Jurisprudence
Marques

Atteinte aux marques de renommée aux trois bandes Adidas apposées sur des vêtements de sport - Contrefaçon écartée en raison de l'attention particulière du public pertinent

PIBD 1152-III-4
TJ Paris, 4 juin 2020 avec une note

Question préjudicielle - Marque figurative de l’UE - Incidence du caractère ornemental de la marque sur l’appréciation de la contrefaçon et de l’atteinte à la marque de renommée

Contrefaçon des marques figuratives française et de l’UE (non) - Droit de l’UE - Signes graphiques apposés sur les produits - Imitation - Similitude visuelle - Différence intellectuelle - Risque de confusion - Appréciation globale - Public pertinent - Clientèle spécifique - Mode - Notoriété des marques

Atteinte aux marques de renommée française et de l’UE (oui) - Droit de l’UE - Préjudice porté au caractère distinctif et à la renommée des marques - Lien entre les marques et les signes litigieux - Appréciation globale - Caractère distinctif élevé - Intensité de l’usage - Dilution des marques - Atteinte à la fonction de publicité

Texte
Marque de l’UE n° 3 517 588 de la Sté Adidas AG
Marque n° 3 517 661 de la société Adidas AG
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Marque n° 1 280 280 de la Sté Adidas AG
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Sweatshirt « cosy néo deluxe » et pantalon « porte » commercialisés par la Sté ZV France
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Pantalon « poème deluxe » commercialisé par la Sté ZV France
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Il ressort de la jurisprudence de la Cour de justice1 que le point de savoir si certains signes décoratifs ne devraient pas rester disponibles à l'ensemble des opérateurs, selon l'usage habituel du secteur professionnel concerné, ne relève pas de l’appréciation de l’existence d’un risque de confusion ni d’un lien entre une marque et un signe similaire. La demande de transmission de cette question préjudicielle est donc rejetée.

Les demandes en contrefaçon sont également rejetées. La similitude exclusivement visuelle existant entre, d’une part, les marques figuratives française et de l’Union européenne, constituées de trois bandes parallèles de même longueur et de même largeur, et d’une couleur contrastant avec celle du vêtement de sport sur lequel elles sont apposées, et, d’autre part, les signes consistant en deux bandes parallèles, de largeur et de couleur légèrement différentes, pareillement appliquées sur les manches d’une veste et les jambes d’un pantalon, apparaît moyenne. Si elle est compensée par la relative similarité des produits (les produits argués de contrefaçon n’étant pas des articles de sport) et par la très grande notoriété des marques en France et dans l’Union européenne du fait de leur exploitation massive depuis de nombreuses années, tout risque de confusion est néanmoins exclu dans l’esprit du public pertinent, qui est constitué des acheteurs d’articles de mode d’un certain prix, au vu du positionnement respectif des parties, et qui est particulièrement attentif aux tendance de la mode et sensible aux différences entre les produits.

En revanche, l’atteinte à ces marques de renommée est établie. La similitude visuelle moyenne entre les signes est compensée par la particulière renommée des marques « aux trois bandes » et leur forte distinctivité acquise par un usage intensif ainsi que la similitude des produits, de sorte que le risque que les signes incriminés évoquent ces marques auprès des consommateurs apparaît évident. L’existence d’un tel risque de lien est corroborée par un article de presse versé aux débats qui parle d’« hommage au fameux jogging trois bandes d’Adidas ». Ainsi, l’usage de deux bandes latérales contrastantes appliquées sur un vêtement emprunte à la renommée des marques leur association immédiate au sport. De plus, cet usage dilue la distinctivité des marques, portant dès lors atteinte aux investissements publicitaires réalisés, le positionnement haut de gamme de la société défenderesse important peu. De nombreux autres opérateurs économiques sont, au demeurant, parvenus à s’inscrire dans la tendance de la mode en s’éloignant suffisamment de ces signes.

Tribunal judiciaire de Paris, 3e ch., 1re sect., 4 juin 2020, 2017/14422 (M20200251)
Adidas AG et Adidas France c. ZV France

Titre
NOTE
Texte

Les sociétés Adidas semblent défendre ardemment, et avec un grand succès, les trois marques figuratives qu’elles invoquent dans le présent litige contre toute tentative d’imitation, s’opposant, dans la plupart des affaires, à l’importation sur le territoire français de vêtements revêtus des signes litigieux.

Ainsi, les marques de l’Union européenne nos 3 517 661 et 3 517 588, déposées le 3 novembre 2003 et constituées de trois bandes parallèles appliquées, pour l’une, sur un pantalon et, pour l’autre, sur une veste, avaient déjà fait l’objet de plusieurs contentieux en contrefaçon ou pour atteinte à la marque de renommée.

Dans une affaire opposant les sociétés Adidas à la société Promotex, la cour d’appel de Paris avait jugé que le signe apposé sur les pantalons de sport retenus en douane, constitué de deux bandes verticales parallèles sur les deux tiers de la longueur de la jambe mais se terminant par deux bandes horizontales, présentait une faible similitude visuelle avec la marque n° 3 517 661, et elle avait donc écarté ces deux griefs (CA Paris, pôle 5, 2e ch., 23 oct. 2015, 2014/06720 ; M20150451 ; PIBD 2015, 1039, III-790). Elle a été sanctionnée par la Cour de cassation pour n'avoir pas pris en considération, comme facteurs pertinents, la notoriété de la marque pour l’appréciation du risque de confusion, ainsi que l’intensité de sa renommée et le degré de son caractère distinctif  pour l’appréciation de l’existence d’un lien entre les signes (Cass. com., 31 janv. 2018, C/2016/10761 ; M20180034 ; PIBD 2018, 1090, III-197 ; Propr. industr., mai 2018, p. 46, note de P. Tréfigny ; Propr. intell., 67, avr. 2018, p. 62 et 65, notes de J. Canlorbe ; L'Essentiel, avr. 2018, p. 6, note de S. Chatry). La contrefaçon avait pourtant été retenue en première instance, les juges ayant estimé que le risque de confusion était accru en raison de la grande notoriété de la marque (TGI Paris, 3e ch., 4e sect., 25 mars 2010, 2009/13595 ; M20100206).

Dans d’autres litiges (TGI Paris, 3e ch., 2e sect., 4 déc. 2015, Adidas AG et al. c. PCS GmbH et al., 2014/09103, M20150566 ; TGI Paris, 3e ch., 1re sect., 21 mai 2015, Adidas AG et al. c. Sun Da SRL, 2014/14665, M20150244 ; TGI Paris, 3e ch., 3e sect., 29 juin 2012, Adidas AG et al. c. Soleil Levant SARL, 2010/10242, M20120418 ; TGI Paris, 3e ch., 1re sect., 17 mai 2011, Adidas AG et al. c. Soclidis SAS, 2010/03386, M20110478), la marque n° 3 517 661 a été reconnue contrefaite, de même que la marque n° 3 517 588 dans  les deux premières décisions citées ci-dessus, ainsi qu'à l'occasion d'une autre affaire (TGI Paris, 3e ch., 1re sect., 20 nov. 2014, Adidas AG et al. c. Flash SARL, 2014/09551 ; M20140762).

La défense de la marque française n° 1 280 280, qui est plus ancienne puisque déposée le 25 juillet 1984, et représentant trois bandes parallèles de couleur claire contrastant avec celle de la veste et du pantalon de sport sur lesquels le signe est apposé, a elle aussi connu un succès judiciaire sur le fondement de la contrefaçon (CA Douai, 1re ch., 2e sect., 10 déc. 2014, Adidas France SARL c. SCA Ouest et al., 2012/03629, M20140706, PIBD 2015, 1021, III-119 ; CA Paris, 4e ch., sect. B, 29 juin 2007, Richemda SARL c. Adidas France SARL, 2006/08565, M20070343 ; CA Paris, 4e ch., sect. A, 3 mars 2004, Adidas Sarragan France SARL c. Subo SARL et al., 2003/10236, M20040144 ; TGI Lille, 1re ch., 14 févr. 2002, Adidas Sarragan France SARL c. Compagnie internationale pour la vente à distance SA, 1999/10498, M20021031).

Parmi de nombreuses autres marques comprenant trois bandes parallèles apposées ou non sur un produit, la société Adidas AG est titulaire de la marque française figurative n° 1 569 216, déposée le 29 novembre 1988 et constituée simplement de trois bandes verticales de couleur foncée sur un fond clair. Cette marque a été déclarée contrefaite dans certains des litiges précités (v. supra : CA Douai, 10 déc. 2014, 2012/03629 ; TGI Paris, 29 juin 2012, 2010/10242 ; TGI Paris, 17 mai 2011, 2010/03386 ; CA Paris, 29 juin 2007, 2006/08565). La marque figurative de l’Union européenne n° 12 442 166, déposée le 18 décembre 2013 et composée de la même manière de trois bandes noires parallèles sur un fond blanc, a, quant à elle, été annulée au motif que ce signe, qualifié d'« extrêmement simple », était dépourvu de tout caractère distinctif intrinsèque ou acquis par l’usage (TUE, 9e ch., 19 juin 2019, Adidas AG et al. c. EUIPO et al., T-307/17 ; M20190178 ; PIBD 2019, 1120, III-334 ; JCP E, 27, 4 juill. 2019, p. 5, note de C. Monnet ; Propr. industr., sept. 2019, p. 40, note de A. Folliard-Monguiral ; L'Essentiel, 9, oct. 2019, p. 5, note de D. Lefranc ; Propr. intell., 73, oct. 2019, p. 69, note de Y. Basire ; D IP/IT, nov. 2019, p. 627, note de J. Groffe-Charrier ; Comm. com. électr., nov. 2019, p. 20, note de J.-M. Marmayou ; Légipresse, 376, nov. 2019, p. 646, note de M.-S. Bergazov ; RTDCom., 4, oct.-déc. 2019, p. 881, note de J. Passa ; Dalloz, 8, 5 mars 2020, p. 453, note de J.-P. Clavier ; Propr. industr., 4, avr. 2020, chron. 3, J. Canlorbe).

Cécile Martin
Rédactrice au PIBD

1 CJCE, 1re ch., 10 avr. 2008, Adidas AG et al. c. Marca Mode CV et al., C-102/07 (M20080218 ; PIBD 2008, 875, III-336 ; Comm. com. électr., juin 2008, p. 36, note de C. Caron ; Europe, juin 2008, p. 29, note de L. Idot ; Propr. industr., juin 2008, p. 34, note de A. Folliard-Monguiral).