La rubrique « Brèves de jurisprudence » offre un aperçu d'autres décisions en mettant l'accent sur un ou plusieurs points de droit intéressants. |
Demande en déchéance devant l'INPI pour défaut d’usage - Abus de droit (non) - Déchéance (oui)
La décision de l’INPI déclarant le défendeur déchu de ses droits sur la marque BASTILLE pour défaut d’usage sérieux, notamment pour les « journaux », est confirmée. Au soutien de son recours, celui-ci fait valoir que la demande en déchéance constitue un abus de droit, la dissimulation de l’identité de son véritable initiateur caractérisant une atteinte au droit à un procès équitable en vertu de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme. Cette demande aurait été présentée sous un prête-nom, pour le compte d’une personne avec laquelle le défendeur avait collaboré en vue de créer une publication intitulée « Bastille », dans le but de se prémunir de tout risque d’action en contrefaçon. Le défendeur a en effet découvert que cette personne commercialisait, par l’intermédiaire d’une société, une revue du même nom. Toutefois, il résulte de l’article L. 716-3 du CPI que la loi octroie largement le droit d’agir en déchéance devant l’INPI à toute personne physique ou morale, quelle que soit sa qualité et sans avoir à justifier d’un intérêt personnel. En conséquence, la demande en déchéance formée par le demandeur en son nom personnel suffit à saisir valablement l’INPI. Quand bien même l’ancien partenaire serait à l’origine de la demande, l’intention de nuire n'est pas caractérisée dès lors qu’il ne pourrait lui être reproché de rechercher la déchéance d’une marque non exploitée dans le but d’utiliser le signe contesté pour ses propres affaires. Enfin, la demande en déchéance est bien fondée, le titulaire de la marque ne démontrant pas que son non-usage, qui n’est pas contesté, résulterait d’un juste motif.
CA Paris, pôle 5, 1re ch., 18 sept. 2024, M. [M] [W] c. INPI et al, 23/04582 (M20240204)
(Confirmation décision INPI, 1er févr. 2023, DC21-0170 ; DC20210170)
Atteinte aux marques de renommée (oui) - Lien entre la marque renommée et le signe litigieux - Services non similaires
Les usages du signe « Le Garage de La Centrale » à titre de dénomination sociale et d’enseigne, pour une activité de réparation et de vente de véhicules, ont porté atteinte aux marques de renommée françaises et de l’Union européenne LA CENTRALE. Le signe incriminé est très proche des marques verbales LA CENTRALE, mais également de la marque semi-figurative dès lors qu’il est exploité en lettres blanches sur fond orange, qui sont des couleurs fortement similaires aux lettres blanches sur fond rouge de la marque semi-figurative invoquée. L’expression « La Centrale », élément dominant du signe incriminé, est identique aux marques et n’est pas générique en ce qu’il est associé à un garage. En outre, les marques sont renommées auprès du grand public, en particulier pour des services de diffusion d’annonces et d’édition de messages en lien avec la vente de véhicules d’occasion, pour laquelle le signe contesté est exploité, de sorte que ce public est d’autant plus susceptible d’associer les signes. Par conséquent, malgré l’absence de similitude entre les services en cause, le public établira un lien entre le signe et les marques antérieures. La société défenderesse, par les usages du signe « Le Garage de La Centrale », s’est associée à la renommée des marques, dont elle revendique implicitement être une déclinaison et a ainsi profité de cette renommée. Ces usages ont également porté atteinte au caractère distinctif des marques en donnant l’impression au public que la marque LA CENTRALE s’étend à une activité de garage ou qu’un partenariat a été conclu avec un garage. Les faits de contrefaçon de marques de renommée sont donc caractérisés.
CA Paris, pôle 5, 1re ch., 19 juin 2024, Le Garage de Baleone SARL c. Groupe La Centrale SAS, 22/16329 (M20240154)
(Confirmation partielle TJ Paris, 3e ch., 3e sect., 2 août 2022, 21/15509)
Contrefaçon de marque (oui) - Similarité des signes - Nombre
L’utilisation par une distillerie du nombre 4807 au sein d’un logo complexe apposé sur des bouteilles de gin constitue la contrefaçon de la marque verbale antérieure 4810, qui désigne plusieurs boissons alcooliques en classe 33, dont le gin. Le signe litigieux est constitué d’un cachet de forme ronde, au centre duquel se trouve le nombre 4807, surplombant un dessin stylisé de montagnes, la dénomination « Distillerie Saint-Gervais Mont Blanc » encerclant le tout. Le regard d’un consommateur d’attention moyenne est naturellement attiré par le nombre 4807, eu égard à sa position centrale et aux pics montagneux qui pointent vers lui. Il n’apparaît donc pas noyé dans l’ensemble composé, secondairement, du dessin et de la dénomination de la défenderesse. Le caractère secondaire des mentions « Distillerie Saint Gervais » et « Mont Blanc » est renforcé par leur positionnement sous forme circulaire et à l’extérieur du cercle, qui altère sensiblement leur lisibilité. Outre leurs ressemblances visuelles et phonétiques, les nombres 4807 et 4810 partagent la même référence conceptuelle, à savoir l’altitude du Mont-Blanc, établie officiellement à 4807 mètres en 1863 avant d’être réévaluée à 4810 mètres en 2011. Il importe peu que la marque 4810 n’y fasse aucune référence explicite, celle-ci étant de notoriété publique. Cette référence est par ailleurs confortée au sein du signe litigieux par la reproduction de montagnes et la mention « Mont-Blanc ». L’identité des produits et la similarité des signes entraine ainsi un risque de confusion dans l'esprit du consommateur d'attention moyenne.
TJ Lyon, 10e ch., cab. 10 H, 6 août 2024, Alpes Marques SASU c. Distillerie Saint-Gervais Mont-Blanc SARL, 21/03883 (M20240189)
Responsabilité contractuelle (oui) - Violation d’un accord de coexistence
La société demanderesse fabrique et commercialise une liqueur dont la recette a été créée par l’Ordre monastique des Chartreux. Elle assure, à ce titre, une mission de protection de l’image de l’Ordre ainsi que des marques CHARTREUSE qu’elle a déposées avec son accord. Ayant constaté l’usage par une coopérative vinicole du signe « Chartreux », elle a conclu avec celle-ci un accord de coexistence. Aux termes de cet accord, la coopérative s’est engagée à ne pas mettre en exergue le vocable « Chartreux », à ne pas l’utiliser pris isolément ou sans être précédé du logotype C. Elle s’est également interdit tout usage d’une thématique commerciale ou publicitaire à même de porter atteinte à l’image de l’Ordre ou de la religion chrétienne. Invoquant une violation de l'accord, la demanderesse a agi en responsabilité contractuelle. Constitue une atteinte à l’accord en ce qu’elle est susceptible d’impacter l’image de l’Ordre qui prône notamment la chasteté, la commercialisation d’une cuvée de vin « CHAMASUTRA » qui fait référence au Kama-Sutra et dont les étiquettes présentent un chat en diverses positions. Il en va de même s'agissant de la cuvée « Je résiste à tout sauf à la tentation », qui fait indéniablement référence à un verset biblique et de l’utilisation de l’expression « Les chartreux partent en live » pour désigner un évènement festif, dansant et alcoolisé. En outre, le terme « Chartreux » y est utilisé isolément. À cet égard, la défenderesse ne peut justifier cet usage par une référence à la race de chats des Chartreux. Enfin, les cuvées « Chartreux Classic » et « l’âme des Chartreux » mettent elles aussi en exergue le vocable « Chartreux » isolément. Il est donc fait interdiction à la défenderesse d’utiliser ces différentes expressions sur ses supports publicitaires et commerciaux, à la différence d’autres noms de cuvées (« Une petite cuvée au poil », « Marselan » et « La nuit tous les chats sont gris ») dont l'usage ne viole pas les termes de l’accord.
TJ Marseille, 1re ch. civ., 5 sept. 2024, Compagnie Française de la Grande Chartreuse SA c. Le Cellier des Chartreux SCA, 22/10782 (M20240188)