Jurisprudence
Marques

Appréciation par le juge national du caractère « raisonnable et proportionné » des frais de justice mis à la charge de la partie perdante

PIBD 1186-III-3
CJUE, 28 avril 2022

Contrefaçon de marques de l’UE - Taxation des dépens - Frais de justice raisonnables et proportionnés - Participation d’un conseil en matière de propriété industrielle - Qualification des frais - Conformité de la loi nationale avec la directive RDPI - Contrôle judiciaire

Texte

La question préjudicielle a été présentée dans le cadre d'une demande d’annulation, devant les juridictions allemandes, d’une ordonnance de taxation des dépens en matière de contrefaçon de marques de l’Union européenne. Conformément à la loi allemande, le juge national a mis à la charge de la partie perdante les frais exposés par la partie ayant obtenu gain de cause résultant notamment de la participation d’un conseil en matière de propriété industrielle à la procédure. La solution adoptée étant indépendante du point de savoir si le concours d’un conseil était nécessaire à la poursuite utile du droit, la juridiction de renvoi a saisi la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle sur la compatibilité de cette loi nationale avec les articles 3 et 14 de la directive 2004/48/CE relative au respect des droits de propriété intellectuelle.

Dans son arrêt United Video Properties[1], la Cour de justice avait jugé que la notion de « frais de justice » à rembourser par la partie qui succombe figurant à l’article 14 de la directive, englobe, entre autres, les honoraires d’avocat. En effet, cette directive ne contient aucun élément permettant de conclure que ces frais, qui constituent généralement une partie substantielle des frais encourus dans le cadre d’une procédure visant à assurer un droit de propriété intellectuelle, seraient exclus du champ d’application de cet article.

Rien dans la directive ne s’oppose davantage à ce que les frais d’un représentant, tel qu’un conseil en matière de propriété industrielle, auquel un titulaire de droits a eu recours de manière individuelle ou, conjointement, avec un avocat, soient considérés, en principe, comme pouvant relever de la notion de « frais de justice », pour autant que ceux-ci aient pour origine immédiate et directe le procès lui-même. En outre, l’article 14 de la directive impose aux États membres d’assurer le remboursement des seuls frais de justice « raisonnables et proportionnés ». Conformément à cet article, lu à la lumière du considérant 17, le juge compétent doit être en mesure de contrôler dans tous les cas le caractère raisonnable et proportionné des frais de justice, et ce au-delà des cas où un tel contrôle s’impose en raison de l’équité.

Dès lors, l’application automatique d’une disposition nationale telle que celle en cause au principal peut entraîner, dans certains cas, une violation de l’obligation générale prévue à l’article 3, § 1, de la directive, en vertu de laquelle, notamment, les procédures mises en place par les États membres ne doivent pas être inutilement coûteuses. Par ailleurs, l’application d’une disposition de ce type est susceptible de dissuader un titulaire de droits présumé d’introduire un recours en justice visant à assurer le respect de son droit par crainte de devoir supporter, s’il succombe, des frais de justice considérablement élevés, contrairement à l’objectif de la directive consistant à assurer, notamment, un niveau de protection élevé de la propriété intellectuelle dans le marché intérieur. Enfin, la prise en compte inconditionnelle et automatique de frais au moyen d’une simple déclaration sur l’honneur d’un représentant d’une partie au litige, sans que ceux-ci puissent faire l’objet d’une appréciation par le juge national quant à leur caractère raisonnable et proportionné par rapport au litige concerné, pourrait ouvrir la voie à un usage abusif d’une telle disposition en violation de l’obligation générale prévue à l’article 3, § 2, de la directive.

En conséquence, les articles 3 et 14 de la directive 2004/48/CE relative au respect des droits de propriété intellectuelle, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale ou à une interprétation de celle-ci qui ne permet pas au juge saisi d’une procédure relevant de cette directive de tenir dûment compte, dans chaque cas qui lui est soumis, des caractéristiques spécifiques de ce dernier aux fins d’apprécier si les frais de justice exposés par la partie ayant obtenu gain de cause sont raisonnables et proportionnés.

Cour de justice de l’Union européenne, 10e ch., 28 avril 2022, C-531/20 (M20220160 ; Propr. industr., juin 2022, comm. 30, p. 33, note d’A. Folliard-Monguiral)
NovaText GmbH c. Ruprecht-Karls-Universität Heidelberg
(Décision préjudicielle)

[1] CJUE, 5e ch., 28 juill. 2016, United Video Properties Inc., C‑57/15