes actifs comme constituant un « aspect » de l’invention et non comme une invention distincte. Par ailleurs, l'homme du métier avait connaissance dans l'art antérieur de la possibilité de combiner deux anticholestérolémiants ayant des mécanismes d'action différents, et il connaissait les statines et notamment la simvastatine. En l'absence de toute indication, à la date du dépôt, sur l'effet combiné associé au composé d'ézétimibe et de simvastatine - les résultats issus d'une recherche ultérieure n'ayant pas à être pris en compte - il ne considérera pas que cette combinaison constitue un produit distinct du brevet au sens de la jurisprudence de la Cour de justice. Par conséquent, il résulte de ces éléments et de l’appréciation des conditions de l’article 3 a) et c) du règlement (CE) no 469/2009 tel qu’interprété par la jurisprudence de la Cour de justice qu’il existe des moyens sérieux de contestation de la validité du CCP dont la contrefaçon vraisemblable est alléguée.
En tout état de cause, il n'est pas justifié, au regard des dispositions de l’article 3 § 2 de la directive 2004/48/CE relative au respect des droits de propriété intellectuelle, de la proportionnalité des mesures prononcées en première instance eu égard aux intérêts en présence relatifs à des médicaments princeps et génériques ayant obtenu les autorisations des autorités publiques. En effet, un préjudice d'ordre financier ne peut, sauf circonstances exceptionnelles, être regardé comme irréparable ou même difficilement réparable, dès lors qu'il peut donner lieu ultérieurement à l'allocation de dommages-intérêts. Or de telles circonstances ne sont pas démontrées en l’espèce, le CCP litigieux expirant moins d'un mois après le prononcé de l'ordonnance entreprise.
Cour d’appel de Paris, pôle 5, 2e ch., 14 février 2020, 2019/06114 (B20200008)
Mylan SAS c. Merck Sharp & Dohme Corp. et MSD France SAS
(Infirmation TGI Paris, ord. juge mise en état, 3e ch., 1re sect., 7 mars 2019, 2017/14664 ; B20190086)
Antérieurement à la décision ci-dessus publiée, des litiges avaient déjà opposé la société Merck Sharp & Dohme Corp., titulaire du brevet européen n° 0 720 599 et des CCP 03C0028, 05C0040 et 14C0068 déposés sur la base de ce brevet, à des sociétés pharmaceutiques qui envisageaient de commercialiser, suite à l’expiration du premier CCP protégeant le principe actif novateur du brevet (l’ézétimibe), des médicaments génériques qui seraient la contrefaçon du second CCP portant sur la composition de ce principe actif et de la simvastatine. Ainsi des actions en nullité du CCP 05C0040 avaient été engagées au fond par certains de ces génériqueurs et le breveté avait formé, à leur égard, des demandes de mesures provisoires et conservatoires.
La question qui se posait à l’occasion de ces différentes affaires était de savoir s’il était possible, au vu des dispositions de l’article 3 du règlement (CE) n° 469/2009 concernant le CCP pour un médicament, d’obtenir, à partir d’un même brevet de base, plusieurs CCP protégeant un principe actif novateur seul et la combinaison de celui-ci avec un autre principe actif connu. La solution apportée par les juges du fond a varié en fonction de l’interprétation qui a été faite des nombreux arrêts de la Cour de justice portant sur ce sujet et visant à harmoniser les pratiques des États membres.
Dans une première affaire qui opposait la société Merck à la société Biogaran, la cour d’appel de Paris a rejeté la demande en interdiction provisoire. Elle a notamment estimé que la simvastatine n'était pas protégée en tant que telle par le brevet de base invoqué ni par un autre brevet, et que l'article 3 c) du règlement (CE) n° 469/2009, qui stipule que le produit ne doit pas avoir fait l'objet d'un certificat, s'opposait à ce que le CCP litigieux soit délivré. Les juges ont ajouté qu’il ne saurait être soutenu que le brevet couvrirait deux inventions distinctes (d'une part, le principe actif seul et d'autre part, la combinaison des deux principes actifs), le moyen tiré du caractère inventif de la combinaison étant inopérant au regard de la jurisprudence de la Cour de justice (CA Paris, pôle 5, 1re ch., 26 juin 2018, Merck Sharp & Dohme Corp. et al. c. Biogaran SAS, 2018/06769, B20180060 ; PIBD 2018, 1100, III-534 ; Propr. industr., juill.-août 2019, p. 22, note d'H. Gaumont-Prat).
Dans une affaire rendue au fond, le tribunal de grande instance de Paris a rejeté la demande en nullité du CCP 05C0040 présentée par la société Teva. Ce jugement a fait application pour la première fois de l’arrêt de principe Teva c. Gilead de la Cour de justice de l’Union européenne qui a dit qu'un produit de combinaison de principes actifs ne pouvait être considéré comme étant « protégé par le brevet de base en vigueur », au sens de l'article 3 a) du règlement (CE) n° 469/2009, que lorsque le produit faisant l'objet du CCP était soit explicitement mentionné, soit nécessairement et spécifiquement visé dans les revendications de ce brevet. Il a dit que le produit devait nécessairement relever pour l’homme du métier, à la lumière de la description et des dessins du brevet de base, de l’invention couverte par le brevet et que chaque principe actif devait être identifiable de manière spécifique (CJUE, gr. ch., 25 juill. 2018, Teva UK Ltd et al. c. Gilead Sciences Inc., C-121/17, B20180064 ; PIBD 2018, 1100, III-528 ; L’Essentiel, 9, oct. 2018, p. 5, note de P. Langlais ; Europe, oct. 2018, p. 54, note de L. Idot ; Propr. industr., nov. 2018, p. 23, note de F. Macrez et E. Py ; D IP/IT, janv. 2019, p. 47, note d’É. Enderlin ; Propr. industr., mars 2019, p. 55, note de M. Gabriel ; Propr. industr., juill.-août 2019, p. 22, note d’H. Gaumont-Prat). Les juges du fond ont estimé que les conditions prévues par l'article 3 du règlement (CE) n° 469/2009 étaient réunies au vu de la jurisprudence de la CJUE. En effet, dès lors que le produit, qui est une composition de principes actifs au sens de l'article 1er du règlement précité, relève nécessairement de l'invention couverte par le brevet et que chacun des principes actifs est identifiable de façon spécifique, la délivrance d'un CCP portant sur cette combinaison est possible. De plus, un principe actif et une composition de principes actifs comprenant le premier, couverts par un même brevet, sont deux produits différents au sens du règlement. Ainsi, un CCP délivré antérieurement pour ce principe actif, en référence à une précédente AMM, ne fait pas obstacle à la délivrance d'un CCP pour la composition de principes actifs (TGI Paris, 3e ch., 1re sect., 25 oct. 2018, Teva Pharmaceuticals Europe BV et al. c. Merck Sharp & Dohme Corp., 2016/16178, B20180129 ; PIBD 2018, 1106, III-740 ; Propr. industr., juill.-août 2019, p. 21, note d’H. Gaumont-Prat).
À l’occasion des deux arrêts très similaires rendus le même jour opposant la société Merck à la société Mylan pour l’un (arrêt ci-dessus publié - CA Paris, pôle 5, 2e ch., 14 févr. 2020, Mylan SAS c. Merck Sharp & Dohme et al., 2019/06114, B20200008 ; infirmation TGI Paris, ord. du juge de la mise en état, 7 mars 2019, 2017/14664, B20190086) et à la société Sandoz pour l’autre (CA Paris, pôle 5, 2e ch., 14 févr. 2020, Sandoz SAS c. Merck Sharp & Dohme Corp., 2019/03820, B20200007 ; infirmation TGI Paris, ord. de réf., 8 févr. 2019 2019/50247), la cour d’appel de Paris a rejeté les demandes de mesures provisoires et conservatoires formées sur la base du CCP 05C0040, en estimant qu’il existait une contestation sérieuse sur la validité de ce titre. Les juges de première instance, dont les décisions ont été infirmées, avaient notamment estimé qu’il pouvait être déduit de l’arrêt Teva que la condition posée par l'article 3 a) du règlement était satisfaite, sans avoir à effectuer d’autre examen, dès lors que les revendications du brevet de base mentionnaient explicitement les principes actifs composant le produit.
Concernant la demande de CCP 14C0068 présentée par la société Merck Sharp & Dohme Corp. et portant sur une autre combinaison de principes actifs (l’ézétimibe et l’atorvastatine), la cour d’appel de Paris a rejeté le recours formé contre la décision du directeur général de l’INPI qui avait rejeté la demande. Les juges du fond ont dit que, pour que puisse être remplie la condition posée par l'article 3 c) du règlement (CE) n° 469/2009, cette combinaison doit constituer un produit différent de la combinaison de l'ézétimibe avec la simvastatine, autre statine qui avait déjà fait l'objet du CCP 05C0040 sur la base du même brevet en référence à une précédente AMM. Or, ils ont retenu que le brevet de base listait les différentes statines avec lesquelles l'ézétimibe pouvait être combinée, indifféremment et sans les distinguer, et qu’il n’était pas justifié aux termes du brevet que le résultat de la combinaison de l'ézétimibe avec l'atorvastatine constituait un produit différent de la combinaison de l'ézétimibe et de la simvastatine (CA Paris, Pôle 5, 1re ch., 22 janv. 2019, Merck Sharp & Dohme Corp c. directeur général de l’INPI, 2018/10532, B20190004 ; PIBD 2019, 1112, III-126).
Sylvie Lepoutre
Rédactrice au PIBD