Demande en réparation du préjudice - Compétence territoriale de la juridiction française (oui) - Pluralité de défendeurs - Lieu du domicile de l’un des codéfendeurs - Actes incriminés commis à l’étranger - Droit de l’UE
Préjudice - Preuve de l'étendue du préjudice subi hors de France - Vulgarisation
La compétence de la cour d’appel de renvoi ne peut s'étendre au-delà des limites de la cassation et elle ne peut connaître des chefs d’un arrêt qui, n'ayant pas été atteints par la cassation, sont devenus irrévocables.
En l’espèce, il a ainsi été définitivement jugé qu’en mettant en ligne, sur le site internet dont elle est l'éditrice, des reproductions des œuvres sur lesquelles la société demanderesse est titulaire de droits d'auteur, la société codéfenderesse suédoise a commis des actes de contrefaçon et qu’en application de l’article 5 (2) de la convention de Berne, la loi applicable était la loi française, en raison de l'existence d'un lien substantiel avec la France, pays où la protection est réclamée.
De même, la Cour de cassation a motivé la cassation partielle de l’arrêt renvoyé en retenant qu'en l'état d’un arrêt antérieur irrévocable, la cour d’appel était compétente, au visa de l'article 6, 1) du règlement (CE) n° 44/2001, pour statuer sur l'intégralité du préjudice résultant des actes de contrefaçon.
La circonstance que la responsabilité de la société codéfenderesse française, codéfendeur d’ancrage, n'ait pas été retenue au titre de la contrefaçon mais seulement de la concurrence déloyale, ne suffit pas à caractériser le fait que la société demanderesse a créé ou maintenu de manière artificielle les conditions d'application de l'article 6, 1) précité et ne peut être prise en considération pour revenir sur la compétence des juridictions françaises pour réparer l'intégralité du préjudice, retenue par des décisions irrévocables.
Cette compétence a été fondée non pas sur l'article 5, 3) du règlement (CE) n° 44/2001 - lieu où le fait dommageable s'est produit - mais sur celui de l'article 6, 1) précité - domicile de l'un des défendeurs. Ainsi, le juge saisi étant celui de l'État membre du domicile de l'un des codéfendeurs, en l’espèce, la société française, les autres défendeurs étant domiciliés dans l'Union européenne, l'article 6, 1) lui donne compétence indépendamment du lieu de survenance des faits litigieux. Peu importe donc, en théorie, que ces faits se soient en tout ou en partie déroulés en dehors de l’État membre du for, voire en dehors de l'Union européenne1.
C'est donc en méconnaissance des limites de sa saisine que la société codéfenderesse suédoise demande à la cour de renvoi de se déclarer incompétente au bénéfice du tribunal de première instance de Stockholm, de se déclarer incompétente pour réparer le préjudice subi hors de France, ou à titre subsidiaire, de renvoyer à la Cour de justice de l'Union européenne l'examen de questions préjudicielles sur l'interprétation des règlements (CE) n°44/2001 et n° 1215/2012, de se prononcer sur la loi applicable autre que la loi française et de juger à nouveau les faits de contrefaçon commis hors de France.
Cour d’appel de Paris, pôle 5, 2e ch., 12 février 2021, 19/07660 (D20210005)
Emilio Pucci Srl c. H&M Hennes & Mauritz SARL, H&M Hennes & Mauritz AB et Matthew W
(Confirmation partielle TGI Paris, 3e ch., 1re sect., 22 mai 2014, 09/17285 ; sur renvoi après cassation partielle CA Paris, pôle 5, 2e ch., 4 déc. 2015, 12/10744, D20150169, PIBD 2016, 1043, III-134 ; Cass. civ. 1re, 26 sept. 2018, S/2016/18686, D20180100, PIBD 2018, 1105, III-737 ; RLDI, 153, nov. 2018, p. 14, note de L. Costes ; L'Essentiel, 11, déc. 2018, p. 7, note d'A. Lucas ; Propr. intell., 70, janv. 2019, p. 43, note d'A. Lucas ; D. IP/IT, févr. 2019, p. 104, note d'E. Treppoz ; Propr. industr., avr. 2019, p. 32, note de N. Bouche ; Comm. com. électr., sept. 2019, p. 28, note d'A-E. Kahn).
1 Dans une autre décision publiée dans ce numéro (CA Paris, pôle 5, 1re ch., 24 nov. 2020, Hutchinson SA c. DAL SASU, Global Wheel et. al., 20/04780, B20200062, PIBD 2021, 1156, III-1), en présence de plusieurs défendeurs situés sur et en dehors du territoire français, la cour d’appel a jugé que les juridictions françaises n’étaient pas compétentes pour statuer sur des faits de contrefaçon d’un brevet européen commis en dehors de ce territoire.