Jurisprudence
Dessins et modèles

Contrefaçon des droits d’auteur portant sur des broches - Usage sur des visuels visant à promouvoir un parfum, au-delà des limites de l'autorisation donnée par la créatrice

PIBD 1215-III-5
CA Paris, 27 septembre 2023

Recevabilité de l’action en contrefaçon sur le fondement du droit d'auteur (oui) - Titularité des droits - 1) Personne physique - Qualité d’auteur - Divulgation sous son nom - Pseudonyme - 2) Personne morale - Cessionnaire des droits patrimoniaux - Présomption de titularité (oui) - Exploitation sous son nom

Protection au titre du droit d'auteur (oui) - Originalité - Identification du modèle invoqué - Thème - Fonds commun de la création - Combinaison d’éléments connus - Effort de création - Choix arbitraire - Recherche esthétique - Empreinte de la personnalité de l'auteur

Validité de la saisie-contrefaçon (oui) - Signification de l’ordonnance sur requête à une personne morale - Mission de l’huissier - Obligation de vérification de la qualité déclarée par la personne physique (non)

Contrefaçon (oui) - Relations d’affaires - Représentation et reproduction sur différents supports promotionnels - Dépassement des limites de l’accord - Portée géographique et durée -  Exception - Caractère accessoire (non) - Atteinte au droit moral - Droit de paternité

Préjudice patrimonial - Préjudice moral - Banalisation - Rappel des circuits commerciaux - Destruction

Texte

Les deux modèles de broches brodées et serties de perles de verres invoqués bénéficient de la protection par le droit d’auteur.

S’agissant de la broche ovale en forme d'œil, le thème de l'œil omniscient , ainsi que l'association de broderies et de perles, font  partie du fonds commun de la création et sont donc insusceptibles d'appropriation. Toutefois, la combinaison strictement revendiquée et l'interprétation de ce thème révèlent, par des choix purement arbitraires, un parti pris esthétique qui porte l’empreinte de la personnalité de son auteur. Ainsi, la créatrice a fait le choix de représenter un œil avec une fine paupière pour se concentrer sur la pupille orientée vers le haut, disproportionnée par rapport au fond de l'œil, l'intérieur de l'œil brodé mat contrastant ainsi avec les cils, allongés et démultipliés, constitués de rangées de perles, afin de créer une broche aux proportions démesurées. Ce choix confère à la broche un aspect tout à la fois surréaliste et baroque, identifiant au demeurant le style de la créatrice et, ainsi, l’originalité de cette broche. À cet égard, si d'autres créateurs ont déjà pu commercialiser des bijoux représentant un œil, ces créations présentent des différences significatives avec la combinaison originale et singulière revendiquée. Ainsi, si le pendentif antérieur cité représente effectivement un œil, tant les matériaux qui le constituent (métal doré ou argenté, incrusté ou non de brillants pour figurer les cils et un émail brillant pour figurer l'œil), que sa représentation (figurant une pupille centrée, dans une taille habituelle pour ce type de pendentif) diffèrent notablement de la création revendiquée.

Il en va de même s’agissant de la broche représentant un agrume. La créatrice a fait le choix de s'affranchir de tout réalisme en privilégiant des couleurs et dégradés singuliers avec un travail particulier sur la matière, la pulpe du fruit brodée dans un dégradé contrastant avec l'écorce constituée de rangées de perles, afin de créer une broche aux proportions démesurées, ce qui lui confère également un aspect surréaliste et baroque.

La créatrice expose avoir été contactée par une maison de parfum et avoir accepté de lui livrer deux broches « œil » et sept autres broches, dont cinq broches « agrumes » pour la réalisation de photographies. Elle estime qu’en reproduisant ses œuvres, sans autorisation, sur de nombreux supports promotionnels, la société défenderesse a commis des actes de contrefaçon. En l’absence de contrat, il convient de déterminer la commune intention des parties concernant l’usage et l’exploitation des broches à des fins commerciales.

Il ressort des échanges entre la créatrice et la société défenderesse, que seul était évoqué un usage des broches pour la réalisation, d'une part, de visuels destinés au lancement d'un parfum dénommé « Pacific Lime » et, d'autre part, de cartes postales et d’un Duratrans destinés aux points de vente. L'exploitation accordée était ainsi de portée mondiale, au vu du lancement du produit dans l'ensemble des boutiques de l'enseigne présentes sur plusieurs continents et pour un temps limité à la campagne de lancement de ce parfum.

Or, les demanderesses démontrent que l'usage des broches « agrume » a largement dépassé les conditions initialement prévues pour le parfum « Pacific Lime », et que la broche « œil » a également servi à la promotion d'un second parfum « Musc Imperial » qui n’avait pas été évoqué lors de ces échanges. Ainsi, pour le parfum « Pacific Lime », les broches « agrume » ont été utilisées pour des visuels qui ont également servi à la décoration de vitrines, à des fourreaux de parfum ou à des tableaux destinés au décor des magasins, ou encore sur des vidéos promotionnelles ou même pour un habillage de scène attestant d'une campagne publicitaire pour le marché asiatique. Or, s'agissant en particulier des étuis et des vitrines, la société défenderesse avait expressément exclu l'hypothèse d'une collaboration sur ces supports et lieux. En outre, le visuel comportant la broche « œil » a été utilisé également sur des cartes postales, des pages de présentation sur les réseaux sociaux, ainsi que sur les étuis du parfum « Musc Imperial ».

Par ailleurs, si la société défenderesse conteste exploiter l'ensemble des boutiques de l’enseigne présentes dans le monde et notamment en Asie, ce sont bien les visuels réalisés par celle-ci qui ont été diffusés et ont ainsi servi de support à une campagne mondiale de publicité.

Enfin, l’usage fait des créations ne peut être qualifié d'accessoire, à titre de simple élément de décor. En effet, les broches en cause étaient présentées parfois avec un seul autre accessoire et le parfum en cause, ou placées, délibérément, de manière particulièrement visible et identifiable et ce, sur de nombreux supports. Elles apparaissaient ainsi comme un fil conducteur des deux collections de parfum.

En conséquence, les usages des broches, qui n'avaient été ni envisagés ni convenus avec les demanderesses, sont constitutifs d'actes de contrefaçon.

Par ailleurs, l’absence de la mention du nom de la créatrice dans le cadre du lancement des parfums et de l'exploitation des visuels servant de support, constitue une atteinte à son droit moral.

Cour d’appel de Paris, pôle 5, 1re ch., 27 septembre 2023, 21/11106 (D20230037)
Mme [K] [Y] et Penn Karn SASU c. Atelier Cologne SAS et L’Oréal SA
(Confirmation partielle TJ Paris, 3e ch., 3e sect., 23 mars 2021, 19/09702)