Action en contrefaçon du brevet européen - Pluralité de défendeurs - Actes incriminés commis en France - Compétence territoriale de la juridiction française (oui) - Droit de l’UE - Lieu du fait dommageable
Action en contrefaçon du brevet européen - Pluralité de défendeurs - Actes incriminés commis à l’étranger - Compétence territoriale de la juridiction française - 1) À l’égard du défendeur domicilié dans l’UE (non) - Droit de l’UE - Lien de connexité - 2) À l’égard du défendeur domicilié hors de l’UE (non) - Privilège de juridiction - 3) À l’égard du défendeur domicilié en France (oui) - Droit de l’UE - Lieu du domicile du défendeur
Le titulaire d'un brevet européen portant sur une roue de véhicule a constaté qu’une société de droit anglais exposait sur son stand, à l'occasion d'un salon professionnel qui se tenait en France, un produit sur lequel figurait le nom d'une société sud-africaine et qui contreferait les revendications du brevet. Il a alors demandé au juge français de dire que ces deux sociétés, ainsi que deux autres sociétés françaises, avaient commis des actes de contrefaçon, tant en France qu'en Allemagne et au Royaume-Uni.
En application de l’article 7, 2) du règlement 1215/2012 du 12 décembre 2012 (dit Bruxelles I bis) qui permet, en matière délictuelle, d'attraire un ressortissant d'un État membre dans un autre État membre s'il s'agit du lieu où le fait dommageable a été commis, le juge français est compétent pour connaître des faits litigieux commis sur le territoire français par la société défenderesse de droit anglais, domiciliée au Royaume Uni.
En revanche, le juge français n'est pas compétent pour connaître des faits litigieux commis par cette société en dehors du territoire français. La prorogation de compétence prévue par l'article 8, 1) du règlement Bruxelles I bis, dans l'hypothèse d'une pluralité de défendeurs, n'est pas applicable. Selon ces dispositions, une personne domiciliée sur le territoire d'un État membre peut aussi être attraite devant la juridiction du domicile d'un autre défendeur, à condition que les demandes soient liées entre elles par un rapport si étroit qu'il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d'éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément. Il résulte notamment de l’arrêt Solvay de la Cour de justice de l’Union européenne que pour que des décisions soient considérées comme risquant d'être inconciliables, il faut que cette divergence s'inscrive dans le cadre d'une même situation de fait et de droit1.
En l'espèce, les atteintes prétendument portées respectivement au Royaume-Uni et en Allemagne par la société de droit anglais aux parties anglaise et allemande du brevet européen ne relèvent pas de la même situation de droit que celles portées à la partie française du brevet. De plus, les produits incriminés en France et ceux qui le sont en dehors du territoire français n’étant pas les mêmes, la situation n’est pas identique en faits. Il n’y a donc pas identité de situation de droit et de fait dans les demandes portant sur les actes de contrefaçon commis sur le territoire français et en dehors de ce territoire. Les décisions rendues par les juridictions anglaises et allemandes en ce qui concerne la contrefaçon de la partie nationale du brevet prétendument commise sur leur territoire risquent d'être certes divergentes, mais pas inconciliables au sens de l'article précité.
Les dispositions du règlement Bruxelles I ne sont pas applicables à la société défenderesse de droit sud-africain, située hors du territoire de l’Union européenne. L'article 14 du Code civil, qui énonce une règle de compétence dérogatoire fondée sur un for de nécessité, ne vise pas à donner une compétence universelle au juge français. Il s’applique en l'absence de critère ordinaire de compétence territoriale, lorsqu'il est justifié d'un rattachement de l'instance au territoire français selon les exigences d'une bonne administration de la justice. En l’espèce, la pertinence du rattachement avec l’instance n’est pas démontrée, alors que le juge français n'est pas compétent pour les faits prétendument commis à l'étranger par la société de droit anglais et que les juridictions anglaise et allemande sont compétentes pour juger des prétendus actes de contrefaçon de la partie nationale du brevet litigieux commis sur leurs territoires respectifs.
En vertu de l’article 4 du règlement Bruxelles I bis, qui consacre le principe de la compétence des tribunaux de l'État membre où le défendeur a son domicile ou son siège social, le juge français est compétent pour connaître des faits litigieux commis en dehors du territoire français par les sociétés défenderesses françaises, dont le siège social est en France. Il résulte en outre de l'arrêt Fiona Shevill de la Cour de justice que le tribunal du lieu d'établissement du défendeur est compétent pour connaître de l'action en réparation de l'intégralité du préjudice.
Cour d'appel de Paris, pôle 5, 1re ch., 24 novembre 2020, 20/04780 (B20200062)
Hutchinson SA c. DAL SASU, Global Wheel et. al.
(Confirmation TJ Paris, ord. juge de la mise en état, 3e ch., 1re sect., 27 févr. 2020, 18/08284 ; B20200036 ; PIBD 2020, 1146, III-1)
1 Sur la question de la compétence des juridictions françaises pour statuer sur une action en contrefaçon intentée à l’encontre de plusieurs défendeurs domiciliés dans différents État membres de l’Union européenne, et l’application, dans cette hypothèse, des article 8-1 du règlement n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 (dit Bruxelles I bis) ou 6-1 du règlement n° 44/2001 du 22 décembre 2000 (dit Bruxelles I) concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, voir également :
- CA Paris, pôle 5, 2e ch., 12 févr. 2021, Emilio Pucci Srl c. H&M Hennes & Mauritz SARL, H&M Hennes & Mauritz AB et Matthew W, 19/07660, D20210005, publiée au présent numéro, p. III-7) et Cass. com., 26 févr. 2013, H&M Hennes & Mauritz Sarl et al. c. Emilio Pucci Srl et al., B/2011/27139, D20130040, PIBD 2013, 982, III-1142 (droits d’auteur) ;
- CA Paris, pôle 5, 1re ch., 22 oct. 2019, Volkswagen AG c. Jumasa Parts SL et. al., 17/18729, D20190051, PIBD 2020, 1129, III-24, Propr. industr., 10, oct. 2020, chron. 8, F. Glaize (droits d’auteur) ;
- Cass. com., 5 avr. 2016, Decathlon SA c. Delta Sport Handelskontor GmbH et al., R/2013/22491 ; D20160049 ; PIBD 2016, 1050, III-442, avec N.D.L.R. ; D. IP/IT, juin 2016, p. 305, note de T. Azzi ; Propr. intell., 61, oct. 2016, p. 519, note de P. de Candé (modèle communautaire) ;
- TGI Paris, 3e ch., 4e sect., Céline SA c. M'elle Boutique SARL et. al., 25 févr. 2016, 14/12233, D20160053 (modèle communautaire) ;
- TGI Paris, 3e ch., 4e sect., ord. du juge de la mise en état, 28 janv. 2016, Novartis Ag et al. c. Teva Bv et al., 14/01134, B20160013 (brevet européen) ;
- TGI Paris, 3e ch., 3e sect., 5 déc. 2014, Iro SAS c. Mango France SARL et al., 12/16235, D20140247, PIBD 2015, 1024, III-252 (modèle communautaire non enregistré ; droits d’auteur) ;
- TGI Paris, 3e ch., 4e sect., ord. du juge de la mise en état, 23 janv. 2014, Bos Sarl et al. c. Estuaires Pro Com Sarl et al., 13/05948, B20140045 (brevet européen) ;
- TGI Paris, 3e ch., 3e sect., 10 juin 2011, Christian Dior Couture Sa c. Versace France et al., 2008/17024, D20110167, PIBD 2011, 951, III-709 (modèle communautaire non enregistré) ;
- CA Paris, 4e ch., sect. B, 21 nov. 2008, Sodisud SARL c. Legende LLC SARL et al. 07/06427, M20080656, PIBD 2009, 889, III-792 (droits d’auteur ; marque) ;
- CA Paris, 4e ch., sect. A, 21 mai 2008, H&M Hennes & Mauritz Sarl et al. c. Chantelle SA, 07/03611, D20080052, PIBD 2008, 878, III-451 (droits d’auteur ; modèle communautaire non enregistré).