Par Steeve Gallizia, chargé de valorisation des archives patrimoniales de l'INPI
Nager paraît aujourd’hui une chose commune et naturelle. Dès le premier âge, on apprend à nager avec ses parents, à la piscine, à l’occasion des vacances à la mer ou encore à l’école. Cependant, la nage récréative ou sportive est peu pratiquée avant la création, au cours du XIXe siècle, des premières sociétés de natation. Parmi près de deux cents brevets d’invention déposés sur le sujet durant cette période, nous avons retrouvé quelques exemples d’appareils et de systèmes inventés pour apprendre ou parfaire « l’art de nager ».
Au XIXe siècle, les fonctions allouées à la natation sont principalement utilitaires : militaire, hygiénique, thérapeutique et éducative. Il s’agit à cette époque de former un physique de soldat. La nage chien, la nage grenouille, sous l’eau ou plongée, la planche et la nage sur le dos sont des techniques déjà décrites, et qui participent à la formation des militaires.
C’est le but des gants-nageoires brevetés par Paul Skipor en 1847 : « Au moyen de cet auxiliaire multiple, un soldat tout équipé peut, sans danger de se noyer, traverser une rivière à la nage quand l’urgence du cas l’ordonne [...]. Ce genre de sauve-conduit peut rendre d’imminents services au militaire en général et à la marine [...]. Tous les appareils inventés jusqu’ici pour soutenir l’homme à la surface de l’eau présentaient deux graves inconvénients : celui d’être fixé au corps et celui d’être trop volumineux. J’ai longtemps songé au moyen de les éviter et pour cet effet je n’ai consulté que la nature des êtres palmipèdes. La faculté qu’ont ces oiseaux de se mouvoir sur les eaux, fut le point de départ de mes observations et me suggéra l’heureuse idée d’en faire l’application à l’homme. Mes gants nageoires, lorsque la main est ouverte et les doigts écartés, offrent exactement l’aspect des pattes d’oies [et] la séparation des doigts présente une surface plus que double de celle qu’ont les mains nues de l’homme. La capacité et les ressources de ces gants-nageoires sont encore palpables aux yeux des amateurs et des plongeurs car à l’aide d’un tour de main conforme à l’idée de l’homme, il peut d’emblée se précipiter vers le fond de l’eau et avec la vitesse d’un trait remonter vers sa surface [...]. La fabrication des gants se fait avec une substance dite kaoutchouk laquelle par sa nature dispensant de toute couture […] rend l’objet comme fait d’une pièce ».
Quelques années plus tard, Alexandre-François Allain reprend l’idée de ces gants de natation et complète l’équipement avec deux nageoires s’adaptant aux bras, une ceinture et deux jambières faites de bois et de liège. Au vu de cet attirail, on pourrait penser qu’il entrave plus le nageur qu’il ne l’aide. Il en est de même avec « la Sirène », l’appareil de natation breveté par Paul-Ivanovitch Osokin en 1894. L’appareil est composé d’un « appareil dorsal rétroactif, d’un parachute nageoire et d’un disque d’accélération » ! Le tout en double et fixé sur les bras et les jambes, à droite et à gauche. En y regardant de plus près, le système consiste à faire aller et venir un parachute, « en soie, en toile, ou tout autre tissu », le long du corps en fonction des mouvements exercés par le nageur. Le parachute se ferme lorsqu’il replie les jambes et la résistance de l’eau le fait se gonfler lorsqu’il les déplie. L’inventeur indique que le parachute « présente un point d’appui suffisant, non seulement pour le soutenir, les bras libres, à la surface de l’eau, mais encore pour l’avancer avec une vitesse relativement considérable ». Un « disque d’accélération » complète le système en « s’attachant au pied du nageur et [en] servant à augmenter la course et la vitesse du parachute ».
La pratique de la natation s'étend peu à peu au cours du XIXe siècle. Sa diffusion se fait surtout dans les pays anglo-saxons, notamment en Angleterre qui possède d'ores et déjà des piscines couvertes et chauffées à Londres. Dès 1837, les premières compétitions sportives sont organisées par la National Swimming Association. Ce n'est toutefois pas en Angleterre, mais en Australie qu’est organisé le premier championnat moderne. Cependant, nager n’est pas donné à tout le monde. En 1899, Charles de Tricornot de Rose rappelle la dangerosité d’une telle pratique : « la natation, naturelle chez la plupart des animaux, est, chez l’homme, l’objet d’un apprentissage long et dangereux. Cet exercice est cependant des plus hygiéniques et possède au plus haut degré le don de développer les muscles du nageur. Malheureusement, la constitution physique de l’homme ne lui permet pas de se maintenir longtemps sur l’eau ni d’y effectuer de longs parcours. En outre, à la moindre défaillance, la vie du nageur est en danger ». Tricornot de Rose brevète donc « l’amphibie », un appareil immergé et articulé auquel le nageur s’attache à l’aide de sangles. Ainsi harnaché, muni également d’un gilet de liège lui entourant le thorax, il peut manœuvrer en effectuant ses mouvements sans danger de se noyer.
Pourtant, les compétitions se multiplient. Aux premiers Jeux olympiques de l'ère moderne, à Athènes, en 1896, trois épreuves de natation sont au programme et se déroulent en mer : 100, 500 et 1 200 mètres. En France, c’est au Havre que le premier club spécialisé dans la pratique de la natation sportive est créé : la Société des nageurs du Havre. D’autres suivent, à Lille puis à Paris, en 1898. La Fédération française de natation est créée en 1920. Aujourd’hui, l’école prend également en charge l’enseignement de la natation, devenu obligatoire : apprendre à nager à tous les élèves est une priorité nationale, inscrite dans le socle commun de connaissances et de compétences, précise une circulaire de l'Éducation nationale. Depuis 2015, une attestation « savoir-nager » est même délivrée aux élèves. Cependant, parfois, une planche ou une frite peuvent désormais suffire à apprendre à nager en toute sécurité.
Cet article a également été publié dans le Journal Spécial des Sociétés du 15 août 2020, n° 50, p. 16.